Briançon est une terre de champions. Des champions de sports d'hiver, avec Luc Alphand, Pierre Vaultier ou encore le fondeur Richard Jouve. Des champions de sports d'été, dont fait partie Léna Gérault. À 28 ans, la vététiste multiple championne de France aborde la saison 2023 avec ambition, accompagnée d'un nouveau staff et d'une nouvelle écurie : Berria Vittoria Factory Team. MKSport est parti à sa rencontre avant l'étape inaugurale de Nove Mesto.
Tout d'abord, qui es-tu Léna Gérault pour ceux qui ne te connaissent pas ?
Alors, Léna Gérault, j'ai 28 ans, je suis vététiste spécialisée en cross-country olympique, même si je suis aussi championne de france en Marathon.
Quels sont les différences entre les deux disciplines ?
Le cross-country olympique est pratiqué pendant les Jeux olympiques, c’est ce qu’il y aura à Paris 2024 ! On court sur une boucle de 3,5km/4km, avec on va dire environ 50 mètres de dénivelé positif partout.
On a une durée plus ou moins fixe, où on doit faire une heure et demie de course, après selon les conditions météo et selon les types de circuits, on va faire entre 4 et 5 tours de circuit chez les femmes.
Pour ce qui est du marathon, on part d’un point A et on fait une grande boucle dans la montagne. La distance minimale est de 100 kilomètres en Coupe du Monde, moins technique, mais avec 2500 voire 3000 mètres de dénivelé.
Mais, personnellement, je me concentre vraiment sur le cross-country olympique.
Pourquoi avoir choisi le cross-country ?
Je viens de Briançon dans les Hautes-Alpes, je suis une montagnarde. J'étais plus orientée ski mais on a quand même une très belle saison du mois d’avril jusqu’en octobre/novembre. Il y a de nombreux chemins à faire et de magnifiques paysages.
Comme pour beaucoup, il y a toujours une part familiale. Mon père en faisant, mon frère aussi, j'avais envie de suivre, puis j'ai accroché parce que j'ai trouvé un groupe où l’ambiance me plaisait dans le club à côté de chez moi.
Ça dépend aussi du lieu où on habite, on ne va pas faire de ski au Mans (rires).
C’est pour ces raisons que tu ne t’es pas dirigée vers le cyclisme sur route, qui a une exposition plus importante ?
Le Tour de France et ses cols mythiques comme le Galibier, l’Izoard ou le Granon sont connus mondialement, mais le Briançonnais est surtout une terre de chemins. On a d’ailleurs obtenu le label « Terre de Jeux » pour les JO 2024, et on organise de nombreuses Coupe de France en VTT.
Je fais beaucoup de route, j’en ai d’ailleurs fait beaucoup en ce début d’année (NDLR : Léna a remporté en février le classement de la montagne et la dernière étape du Trofeo Ponente in Rosa, une UCI 2.2), c’est une discipline que j’affectionne aussi, peut-être que j’y retournerais plus tard, surtout vu l’effervescence actuelle, mais sinon on fait beaucoup d’allers-retours en vallée, il y a surtout beaucoup de cols, et c’est moins amusant quand on est jeune !
Les JO, ça représente quelque chose de grand, et encore plus car ils auront lieu à Paris, c’est le rêve de toute vététiste ?
C’est le rêve de tout sportif, même si la compétition perd un peu de son attrait quand on voit des nations comme la France qui n’ont que deux quotas, alors qu’on pourrait avoir 6 filles aux Jeux !
C’est la fête du sport mondial, surtout dans notre pays, où on a déjà vécu des mondiaux de VTT magiques aux Gets l’année dernière.
Mais clairement en France, je suis outsider, je ne fais pas partie des deux potentiels les plus en vue actuellement.
C'est un risque, certes. Mais je sentais le besoin de tourner la page, d’essayer autre chose.
Si on fait du sport, on est compétiteur, donc on ne baisse jamais les bras, mais je ne me focalise pas sur les Jeux, j’y vais étape par étape, je me focalise sur la Coupe du Monde, où on se qualifie d’ailleurs pour les JO, et les Championnats du monde.
Justement, dans une optique de passer un cap en Coupe du Monde, cette saison est particulière pour toi, tu viens de changer d’entraîneur, tu changes également d’équipe et donc de matériel, c’est un choix qui est toujours risqué, pourquoi avoir pris cette décision ?
Je sentais le besoin de tourner la page, d’essayer autre chose. C’est un risque certes, mais j’attends maintenant de voir si la préparation hivernale a payé cette semaine, à Nove Mesto.
Je fais ces changements cette année pour pouvoir me laisser une grosse année et demie de travail notamment avec Paris 2024.
J'ai changé d'entraîneur parce que ça faisait huit ans que je collaborais avec le même entraîneur, j’avais atteint un bon niveau grâce à lui, mais voilà, on se demande à un moment comment je peux aller gratter une place ou deux. Je peux peut-être régresser aussi, mais j’avais atteint un plafond de verre.
