Cet été, l’UTMB célèbre ses 20 ans. Oui, cela fait 20 ans que cet évènement-phare éclaire et met en lumière une discipline qui, jusqu’alors, avançait dans l’ombre ! Pour l’occasion, Alexis Berg – photographe emblématique qui, comme les athlètes par leurs performances, a contribué par ses images à faire de cette épreuve le mythe qu’elle est aujourd’hui – rembobine ses centaines de pellicules et plonge dans les milliers de giga-octets de ses disques durs pour nous sélectionner ses 10 photos les plus marquantes. 10 photos qui révèlent une histoire. Une histoire singulière. Une histoire qu’il nous raconte.
1 : Kilian Jornet, UTMB 2017
« Kilian Jornet, allongé sur une table de massage, l’avant-veille de la course. Capturer une image de Kilian statique et allongé, connaissant l’hyperactivité du bonhomme, c’est déjà un exploit en soi ! Il m’offre ici le privilège d’entrer dans son intimité et me réserve la seule interview qu’il accordera en amont de cette édition 2017, considérée comme la ‘course du siècle’ au vue de tous les cadors réunis sur la ligne de départ. Il n’est alors jamais revenu depuis sa troisième victoire, en 2011, fuyant un temps la ferveur parfois oppressante de Chamonix. Néanmoins, à l’aube de ce retour, je le trouve serein, apaisé. De mon point de vue, l’histoire de Kilian et de l’UTMB sont entremêlées. D’une certaine manière, chacun est devenu ce qu’il est aujourd’hui, un peu, grâce à l’autre. Ils se doivent réciproquement beaucoup. »
2 : Le départ, UTMB 2016
« Une image classique, pour une photo singulière. Le départ de l’UTMB ressemble toujours un peu à ça. J’ai mes habitudes, perché sur un balcon de la mairie de Chamonix. Pourtant, cette photo du départ 2016 se démarque des autres éditions. Elle m’inspire un ‘cliché’ à tous les sens du terme. Au-delà de l’angle de prise de vue qui permet d’identifier tous les visages, elle révèle ce qu’est véritablement l’ultra-trail : une discipline masculine, et globalement occidentale. L’impression de diversité laissée par l’arc-en-ciel de T-shirts vient dresser un paradoxe avec le profil sociologique globalement homogène du coureur-type de l’UTMB. »
3 : le ravitaillement, utmb 2016
« Le ravitaillement de Courmayeur. Un autre lieu emblématique de l’UTMB. La mi-course. Un juge de paix qui voit de nombreux favoris jeter l’éponge, éreintés par les 80 km qu’ils viennent de parcourir, assommés par les 90 qu’il reste à couvrir. Zach Miller, que l’on voit étendu au sol, fait alors la course en tête. L’américain est parti à bloc, avec le panache et le brin de folie qu’on lui connait. Il repart de Courmayeur avec la même énergie frénétique. Si bien qu’il chute dans les escaliers. Il abandonnera quelques dizaines de kilomètres plus loin, épuisé. J’apprécie également cette photo car, en exposant les vidéastes, elle montre les coulisses et recontextualise l’engouement médiatique autour de l’évènement, que je compare au ‘Hollywood’ du trail : c’est l’endroit où toute l’industrie se donne rendez-vous ! »
4 :rory bosio, utmb 2018
« La photo d’une femme qui a largement contribué à l’histoire de ce sport : Rory Bosio. L’américaine, double vainqueur en 2013 et 2014, avait même terminé à la 7ème place du classement général lors de sa première victoire. Du jamais vu dans les sports d’endurance à haut-niveau. Je la retrouve ici, en 2018, sur la TDS, une des courses de l’évènement UTMB, dont elle finira 2ème – sa dernière grande performance – avec pour toile de fond les arêtes du Mont Favre et mon sommet préféré des Alpes : l’Aiguille Noire de Peuterey. Un panorama qui génère son lot de frustration car il est pour moi majestueux or les coureurs de l’épreuve-reine y passent de nuit. J’ai donc rarement l’occasion de le contempler. »
5 : Nuria Picas, utmb 2017
« Nuria Picas, une autre grande dame de l’ultra-trail, totalement bouleversée, sur la ligne d’arrivée de l’UTMB 2017 qu’elle vient de remporter. Cette année-là, tous les regards se portaient sur l’épreuve masculine, la fameuse ‘course du siècle’, ce qui eut tendance à minimiser l’ampleur de cette victoire. Pourtant, moi qui ai du mal à profiter pleinement de ces arrivées, certainement à cause de l’immensité de la foule présente, c’est l’un des ‘finishs’ qui m’a le plus ému. Voir cette femme, par ailleurs très engagée politiquement, brandir fièrement le drapeau de sa Catalogne natale et le planter ainsi dans le sol, place du Triangle de l’Amitié, demeure un souvenir marquant. Un vrai beau moment. J’étais heureux pour elle. »
6 : point culminant, utmb 2019
« J’ai sélectionné cette photo car, pour moi, elle dit tout du paradoxe d’être photographe sur l’UTMB. En effet, documenter la bataille des coureurs élites en étant au cœur de la dramaturgie implique de faire une croix sur les plus beaux passages de la course, où les favoris passent de nuit. Il faut donc opérer un choix : les images esthétiques ou celles qui racontent la performance. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en tant que photographe, je finis toujours l’UTMB avec un léger goût d’inachevé. Cette photo se veut donc importante car elle se révèle comme l’une des seules où je concilie les 2. Il s’agit de l’un des membres du top 10, au lever du jour, au Grand Col Ferret, le point culminant de la course, la mer de nuage au loin. Un instant suspendu. »
