Si tu le veux bien, rétropédalons un peu. Tu as commencé le trail très tardivement, à l’âge de 29 ans. Ingénieur à Montréal, inscrit dans un quotidien assez conventionnel, tu as un jour pris ce chemin qui se dressait devant toi, et depuis, ta vie a pris un tournant. En 2019, tu as aussi participé à la très populaire émission Koh-Lanta. Pendant longtemps, tu as donc couru avec cette étiquette d’aventurier. Au début, était-ce difficile à assumer et lourd à porter ?
Difficile à assumer, non. Lourd à porter, oui ! Car j’ai dû composer avec une visibilité, voire une pression médiatique, dès mes premiers kilomètres, avant même d’avoir fait mes preuves sportivement parlant. D’une certaine manière, j’ai effectué l’inverse du chemin habituel : acquérir une certaine notoriété avant d’avoir réalisé les performances qui normalement te permettent d’y accéder. Dès lors, j’ai parfois pu ressentir une forme de jalousie à mon égard. Pour certains, j’étais l’aventurier qui réservait le dépassement de soi aux caméras, capable de repousser ses limites uniquement lorsqu’il y a un peu de lumière. Je me suis servi de cela pour me galvaniser. Ils ne sont pas nombreux, mais aujourd’hui, je dis ‘Merci’ à ces quelques détracteurs. Ils m’ont donné de l’énergie.
Tu regrettes ta participation à Koh-Lanta ? Si c’était à refaire, tu retournerais faire cette aventure ?
Je ne regrette absolument pas. Si c’était à refaire, j’y retournerais avec beaucoup de plaisir et de détermination. L’aventure est magnifique. C’est un privilège rare que de se retrouver sur une île déserte, avec d’autres êtres humains dont tu ignores tout, sans rien avoir à manger. Pour ma part, quand je lis ‘Robinson Crusoé’ ou que je regarde le film ‘Seul au monde’, à aucun moment, je ne vais plaindre le personnage principal. Au contraire, je l’envie ! Il se dit beaucoup de choses sur l’émission, sur ses coulisses. Je peux affirmer une chose : ce ne sont pas que des images, c’est vraiment dur, et authentique ! On ne te donne pas de matelas ni de nourriture. La gestion de l’après, en revanche, est plus complexe. La télé m’a apporté du positif comme du négatif. Dans les prémices de ma carrière de traileur, j’ai effectivement pu me sentir ‘imposteur’, car je me lisais comme tel dans le regard de certains.
De ce que tu décris, tu as connu un phénomène propre aux autodidactes ou à celles et ceux qui ne viennent pas du milieu dans lequel ils souhaitent s’épanouir. Un mal-être qui touche de nombreuses personnes, et pas uniquement dans le sport de haut niveau : le syndrome de l’imposteur. Aujourd’hui, tu sembles l’assumer totalement. Comment es-tu passé outre ?
C’est une évidence : pendant plusieurs années, j’ai avancé au travers d’un syndrome de l’imposteur hyper puissant ! D’un côté, je m’inscrivais dans une démarche de performance en ultra-trail, mais de l’autre, je devais composer avec le poids de cette étiquette d’aventurier de télé-réalité, ainsi que la pression médiatique inhérente. Pour passer outre, je n’ai pas véritablement de recette miracle ou de protocole mental secret. Les seuls ingrédients que je suis certain d’avoir utilisés sont : le travail, fort, tous les jours ; la persévérance ; la confiance en soi ; et le plus puissant de tous, la passion !
D’ailleurs, parfois, des réminiscences de ce syndrome ressurgissent. Lors de l’UTMB 2022, par exemple, dès le départ, je me sentais hyper facile, mais je n’ai pas osé me mettre à mon rythme et j’ai préféré rester dans l’ombre de Pau Capell, vainqueur en 2019. Je me disais que ce n’était pas ma place de prendre le ‘lead’ de la course.