L’objectif, c’est d’aller chercher ces deux, trois pourcents de performance qui différencie le top 5 du top 10. C’est ce que par exemple peut amener ma nouvelle marque de cadre.
J’ai aussi pris un coach technique, Quentin, qui nous suit sur les Coupes du Monde, qui va nous permettre d’affiner nos trajectoires, qui va vraiment pouvoir commencer cette année à nous aider. 2023 va nous permettre d’exploiter ce potentiel en fonction de mes qualités.
Sur un weekend de course, si on doit courir en XCC et XCO, on a besoin de quelqu’un pour optimiser notre reconnaissance. Avant ça, je devais faire 6 à 8 tours de reconnaissance, j’en fais maintenant que 4 grâce à Quentin, qui nous aiguille sur ce point-là.
Tu avais aussi besoin d’un changement au niveau mental, très important dans le haut niveau ?
Oui, la confiance et le mental c’est super important, ça fait partie des petits détails qui font la différence si tu gagnes. Il faut avoir confiance en son matériel déjà, si tu montes sur ton vélo et que tu n’as pas confiance, tu te dis « Aujourd’hui, ça va être compliqué, il ne va rien rendre, les suspensions ne vont pas marcher », tu perds des centièmes.
Je n’ai pas de coach mental, mais j’en parle avec mon entourage, j’ai un staff 100% français aussi parce que j’ai besoin de pouvoir parler avec eux facilement. J’en parle aussi beaucoup avec des amis proches qui ont déjà été dans le haut niveau, parce qu’ils sont proches de moi et savent ressentir les choses.
J’ai 28 ans maintenant, j’ai l’expérience, mais ce n’est pas pareil pour quelqu’un qui arrive en espoir à 19 ans et qui découvre vraiment le haut niveau et tous ses enjeux, avec la pression et l’envie de performer.
Le changement, ça remet un coup de boost, ça redonne le sourire.
De jeunes talents émergent et deviennent professionnels de plus en plus tôt, notamment avec l’effervescence des réseaux sociaux, est-ce que tu penses que c’est une bonne chose pour ton sport ?
De plus en plus de jeunes percent tôt, surtout avec les réseaux sociaux, qui changent beaucoup de choses dans le sport en général.
Maintenant, dès que tu as du potentiel, tu peux gagner énormément, notamment dans les sports médiatisés. C’est sûr que ça te met de la pression, mais c’est aussi parce que ces jeunes rapportent beaucoup aux marques avec qui elles travaillent que ça arrive.
Le risque, c’est d’arrêter à 25 ans parce que le corps a été mis à rude épreuve trop jeune. Avant, la majorité des sportifs émergeait plus tard, et finissait leurs carrières vers 35, 36 ans. Ça risque de se raréfier.
Il faut faire attention à ce que le sport reste une passion, c’est un gros chantier pour tout mettre en place.
Certains sports sont habitués à ce genre de croissance éclair, c’est notamment le cas de la natation où certains grands champions ou grandes championnes le sont dès l'âge de 15 ou 16 ans…
Oui, c’est vrai. C’est culturel, un peu comme la gymnastique.
C’est un sport très technique, c’est un peu différent du VTT, mais le physiologique rentre en jeu, tu dois maîtriser la technique très jeune. C’est de la motricité, ça s'apprend très jeune, donc tu seras bon dans ta discipline plus jeune à cause de ça.
Pour de l’endurance, il faut accumuler de la force, ça prend plus de temps, même si des jeunes nous font mentir sur le circuit World Tour en cyclisme.
Ta préparation se termine avec Nove Mesto, première épreuve de la Coupe du Monde 2023, comment évalues-tu ta préparation, tes réglages et tes dernières sorties ?
C’est vrai que j’ai pu prendre mon temps cet hiver, bien bosser la technique avec Quentin et mettre les choses en place avec mon nouvel entraîneur.
Je pense qu’on est sur la bonne voie avec lui, on a rapidement appris à se connaître. Après je lui ai dit ce qui marchait ou pas avec moi, il a aussi son expérience, il connaissait déjà mes points forts et mes points faibles. Je n’ai pas trop couru, à Guéret, ce n’est que ma quatrième course.
J’y ai fait une course pleine, surtout que le terrain est assez similaire à Nove Mesto, en forêt, avec des racines et quelques passages engagés sur des cailloux.
Je me sens bien, je me sens plutôt confiante sur mon état de forme, et je suis contente de ce qu’on est arrivé à faire. Après, on a un gros calendrier jusqu’en septembre, donc il y a encore le temps de monter en pression comme on dit !
Le changement, ça remet un coup de boost, ça redonne le sourire.
D’un point de vue technique, quels sont les changements majeurs que tu ressens précisément ?
On roule pour la marque espagnole Berria, une petite marque de deux frères anciens professionnels qui sont axés sur la compétition, et on sent que ce sont des vélos qui veulent aller vite et qui en ont besoin pour tirer leur plein potentiel.
