Victor Boudet a 19 ans. Un âge où se mêle une multitude de questionnements et de remises en question. Victor lui, s’est bel et bien trouvé et cela depuis sa plus tendre enfance. Rémois d’origine, peu de choses le prédestinait à devenir parapentiste si ce n’est la passion débordante de son père qui, dès ses 4 ans, lui fait découvrir le goût d'adrénaline qui le marque à vie. Très vite le jeune oisillon vole de sa propre voile pour devenir l’un des meilleurs de sa discipline : le parapente de distance, aussi appelé “cross”. Avec l’ambition, un jour, de marquer l’histoire de son sport.
*Reconnu par la fédération française de vol libre (FFLV), le parapente ne nécessite pas d’être en possession de diplôme ou de brevet, c’est ce qu’on appelle le vol libre. Toutefois, l’âge légal en France pour voler seul est de 13 ans.
Le premier élan
Comment décide-t-on en tant que jeune originaire d’une région plane de s’orienter vers une discipline comme le parapente ?
« Je baigne dans ce milieu depuis tout petit grâce à mon père. J’ai commencé comme tout le monde par du gonflage avant d’enchaîner les vols en biplace avec lui, puis seul à l’âge de 16 ans. En 2019, j’ai eu l’opportunité d’intégrer la section sportive parapente de Font-Romeu en classe de 1ère, ce qui m’a permis de m’entraîner plus mais aussi de bénéficier de cours théoriques sur la pratique et notamment les stratégies en compétition. J’y suis resté jusqu’à obtenir mon bac ES en 2020 pour ensuite m’installer à Chambéry, où se trouve le pôle France. J’ai intégré l’école de commerce de l’INSEEC, qui m’offre l’opportunité de poursuivre mon cursus en sport-étude, avec des horaires aménagés. Il y a une très grande motivation au sein du pôle France et une belle émulation avec de nombreux jeunes. J’ai de la chance puisque la France est le seul pays du monde ayant développé une véritable offre de formation dans cette discipline via la création de ‘Pôles’. Ça paye : nous sommes reconnus dans le milieu comme la meilleure nation du monde ! »
C’est à partir de ce moment-là que cette passion est devenue un véritable mode de vie ?
« À partir du moment où tu fais de la compétition à haut-niveau, tu vis forcément pour ça. Déjà parce que le parapente est une discipline qui coute cher. Et puis, comme tous les sports, cela demande du temps, d’y accorder une grosse énergie : ça devient en quelque sorte la priorité de notre vie. À titre d'exemple, je mène et oriente mes études en fonction du parapente. Si l’on n’en fait pas son mode de vie, on ne dure pas longtemps ! »
Quand tu dis que c’est un sport cher, à quel ordre de grandeur fais-tu référence ?
« Tu débutes avec du matos d’occasion pour 3000 euros et dès que tu veux faire du haut-niveau, on arrive vite sur des montants autour de 6000 euros la voile, 2000 euros la sellette sans compter tout le matériel de sécurité (ex : parachute de secours). Donc on tourne autour de 10 000 euros rien que pour l’équipement à l’année. En sachant qu’il faut ajouter les déplacements sur les compétitions, les déplacements pour aller s’entraîner… »
Je fais mes études en fonction du parapente. Si l’on n’en fait pas son mode de vie, on ne dure pas longtemps.
Est-ce que tu as des partenaires privés et/ou la fédération française de vol libre (FFLV) qui t’aident financièrement ?
« La fédération nous aide un petit peu en tant qu’athlète mais il y a très peu d’argent. Elle nous rembourse quelques inscriptions dans l’année en sachant qu’un dossard pour une compétition s’élève vite à 300 euros. Pour le reste, c’est de ma poche. Depuis l’an dernier, j’ai trouvé un partenaire qui finance ma voile et deux autres dont l’aide me permet de me rendre sur les compétitions. Mais cela ne m’empêche pas de devoir sortir beaucoup d’argent personnel et d’avoir un emploi à côté de mes études. »
Est-ce une discipline dont beaucoup d’athlètes vivent professionnellement et exclusivement ?
« Très peu d’athlètes en vivent, ou alors les athlètes Red Bull qui font beaucoup de freestyle. Sinon, on peut devenir moniteur de parapente, mais je n’appelle pas cela : « vivre de sa passion ». À côté de ça, beaucoup de grands noms du parapente ont réussi à négocier des gros contrats avec des marques importantes, mais eux ne priorisent pas la compétition, plutôt la réalisation de contenus vidéos. Jean-Baptiste Chandelier, pour ne citer que lui, est un modèle à cet égard. Le parapente est une discipline esthétique au-delà d’être un sport de haut-niveau comme on l'entend traditionnellement dans les autres sports. »
Je pense que ce qui me manque aujourd’hui, c’est la maturité.
Voler sans se brûler les ailes
Concrètement, comment s’organise ton sport au niveau des compétitions ?
Tout d’abord, le « cross » est la principale discipline du parapente et celle qui est la plus pratiquée. Très simplement, nos compétitions sont organisées comme ceci : un directeur de course se réunit avec un comité de pilotes pour définir l’étape du jour, notamment en fonction des conditions météos. Ensuite, une fois que chaque pilote a pris connaissance de l’étape, il est équipé d’un GPS pour que l’on puisse suivre son avancée. Et l’épreuve peut alors prendre plusieurs formes : soit une traversée classique d’un point A à un point B le plus rapidement possible ou alors avec un itinéraire déterminé par des points de passage.