Cela a aussi pu me faire défaut dans mes choix du quotidien : j’aurais pu devenir 100% professionnel de ce sport depuis 1 ou 2 ans, mais je n’osais pas franchir le pas. Je ne me sentais pas légitime. Je trouvais un refuge et une sécurité dans le fait d’exercer un travail conventionnel. C’est la raison pour laquelle je n’ai reçu qu’en mars dernier ma dernière fiche de paie !
Désormais, je me sens apaisé, léger. J’ai drastiquement réduit le stress et le taux de cortisol dans mon corps. Je suis en paix avec ce choix.
2023 sera l’année du ‘Non’
Quels sont les principaux apprentissages que tu as pu réaliser au cours de ce début de carrière très dense en aventures et intense en émotions ?
C’est une phrase assez banale, dont je me demande d’ailleurs si elle signifie quelque chose, mais pour moi elle veut tout dire : laisser le temps au temps. Pour s’adapter, se tromper, apprendre, comprendre, trouver... Je n’ai pas été programmé pour cela. On ne m’a jamais appris lors des études à gérer la pression, la visibilité et d’une certaine manière ‘le succès’.
La passion est mon plus puissant carburant.
À l’issue de ces 2 UTMB (3ème en 2021, 2ème en 2022), tout est arrivé trop vite. Je l’ai un peu vécu comme une phase de chaos. À cet instant, j’avais juste envie de redevenir une petite boule qui peut s’échapper, au calme, en nature, à l’abri de toute cette agitation. J’ai essayé de faire au mieux, j’ai commis des erreurs, mais j’ai surtout beaucoup appris.
L’année passée, tu as réalisé une série de Podcasts dans laquelle tu te livrais en toute transparence sur ta démarche, tes émotions, tes ressentis... Tu y révélais l’une des clés de ton état d’esprit : effectuer un bilan annuel introspectif durant lequel tu interroges ton ‘why’, ton ‘pourquoi’, tes motivations profondes. Ton ‘why’ de 2022 était le partage : quel est celui de 2023 ?
2023 sera l’année du ‘Non’. C’est extrêmement difficile à expliquer, et j’ai encore du mal à le verbaliser pour le rendre tout à fait compréhensible, mais il s’agit d’apprendre à dire ‘non’ pour prendre soin de mon bien-être physique et mental, tout en valorisant l’engagement que je prends vis-à-vis de ceux à qui je dis ‘oui’. Je vais tâcher d’être encore plus authentique et spontané...
C’est un véritable challenge, car lorsque tu es de nature altruiste et que le partage se révèle être un puissant ‘driver’ de ta pratique, dire ‘non’ se veut presque contre nature. C’est souvent mal compris, car l’intention de la personne qui te formule la proposition est, la majorité du temps, très bienveillante. Donc tu aurais envie de dire ‘oui’.
Mais avec le recul et l’expérience, tu comprends que céder à cette tentation va te peser mentalement, que tu ne pourras respecter ton engagement dans la mesure que tu souhaiterais et qu’au final, il vaut mieux avoir le courage et l’humilité de dire ‘non’ tout de suite...
Pour finir cette interview, je me permets une ultime question sur la ‘Méthode Blanchard’. Tu donnes l’impression d’assumer une part d’optimisation de la performance et de quêtes des gains marginaux dans un sport qui, jusqu’alors, valorisait beaucoup l’approche romantique voire bohème de simplement se déplacer vite et longtemps en montagne. Selon toi, quel est le pilier de ta méthode, de ce chemin singulier que tu sembles t’être tracé ?
Ma plus grande force, c’est que je suis chanceux d’avoir un bon 6ème sens. D’une certaine manière, mon plus grand talent, c’est mon intuition. Je n’ai pas envie que cela paraisse spirituel, mais je me lève le matin et mon cerveau met en route cette faculté à réaliser un rapide scan du corps et du mental qui va permettre de déterminer ce qui est bon pour moi aujourd’hui.
Au début de l’année, je me fixe 2 ou 3 objectifs principaux, j’en déduis un rétroplanning assez précis d’entraînement et de points de passages, ce qui me donne un cadre, une feuille de route, puis en fonction de cela, je m’adapte. J’avance, je m’écoute, je me fais confiance, et surtout, le plus important, je kiffe.
La passion est mon plus puissant carburant.