Topo ski de rando un an après l’explosion de la pratique
L’hiver d’après. Car plus rien ne sera jamais comme avant. Placé sous le feu des projecteurs par le contexte sanitaire et la fermeture des remontées mécaniques, le ski de randonnée a vécu une saison 2020-2021 extraordinaire. Ou plutôt hors de l’ordinaire. Entre engouement historique, popularisation soudaine et dérives sécuritaires, comment ce sport à l’accoutumée si paisible, qui se cache pour vivre heureux, va-t-il digérer sa notoriété nouvelle ? L’enthousiasme ayant jailli l’année dernière était-il de circonstances ou va-t-il s’enraciner durablement ? La « hype » va-t-elle continuer ou au contraire s’essouffler ? Éléments de réponse avec Aurélien Colin, rédacteur en chef du Community Touring Club, média N°1 du ski de randonnée.
Il faut faire tomber cette barrière mentale selon laquelle le skieur de randonnée ne paye pas de forfait et ne rapporte donc pas de chiffre d’affaires à la station.
« 2021 : UN CAP A ÉTÉ PASSÉ »
« L’enthousiasme autour du ski de randonnée fut exceptionnel. La discipline s’est clairement démocratisée : beaucoup de skieurs habituellement alpins se sont essayés pour la première fois aux peaux de phoque. Tout l’enjeu sera de déterminer si cette découverte se transforme en pratique régulière et si ces néophytes occasionnels deviennent adeptes réguliers. Il est encore difficile de prendre du recul et faire émerger des chiffres objectifs puisque personne n’avait anticipé un engouement aussi fort et soudain. Nos meilleurs et seuls indicateurs jusqu’à présent ? Les ruptures de stock sur le matériel spécifique et le ressenti du terrain : je n’aurais jamais pensé pouvoir observer de mes yeux tous ces gens remontant les pistes comme si les télésièges n’avaient jamais existé… »
« 2022 : TRANSFORMER L’ESSAI »
« Afin d’éviter que le soufflet ne retombe lorsque le ski alpin sera à nouveau possible, il faut que tous les socio-professionnels du métier, des stations aux marques en passant par les magasins spécialisés, jouent le jeu. Pour que les néophytes de 2021 deviennent les fidèles de 2022, il est nécessaire de mettre des choses en place. Et cela démarre par une prise de conscience générale. Il faut faire tomber cette barrière mentale et abroger ce frein psychologique que l’on retrouve chez de nombreux acteurs de la montagne selon lequel le skieur de randonnée ne paye pas de forfait et ne rapporte donc pas de chiffre d’affaires à la station. Il consomme différemment certes, mais il consomme. Me concernant, j’ai une intuition selon laquelle le ski de rando va effectivement continuer de croître. Car sa promesse est dans l’ère du temps : le besoin d’évasion, une démarche plus responsable, la quête de bien-être… C’est vraiment une estimation à la louche, mais je ne serais pas étonné que 30 à 40 % des premières fois mutent en sorties régulières. »
Auparavant, il était inconcevable pour une station de ne pas avoir son snow-park. Désormais, il en va de même pour l’itinéraire balisé de ski de randonnée.
« LE MATÉRIEL : UNE INFLATION DIGNE DE L’IMMOBILIER ANNÉCIEN »
« Personne n’avait anticipé ce scénario. Face à la croissance pérenne et régulière, les marques avaient déjà prévu d’augmenter leur volume de production, mais pas dans de telles proportions. Ce qui, forcément, a engendré une pénurie de l’ordre du jamais vu. J’oserais presque tenter un parallèle entre la flambée des prix du matériel d’occasion et celui de l’immobilier à Annecy. Je ne sais lequel des deux a connu la plus grosse inflation en 2021 ! »
« LES STATIONS : OUVRIR UNE VOIE »
« Le ski de rando n’ouvre pas de nouvelles voies qu’en haute-montagne : économiquement parlant, il ouvre également des perspectives. La grande majorité des stations a compris qu’il devenait indispensable d’avoir un ou plusieurs itinéraires balisés à proposer. Face à l’ampleur du phénomène, un comité de pilotage planche d’ailleurs sur les nouvelles normes qui encadreront la pratique. Gino Decisier, mon prédécesseur chez CTC, m’a un jour dit quelque chose qui m’a marqué et se vérifie aujourd’hui : ‘Auparavant, il était inconcevable pour une station de ne pas avoir son snow-park. Désormais, il en va de même pour l’itinéraire balisé de ski de randonnée.’ Chez CTC, on recense 140 itinéraires balisés, contre 80 en 2016 ! Néanmoins, on demeure à des années lumières de la Suisse, où Crans Montana a conçu un rando-park de 15 itinéraires sécurisés et accessibles grâce à un forfait ; ou de l’Autriche, où les domaines skiables accueillent chacun leur tour entre 500 et 1500 skieurs de randonnée, chaque soir, à l’heure d’offrir l’accès aux pistes en session nocturne. »
« LA SÉCURITÉ : LE REVERS DE LA MÉDAILLE »
« Le point négatif d’un enthousiasme aussi soudain, c’est l’attitude non-adaptée de certains néophytes qui ont mis en danger leur intégrité physique, et celle des autres par la même occasion, via des comportements totalement inadaptés en montagne. Il y a un véritable travail de pédagogie à mener sur la sécurité et la responsabilité. Là réside pour moi l’enjeu principal de 2022 : sensibiliser et former les néophytes à la météo, à la nivologie des risques d’avalanche, au matériel de sécurité… Avec le CTC, nous avons réalisé une étude qui montre que 25% des pratiquants ne savaient pas utiliser l’indispensable triptyque pelle-sonde-DVA ! »
Je ne serais pas étonné que 30 à 40 % des premières fois mutent en sorties régulières.
« LES PURISTES : QU’ILS SE RASSURENT »
« Cette notoriété pourrait faire peur aux fidèles de la première heure, qui se complaisent dans une discipline presque anonyme. Qu’ils se rassurent, il n’y aura pas plus de monde sur les lignes de crête effilées et les itinéraires glaciers, là où le ski de randonnée rencontre sa vocation originelle : accéder aux refuges, faire sa trace et se mouvoir en haute montagne. La majorité des néophytes sont des amateurs d’autres sports outdoor qui ont découvert une alternative cardio et hivernale à leur passion. Et c’est très bien, car un monde qui skie avec des peaux sous les spatules est un monde qui va mieux ! (Clin d’oeil) »
Texte Baptiste Chassagne