Qu’est-ce qui en fait sa particularité ?
La particularité sur les compétitions de distance est que l’on doit prendre du lest pour voler lourd. C’est-à-dire qu’on est obligé de se charger avec du poids en fonction de notre poids de départ. De mon côté, je pèse 60 kgs et je réalise mes vols avec 40 kgs de plus, comprenant tout l’équipement (voile, sellette, parachute de secours…) ainsi qu’un lestage volontaire autour de 15 kgs composé ce qui nous tombe sous la main (eau, sable…). Cela peut paraître surprenant mais c’est pour éviter aux pilotes légers d’être trop désavantagés face aux pilotes plus lourds. Il n’y a pas de limite maximale de poids, il faut juste trouver le bon équilibre entre le poids total que l’on transporte et sa faculté à piloter avec. Autre particularité, tout le monde concourt ensemble et se voit classer dans le même tableau, jeune ou moins jeune.
À cette occasion, je suis devenu le plus jeune pilote à remporter une manche de coupe du monde !
Comment gravis-tu les échelons ?
Alors au départ, on commence par le circuit national ouvert à tous pour faire ses preuves, enchaîner les courses et engranger de l’expérience. Des compétitions ont lieu presque tous les week-ends aux quatre coins de la France. Ensuite, on bascule assez vite sur des compétitions européennes, notamment sur des championnats nationaux de pays limitrophes (ex : Espagne) pour se confronter au meilleur niveau continental. Puis, en fonction de nos résultats sur ces épreuves, il sera possible d’accéder au circuit réunissant plus grandes compétitions internationales et donc de participer à la Coupe du monde. En fin de saison, un classement général de la Coupe du monde est établi via le total de points obtenus sur ses 4 meilleures compétitions. Il couronne le meilleur pilote du monde, le plus régulier.
À quoi accordes-tu le plus d’importance avant de prendre un départ en compétition ?
Avant un départ de compétition il est très important d’avoir une routine, de la réaliser à la perfection pour ne rien oublier. Il faut se mettre dans sa bulle et essayer de décrocher du reste pour se focaliser uniquement sur ce qui t’attend.
Il y a une sorte d’adrénaline qui monte en nous une fois en l’air.
Voler toujours plus haut
Quels sont les entraînements nécessaires et les facteurs sur lesquels il faut travailler pour performer en parapente ?
Ce qui compte avant tout, ce sont les heures que tu vas passer en vol ! Durant une semaine où la météo est favorable, je peux voler jusqu’à 30 heures. Mon volume annuel se situe environ entre 250 et 300 heures de vol. Sur une grosse journée, dans les Alpes, on peut parcourir 300km et en plaine, avec le vent dans le dos, ce total peut grimper jusqu’à 400km, soit 10 à 11 heures de vol non-stop. C’est un sport où la préparation physique n’est pas prépondérante. A contrario, la préparation mentale l’est fortement, notamment dans la visualisation et dans la préparation des compétitions.
Qu’est-ce qui t’anime et te fait vibrer dans ta discipline ?
Ce qui m’anime le plus est tout simplement le fait de voler. Il y a une sorte d’adrénaline qui monte en nous une fois en l’air. Cette sensation est incroyable. C’est pour cela que l’on fait de la compétition, car les émotions y sont décuplées et réussir à aller au bout en réalisant une bonne performance ajoute à cette adrénaline une grande fierté.
Quels sont tes objectifs pour le futur ?
J’ai pour objectif de faire carrière et d’intégrer à moyen terme l'équipe de France, dans l’idée de participer aux Championnats du monde et aux Championnats d’Europe. Sinon, à plus court terme, chaque fin de saison de Coupe du Monde est ponctuée par une super finale. Pour se qualifier, il faut réaliser au minimum un top 15 sur l’une des 7 manches du circuit ! Ce sera le gros objectif de cette année.
Qu’est-ce qu’il te manque à l’heure actuelle pour les atteindre ?
Je pense que ce qui me manque aujourd’hui, c’est la maturité. Je suis encore jeune, or le parapente est un sport où la moyenne d’âge est légèrement plus élevée que dans les autres sports. L’expérience est primordiale, et forcément, je n’ai pas encore celle des pilotes qui concourent depuis plus de 30 ans.
Si tu devais retenir quelques moments forts de ta jeune carrière pour le moment, lesquels seraient-ils ?
En 2019, alors que j’étais encore au lycée, dans les Pyrénées, nous sommes montés avec un copain dans les Alpes pour décoller depuis Bourg-Saint-Maurice et survoler le Mont Blanc à plus de 5400m d’altitude. Les conditions et les sensations étaient incroyables. Ce vol était complètement dingue, exceptionnel. Sinon, la saison dernière lors d’une Coupe du monde en Serbie, j’ai gagné la dernière manche avec 5 minutes de marge sur les 120 autres participants. À cette occasion, je suis devenu le plus jeune pilote à remporter une manche de coupe du monde !
Interview par Alexandre Violle