7 : Sophie Power, utmb 2018
« De loin – de très loin même – ma photo la plus connue. D’ailleurs, cette photo n’est pas qu’une photo... C’est un vertige. Car elle a changé une vie : celle de Sophie Power, qui allaite ici son enfant au ravitaillement de Courmayeur, avant de boucler l’UTMB en 43h. Certes, c’est moi qui ai appuyé, avec son accord, sur le bouton, mais c’est Sophie qui a ensuite embrassé la puissance symbolique qu’elle dégageait. Alors qu’elle travaillait dans la finance à Londres, cette coureuse britannique est aujourd’hui devenue une leader d’opinion qui fait bouger les lignes quant aux droits des femmes dans un cadre sportif. Cette image date d’il y a bientôt 5 ans, mais chaque année, ce cliché ressuscite et connait une nouvelle vie. Récemment, elle a par exemple été sélectionnée par ‘The Guardian’ comme l’une des 50 photos ayant changé l’histoire du sport... »
8 : La nocturne, UTMB 2019
« J’adore les photos de nuit car elles impliquent quelque chose de très créatif. Raison pour laquelle j’aime également m’aventurer sur la SaintéLyon et son cortège de frontales. D’ordinaire, la nuit nous contraint à se focaliser sur l’action, avec des prises de vue très proches des coureurs. C’est d’ailleurs assez rare d’observer des photos de paysages nocturnes sur cet évènement. Celle-ci a mérité un temps de pause particulièrement long pour capturer la voie lactée et ce filament lumineux dans son ascension du passage dit des ‘Pyramides calcaires’, à 2h du matin. Cette image dit aussi autre chose du boulot de photographe à l’UTMB : il faut se conditionner à très, très, peu dormir ! (Sourire) »
9 : une belle histoire, UTMB 2021
« Une des histoires les plus incroyables qu’il m’ait été donné de vivre sur cet évènement. Nous en sommes en 2021, le dimanche matin, au ravitaillement de Vallorcine. Je suis donc entouré de coureurs qui viennent de passer deux nuits dehors et à qui il reste une vingtaine de kilomètres avant de rejoindre Chamonix, en 45h. Je shoote pour ‘L’Équipe Magazine’, un sujet sur les femmes – qui ne représentent que 10% des partants – durant l’UTMB. Là, je tombe sur cette traileuse mexicaine, qui transporte un médaillon avec la photo de son mari et ses deux fils restés au pays. Elle est au bord des larmes mais continue. Quelques encablures plus loin, toujours en poste pour mes photos, je la croise en sens inverse de la course. Surpris, je l’interroge. Elle me rétorque qu’elle a décidé d’abandonner. Je lui soutiens que ce n’est pas possible, qu’elle est trop proche du but pour ne pas y arriver.
Elle change d’avis et se remet en route, direction Tête aux Vents, l’ultime ascension de l’UTMB. Là-haut, quelques heures plus tard, je vais à nouveau tomber sur elle : là, au loin, assise sur un caillou, non pas en train de se reposer, mais de contempler, dans une sorte d’état méditatif impressionnant. Elle reste là, stoïque, pendant près d’un quart d’heure, à tel point que je me demande si elle va repartir. L’histoire se termine bien puisqu’elle atteint finalement son objectif : elle devient finisher de l’UTMB. Quelques semaines plus tard, elle m’a écrit, pour me remercier de l’avoir remobilisée. En réalité, c’est moi qui la remercie, elle m’a offert une émotion rare. »
10 : What the fuck, UTMB 2022
« La plus ‘What the fuck’ ! La plus récente aussi. Je n’avais jamais eu l’occasion de photographier la ‘Petite Trotte à Léon’, plus communément appelée la PTL, une boucle de 290 km et 26 500 m de dénivelé positif à parcourir en équipe. Une aventure hors du commun que j’avais à cœur de documenter. En 2022, donc, je m’y attelle. Je me positionne au sommet de la première montée, afin d’immortaliser le départ de cet OVNI. Après avoir shooté tous les concurrents, je redescends. Et là, à l’issue de 20 minutes de marche, je découvre que tous ne sont pas passés. Je tombe sur cette scène absolument hallucinante d’un binôme coréen où l’un dort en plein milieu du sentier, en faisant un gros câlin à la montagne, et l’autre l’attend, sans cacher son mécontentement et son impatience, dans une attitude presque théâtrale...
Un moment juste surréaliste ! Ils s’attaquent à l’une des courses les plus dures du monde, qui devrait durer près d’une semaine, mais au bout de seulement 3h et un kilomètre vertical, les voilà déjà à l’arrêt. Pour la première fois, je me décide d’appeler le PC sécurité pour les prévenir que deux concurrents présentent déjà un état de fatigue avancé. Ils abandonneront au ravitaillement suivant. D’une certaine manière, cette image traduit aussi ce vers quoi tend l’UTMB : un évènement plus grand public, dont on peut parfois minimiser la difficulté. »
Pour célébrer les 20 ans de l’UTMB, Alexis Berg et Aurélien Delfosse sortent un livre : ‘La Course en Tête’. Un voyage qui nous emmène à la rencontre des 22 vainqueurs, qui ont franchi cette ligne d’arrivée le poing levé, victorieux. Cet ouvrage sera disponible en pré-commande depuis le 15 juin, avec une sortie officielle inaugurée à Chamonix, fin août, pendant l’évènement.