Il a 47 ans, mais ses performances laissent penser qu’il en a 20 de moins. Ludovic Pommeret défie les lois de la physique. Certains disent qu’il les réécrit de ses prouesses athlétiques. En effet, cet automne, pour se prémunir de la crise de la cinquantaine, le sympathique coureur savoyard a trouvé un remède efficace : faire son entrée au panthéon des plus grands ultra-traileurs de l’Histoire en devenant l’un des seuls à remporter les deux mythes de la discipline, l’UTMB et la Diagonale des Fous. Au sommet depuis 2 décennies, « Ludo » est solide comme un roc. Rien ne l’ébranle. Pas même le temps qui passe. Comme s’il avait déniché la pierre philosophale. Il partage avec nous les secrets de son élixir de (longue) vie.
SNOWBOARD, FORT’ICHE & PRÉDISPOSITIONS
Ludo, peux-tu nous raconter comment tu en es arrivé dans le trail ?
C’était il y a si longtemps ! Tu m’obliges à fouiner jusque dans les archives les plus poussiéreuses de ma mémoire.(Sourire) Disons que j’ai toujours évolué dans un environnement montagneux puisque j’ai grandi à Valloire et fait mes études à Grenoble. En revanche, jusqu’à mes 25 ans, j’étais obnubilé par les sports de glisse, notamment le snowboard et la planche à voile. Mes beaux-frères, passionnés d’athlétisme, m’ont un jour motivé pour une course de montagne, à une époque – lointaine – où le mot ‘trail’ n’existait pas encore. On partait du Bourget, à bloc, jusqu’au refuge de l’Aiguille Doran, où je les ai battus au sprint. J’ai instantanément apprécié l’effort et l’ambiance qui régnait parmi tous les concurrents.
Si dans cette petite course de montagne à côté de la maison réside le point de départ de ta passion, quand et comment découvres-tu le trail dans sa version ultra ?
J’ai découvert l’ultra-trail dans le cadre d’un évènement précurseur, ayant précédé la création de l’UTMB de quelques étés : la Fort’iche. Le premier ultra des Pays de Savoie dont le concept était de relier, dans les années 2000, toutes les fortifications de Maurienne, jusqu’au Mont Cenis. Sans expérience aucune, je m’étais inscrit dans la catégorie ‘marcheurs’. Mais malgré ça, je n’ai su aller au bout, faute de préparation.
Mes beaux freres m'ont un jour motive pour une course de montagne a une epoque ou le mot trail n'existait pas encore
Quelques saisons plus tard, lorsque j’ai souhaité revenir, me sentant enfin prêt à régler mon contentieux avec cet abandon initial, l’épreuve avait disparu. Dès 2004, je me suis donc rabattu sur l’UTMB. Aujourd’hui, je recommande à tous les jeunes de se montrer patients et d’allonger les distances progressivement : un conseil que manifestement je n’ai su m’appliquer.
À quel moment tu te détectes un talent inné pour cette discipline et décides de tout mettre en œuvre pour l’exploiter ?
Un talent inné je ne pense pas, néanmoins lorsqu’en 2007, je boucle le Grand Raid 73 en première position, devant Dawa Sherpa, une référence et une idole, à jamais le premier vainqueur de l’UTMB, je me dis qu’effectivement, j’ai peut-être trouvé une discipline pour laquelle j’ai certaines prédispositions.
Tu découvres le trail dans les années 2000, à 25 ans ; tu te détectes un vrai talent en 2007, à 32 ans ; et en 2022, à 47 ans, quinze années plus tard, tu as tout gagné et démontres un niveau de performance d’une constance incroyable. Qu’est ce qui te permet de durer à si haut niveau aussi longtemps ?
En 2018, j’ai traversé une petite période de saturation. J’évoque ce souvenir car c’est durant cette période, pleine de doutes, que je me suis posé des questions assez introspectives sur mes sources profondes de motivation, celles qui me poussaient à continuer... Je ne savais plus trop pourquoi je courais, pourquoi j’acceptais encore de « me faire mal » en compétition. Je cherchais du sens.
Et donc, quelles réponses as-tu apporté à cette quête de sens ? Qu’est-ce qui t’a fait repartir pour un tour ?