Le cadre a déjà gagné des manches de Coupe du Monde. Dès que tu le testes, tu te dis « le vélo a été pensé pour la compétition ».
Il est plus court que mon ancien vélo, je suis plus allongé, il sera plus nerveux sur la relance et il sera aussi un peu moins stable en descente, mais c’est à nous de le maîtriser à haut niveau, on est capable de le faire. C’est comme si tu prends deux chevaux, un pur sang arabe et un cheval de trait, avec mon nouveau vélo, on a un pur sang arabe.
Il a aussi fallu s’adapter d’un point de vue physique, où il faut travailler vraiment le haut du corps. Le cross-country, c’est les jambes, mais aussi les bras !
La saison démarre un mois plus tard cette année vis-à-vis de la saison précédente. Tu ressens une différence, avec ce nouvel environnement notamment ?
La Coupe du Monde au Brésil l’année dernière démarrait un mois plus tôt. Je me sens autant, voir mieux. Niveau matériel, je me sens clairement plus confiante. Cette année, et c’est une des raisons de mon changement d’équipe, je voulais un vélo plus performant en compétition, même si de l’extérieur, on pourrait croire qu’il ne s’agit que d’un cadre. Mentalement, je suis plus confiante.
Le changement, ça remet un coup de boost, ça redonne le sourire. C’est comme quand tu changes de voiture, tu redécouvres chaque virage différemment.
Nove Mesto, ça arrive à grand pas ! Tu aimes ce circuit, tu y as fait de bons résultats en XCO, tu t’y rends depuis que tu es junior (4ème en 2020), c’est difficile de trouver des axes d’amélioration sur un circuit qu’on connait si bien ?
Autant dire que je connais ce type de course. Le circuit a quand même bien évolué, ils nous ont rajouté des sections « rock garden ». Les premières fois que j’ai couru là-bas, on courant encore en 26 pouces, on est en 29 pouces en tout suspendu maintenant. Il y a une évolution du circuit et une évolution matérielle.
C’est un de mes circuits favoris à rouler, c’est aussi celui qui m’a le plus réussi au niveau élite en cross-country, et même chez les espoirs. Après, 2020 était une année particulière, la manche était au mois d’octobre donc les conditions climatiques étaient différentes.
Le circuit a été refait l’an dernier, il était fatigué de tous les passages précédents donc ils ont enlevés des racines. Cette année, avec la nouvelle organisation, il y aura aussi d’autres changements, ça représente un quart du circuit.
Même si c’est des lieux qu’on adore, ça devient redondant de faire des tours de circuits depuis tant d’années, mais les changements nous permettent de ne pas trop se lasser.
Nove Mesto, c’est une des ambiances les plus incroyables du circuit. Les Tchèques sont des vrais fans de VTT, il y a 25000 personnes sous forme d’arène, il y a du monde de partout, c’est vraiment incroyable.
Si c’est le VTT qui t’anime quand tu te lèves, il faut persévérer malgré les blessures
Toute cette effervescence te porte ?
Quand tu es coureur, je pense que n’importe quel sportif aime ce sentiment d’être porté, après c’est vrai que au début, quand tu n’as pas l’habitude, c’est un sentiment assez spécifique parce qu’il y a certains sections où on se s’entend plus du tout respirer, on n’entend plus son matériel donc tu peux crever une roue sans même t’en rendre compte tellement il y a de bruit.
C’est comme quand on lit des interviews de joueurs qui arrivent dans un stade de 60000 personnes, ils se disent « Ah ouais, on joue comme ça ce soir », c’est impressionnant.
Il faut rester concentré dans sa bulle et en tirer de l’énergie sans en gaspiller.
Quels sont tes objectifs cette année ?
Clairement moi, mon pic de forme est en août pour les championnats du monde à Glasgow, enfin la vallée de Glasgow. C’est l’objectif chaque année, après je me sens déjà bien en forme. On a besoin d’être prêt dès le début de saison, on ne peut pas arriver sur une manche de coupe du monde en te cachant pour moi.
Psychologiquement, si tu te prends une claque dès le début de saison et si tu te dis que t’es pas au niveau, c’est compliqué.
Au mois d’août, j’essayerais de gagner 5% de forme par rapport à aujourd’hui, mais comme on dit, c’est déjà beaucoup à haut niveau.
On a déjà parlé des Jeux Olympiques, nul doute qu’il s’agira d’une magnifique vitrine pour que les jeunes découvrent le VTT, quel conseil donnerais-tu à un jeune qui aimerait se mettre sérieusement au VTT, qui plus est le Cross-Country ?
Aimez votre discipline ! Il faut toujours que ça soit la passion et l’envie qui nous porte.
Si c’est ce qui t’anime quand tu te lèves, il faut persévérer malgré les blessures physiques, ou mentales, parce qu’on a pas réussi à la dernière compétition. Il n’y a pas que la compétition qui compte !