Le monde du skate est en pleine évolution. Les skateuses prennent le pouvoir, cassent les codes et revendiquent leur droit de fouler les parks et de rentrer des tricks. Une démocratisation féminine massive de cette contre-culture qui, dans son sillage, laisse place à un mouvement bien déterminé à faire sa place dans un sport à tendance majoritairement masculine.
Apparue dans les années 60, la culture skate était déjà, à cette époque, plébiscitée par quelques skateuses au style incomparable. Elles s’appellent Peggi Oki, seul membre féminin des fameux Z-boys, Kim Cespedes, Robin Alaway, Vicki Vickers ou encore Laura Thornhill et elles s’affrontaient volontiers à leurs homologues masculins lors de compétitions de street sous le soleil de Californie. Depuis, le skateboard n’a laissé que peu de place aux femmes, tant sur le terrain, dans les parks ou la rue, que dans les médias, les marques ou le matériel. Jusqu’à récemment où une tendance, probablement véhiculée en grande partie par les réseaux sociaux, a remis la planche à roulettes sous les projecteurs.
Des marques, jusqu’ici seulement connues des skateurs comme Trasher, Dickies, Santa Cruz deviennent tendances et ouvrent une brèche vers l’industrie autrefois marginale du skateboard. Une brèche qui révolutionne aussi la pratique puisqu’elle va la rendre plus accessible, moins confidentielle et donner envie à de nombreux ados et jeunes de s’y mettre. Et parmi eux, tout un pan de la population féminine qui pensait ce sport, encore jusque là, trash, dangereux et réservé aux hommes.
Il est tout à fait clair que l’avènement d‘Internet d’abord, puis le développement des réseaux sociaux ensuite, ont largement contribué à populariser le skate, tout comme bien d’autres cultures. Clivages, frontières, fausses idées ont alors volé en éclat pour laisser place à la fascination et à l’engouement. Une tendance qui n’a, du coup, pas échappé au Comité International Olympique. Ce dernier, soucieux de rajeunir le public des jeux et leur donner un nouveau souffle, a rapidement pris la mesure du phénomène et s’est empressé d’ajouter la discipline à la longue liste des sports déjà existants comme le tir à l’arc, la natation ou le triathlon. Une aubaine pour une institution vieillissante et un tournant décisif pour la pratique.
C’est grâce à des personnalités fortes, passionnées, qui ont ouvert la voie aux suivantes, que le skate peut aujourd’hui se conjuguer au féminin.
Une histoire de mentalités
Lorsqu’on les écoute, la majorité des skateuses qui baignent dans ce milieu s’accorde à dire, selon l’expérience, que la réticence à les voir rider un skatepark provient plus de la société, de leur famille, et de l’image qu’elles pourraient leur renvoyer, plutôt que des skateurs eux-mêmes. A en croire les filles, ils seraient plutôt amusés et contents de voir une personne du sexe opposé s’attaquer à tel ou tel module. Enfin, pour la majorité. Certains voient encore cela d’un mauvais œil, peut-être un problème de virilité mal placée ? Quoi qu’il en soit, il semblerait que ce soit plus notre monde de conventions et d’a priori en tous genres qui bride les skateuses en herbe. Heureusement, les codes changent et les mentalités évoluent. Et c’est grâce à c des personnalités fortes, passionnées, qui ont ouvert la voie aux suivantes, que le skate peut aujourd’hui se conjuguer au féminin.
Elissa Steamer est l’une d’elles. Cette américaine de 44 ans est devenue skateuse professionnelle en 1998 et a ensuite enchaîné les compétitions et les victoires. Elle était, à l’époque, l’une des seules femmes à vivre de sa passion. Cara-Beth Burnside est aussi une légende. Bercée par la culture de la glisse en Californie, elle a remporté pas moins de 16 titres au cours de sa carrière pro et fut une des toutes premières à avoir son propre modèle de chaussures de skate.
Plus récemment, il y a Lacey Baker. Cette jeune pro skateuse de 26 ans s’est élevée contre les stéréotypes et l’image de la femme dans le milieu. Bourrée de talent, gagnant contest sur contest, elle n’arrivait pourtant pas à vivre de son sport. Selon elle, les sponsors la boycottaient car elle avait rasé ses longs cheveux blonds et décidé de ne s’habiller que dans des vêtements larges où elle se sentait à l’aise. Mais, à force de ténacité et de persévérance, Lacey est aujourd’hui sponsorisée par une grosse marque du milieu et peut enfin être elle même.
Ce sont tous ces parcours sur les 20 dernières années qui ont aussi amené le skate féminin où il en est en 2020.