Plusieurs choses. Avant tout, j’aime l’ambiance qui règne pendant les courses ainsi que la relation amicale, presque complice, avec les autres coureurs. On est à la fois concurrents et alliés. J’en ai encore fait l’agréable expérience cette année sur l’UTMB, en partageant un très long bout de chemin avec deux copains, Grégoire Curmer et Diego Pazos. L’environnement exceptionnel dans lequel on évolue aide aussi à régénérer la motivation. J’ai aussi identifié un amour profond pour la compétition. J’aime mettre des dossards et me confronter. Enfin, il y a forcément une infime part génétique dans cette longévité. Je dois avoir une bonne constitution, assez robuste. Passé un certain âge, on ressent forcément de légères douleurs, de petites gênes, mais j’ai récemment passé une IRM de contrôle chez un ami radiologue, lui aussi coureur, Thibaut Garrivier et il m’a affirmé que mes genoux étaient plutôt bien conservés au vu de mon âge et de ma pratique ! (Sourire)
Justement, si l’on revient sur cet amour profond de la compétition : n’es-tu pas fatigué d’épingler des dossards et d’aller à la bagarre ? N’aspires-tu pas à une pratique plus hédoniste de la montagne ? Continueras-tu à t’entraîner après ta carrière ?
J’ai toujours adoré la compétition. C’est quelque chose ancré au plus profond de moi mais que j’explique assez difficilement. Avant d’être encadré par mon coach, Philippe Propage, mon programme se voulait assez simple : je ne m’entrainais pas ! Je faisais des courses toutes les 2 semaines et entre, je m’attachais à récupérer. (Un temps de réflexion) Je crois que ce qui me meut véritablement, c’est la possibilité de dépasser les limites que t’offre l’adversité d’une compétition. C’est pour cela que j’aime m’entraîner dans la mesure où j’ai un objectif. L’entraînement est le chemin qui mène au sommet, la démarche qui conduit à la finalité : le jour de la course. Si je n’ai pas ce cap, je concède une nature assez fainéante. Je préfère rester à la maison, bricoler ou faire une sortie très cool en montagne avec ma femme.
Sans expérience aucune, je m’étais inscrit dans la catégorie ‘marcheurs’.
SECRETS DE LONGÉVITÉ, CANAPÉ & AMERICAN DREAM
Peux-tu nous révéler tes secrets concernant tous les « à-côtés » du haut-niveau qui te permettent de durer ? J’entends par-là l’alimentation, la récupération, le sommeil...
Sur cette thématique non plus, je suis loin d’être un exemple. J’ai toujours fonctionné avec une vision assez souple mais sérieuse à ces égards. Je ne me fixe pas de cadre strict ou contraignant, mais j’essaye d’opérer selon mes envies, à l’écoute de mon corps, avec un minimum de bon sens. Très concrètement, par exemple, je ne fais pas de PPG (Préparation Physique Générale), je m’étire très peu, sauf lorsqu’une petite raideur apparait, et j’ai conscience d’avoir une alimentation parfois éloignée du modèle idéal, au sens où je mange peut-être trop sucré, et beaucoup de charcuterie… Concernant le sommeil, c’est un point intéressant puisque je le considère comme le baromètre de mon état de fatigue. Je suis un gros dormeur, 8h par nuit minimum. Or lorsque je commence à basculer dans le surentrainement, à l’issue de semaines vraiment denses environnant les 30h de sport, mon corps m’envoie des signaux de vigilance car j’ai alors plus de mal à trouver le sommeil. J’ai plus de mal à dormir lorsque je suis vraiment fatigué. C’est presque paradoxal !
Quels sont les conseils que tu donnerais aux jeunes coureuses et jeunes coureurs qui rêvent d’ultra-trail ou plus globalement d’ultra-endurance ?
Le premier des conseils serait une approche progressive - ce que je n’ai pas su mettre en place de mon côté - et raisonnable, au sens de ne pas en faire trop. A cet égard, c’est plus facile pour moi puisqu’avec mon travail en Suisse, qui m’occupe minimum 41h par semaine, et ma famille, ma femme et mes deux filles avec qui j’adore passer du temps, j’accède à une autorégulation qui me convient plutôt bien. Je ne crains pas d’en faire trop puisque je n’ai pas le temps, tout simplement. Mon volume d’entraînement quotidien atteint une quinzaine d’heures, sauf lors des périodes de stages, forcément plus copieuses.
As-tu d’autres conseils à partager, liés à ta grande expérience et tes nombreux apprentissages ?
Oui, évidemment. Le deuxième conseil est de ne pas construire sa saison autour d’un seul et unique objectif mais plutôt 2 ou 3, avec en plus des objectifs intermédiaires. Au début, j’ai commis l’erreur de mettre tous mes œufs dans le même panier vis-à-vis de l’UTMB et j’ai alors très mal vécu mes échecs. Troisièmement, il s’agit d’écouter son corps mais pas trop : trouver le juste équilibre. Si on s’arrêtait de courir à la moindre petite gêne, on passerait la grande majorité de la saison dans le canapé. Enfin, le quatrième et dernier conseil est de développer une pratique croisée. Pour ma part, j’adore réaliser une coupure hivernale en termes de course à pied et aller chercher d’autres leviers de progression dans un sport différent qu’est le ski alpinisme. Tu fais croître d’autres qualités et en plus, tu te régénères mentalement, pour revenir avec une folle envie de chausser tes baskets au printemps.