Aujourd’hui, elles se nomment Leticia Bufoni, Shani Bru, Charlotte Hym, Lizzie Armanto. Elles font partie de la nouvelle génération, mise en lumière par les réseaux sociaux, et par bien des aspects, elles n’ont rien à envier à leurs homologues masculins. À force de tricks assurés ou ratés, de sueur et de travail, ces filles sont devenues les figures de proue d’un mouvement mondial bien plus large.
Cohésion et mouvement de masse
On dit que l’union fait la force, cela ne peut pas être plus vrai que lorsqu’on porte un regard sur le monde du skateboard et le mouvement féminin qui rugit en son sein depuis quelques années. Les skateuses sont bien déterminées à faire ce que bon leur semble sur leur planche. C’est ensemble qu’elles poussent les barrières et imposent leur style. Unies juste pour le plaisir de rouler, unies pour prouver qu’elles aussi ont le droit de revendiquer leur passion pour le skate.
C’est à Venice, en Californie, que GRLSWIRL voit le jour en Février 2018. Neuf skateuses sont à l’origine de cette communauté destinée à rassembler néophytes et expertes de la planche à roulette dans un sport pouvant être intimidant, dominé par les hommes. Ces filles revendiquent l’accessibilité à leur pratique sans barrières de genre, pour une nouvelle vision du skateboard. Pari réussi puisque ce sont aujourd’hui des milliers de « skate addicts » qui les suivent et les soutiennent sur les réseaux.
En France, une initiative similaire fédère les skateuses de la région parisienne depuis bien plus longtemps, l’association Realaxe. Née en 2014, l’organisation milite là aussi pour une démocratisation du skate à la gent féminine, au travers notamment d’événements fédérateurs dans le milieu.
Contests, soirées, sessions, cours, via de nombreuses activités, l’idée est aussi de créer un réseau entre les skateuses pour favoriser l’accès à la pratique. Une des fondatrices du projet, Sophie Berthollet, constate que, depuis environ 2 ans, l’engouement s’intensifie autour de ce sport de rue. Le nombre de pratiquantes ne cesse d’augmenter et l’asso de prendre de l’importance.
Preuve en est, les marques commencent à les contacter pour sponsoriser la structure. Une reconnaissance méritée qui enthousiasme Sophie. Cette skateuse de la première heure est encore surprise de voir certaines jeunes filles bridées par leurs proches et leur famille car « le sport, ce n’est pas fait pour les filles » et donc encore moins le skateboard.
Un constat aberrant en 2020, que la présidente de l’association est fière de faire évoluer grâce à Realaxe.
Au-delà de la pratique, le but de ces mouvements est aussi de permettre aux femmes de s’affirmer, de faire quelque chose pour elles, et de vaincre leurs peurs. La condition féminine a encore, dans certains pays, du chemin à faire pour vaincre l’oppression et permettre à chacune de vivre libre. En ce sens, et pour bien d’autres raisons, le skate est un formidable moyen de fédérer une communauté, partager et s’exprimer.
Depuis 2007, l’ONGI au doux nom de Skateistan dispense un programme d’éducation par le skateboard aux enfants défavorisés de pays en difficultés. Olivier Percovich, créateur du projet, lança ce programme dans la ville afghane de Kaboul.
Grâce à la structure, ce sont, depuis, des centaines d’enfants qui s’échappent de leur quotidien et plus particulièrement des filles, d’autant plus brimées dans ce genre de pays. Elles y trouvent le soutien et l’aide nécessaires pour se sentir plus fortes et prendre confiance en elles par l’intermédiaire du skate.
Et, après plus de dix ans d’existence et de succès, le concept est exporté en Afrique du Sud et au Cambodge.
Il a aussi fait l’objet, en 2019, d’un film documentaire de la réalisatrice Carol Dysinger, récemment primé aux Oscars. Tout est dans le titre de ce court-métrage, Learning To Skateboard In a Warzone (If You’re a Girl).
Une occasion de mettre en lumière cette initiative qui donne à ces fillettes une chance de sortir de leur condition et qui continue, encore aujourd’hui, d’écrire la suite de nombreuses histoires humaines hors du commun et dont le dénominateur commun est le skateboard.
En reprenant les mots d’Elissa Steamer, les skateurs veulent avant tout partager leur amour de ce sport. Selon elle, « c’est comme ça que le skateboard a toujours fonctionné. Un milieu où, en somme, race, genre, handicap deviennent hors sujet. Cette passion pour la planche nous apprend chaque jour à dépasser le racisme, le sexisme et ce genre de clivages. »
Olivia Bergamaschi