Je considere ma qualite de sommeil comme le barometre de mon etat de fatigue.
Défier le temps qui passe est une profonde motivation en soi.
si on s’arrêtait de courir à la moindre petite gêne, on passerait la grande majorité de la saison dans le canapé.
Comment vis-tu ce statut de doyen qui dénote totalement dans le milieu ?
Être ce coureur plus âgé que tous les petites jeunes veulent « taper », ça me donne un immense goût du défi ! C’est un challenge que de ne pas se laisser faire. Défier le temps qui passe est une profonde motivation en soi…
J’aimerais revenir sur un évènement qui a changé ta vie. En 2016, tu gagnes l’UTMB, l’épreuve référence de la discipline, à l’issue d’une course au scénario incroyable. Peux-tu nous immerger dans ces 22 heures et 2 secondes de course qui resteront gravées à jamais ?
J’aborde la course avec un statut d’outsider qui me convient plutôt bien. Néanmoins après un premier quart de course correct, j’arrive au premier ravitaillement des Contamines avec d’énormes crampes d’estomac. Je ne peux plus avaler quoi que ce soit. Je repars alors en 50ème position, à plus d’1h des leaders. Au fond de moi, je suis en revanche animé d’une détermination profonde : je n’abandonnerai pas, j’irai au bout, même si je dois finir dernier, et en deux jours ! Ma femme, constatant que je suis dans un véritable état de détresse vient m’encourager aux Chapieux, un endroit reculé et difficile d’accès, alors que ce n’était pas prévu. Une anecdote marrante à ce sujet : mon coach lui envoie alors un SMS pour m’enjoindre à arrêter. SMS qu’elle ne reçoit pas faute de réseau. Dieu merci pour la suite de l’histoire ! Je continue donc mon petit bonhomme de chemin et, revigoré par ces encouragements, retrouve du poil de la bête à mi-chemin, à Courmayeur. J’entame alors une remontée que même dans mes songes les plus fous, je n’aurais osé imaginer. À Champex, au km 120, on m’annonce à 14 minutes de la tête. Au fond de moi, tout devient possible ! Je rattrape le leader provisoire à Trient, à 30 km de l’arrivée. Avant la montée finale, lorsque je croise ma femme, je lui demande de klaxonner lorsque le deuxième s’attaque à l’ultime difficulté. Elle s’exécute et j’estime mon avance à 25 minutes. À partir de là, je me suis accroché aussi fort que possible à mon rêve de victoire et me suis laissé porter, non sans vigilance, jusqu’à cette ligne d’arrivée absolument incroyable, à Chamonix. J’y ai alors vécu le plus beau moment de toute ma carrière.
Tu remportes ensuite un autre mythe, la Diagonale des Fous, 5 ans plus tard, en octobre 2021. Un autre temps fort et inoubliable j’imagine ?
Forcément. Ces épreuves sont absolument incomparables de par leur ferveur populaire, leur terrain, leurs conditions météorologiques, néanmoins, un point commun les rapproche : l’histoire personnelle et symbolique que j’ai développée avec chacune. L’UTMB, j’y ai toujours échoué – 4 fois exactement – avant de réussir. La « Diag’ », elle, m’a plutôt souri puisque j’ai terminé 3 fois deuxième avant d’y lever les bras. Une victoire de surcroit partagée avec un autre coureur, Daniel Jung. Bref, un autre souvenir totalement incroyable.
Une ultime question Ludo : songes-tu arrêter un jour ? As-tu encore des rêves ? Considères-tu qu’il te reste des choses à accomplir ?
Oui, je vais arrêter un jour... Mais pas tout de suite ! (Sourire malicieux) Je suis reparti pour au moins 3 ans. Avec un rêve en tête : le rêve américain, le fameux ‘American Dream’. Il y a sur ce continent, de l’autre côté de l’Atlantique, deux courses emblématiques pour lesquelles je ressens un très fort pouvoir d’attraction : la ‘Western States’ et la ‘Hard Rock’. J’ai la chance d’avoir obtenu un dossard pour la première, grâce à ma 4ème place à l’UTMB. C’est en juin, et j’ai déjà hâte d’y être. Ce défi me donne une énorme motivation. Une motivation de cadet comme on dit dans le jargon !