Épique, mythique et à présent olympique, la vague tahitienne de Teahupo’o continue d’écrire sa légende. Réputée pour sa puissance et sa beauté sauvage, la lame tranchante du Pacifique fascine autant qu’elle effraie les surfeurs et surfeuses, venus du monde entier pour vivre cet instant suspendu dans la perfection. Rencontre avec la plus iconique des vagues de la planète surf.
« La vague de Teahupo'o est comme une poésie en mouvement, une danse entre l'homme et la nature, exigeant respect et humilité. » - Gerry Lopez, pionnier du surf à Teahupo'o.
LA PERLE DU PACIFIQUE
Perdue dans le bleu de l’Océan Pacifique, la presqu’île de Taiarapu au sud-est de l’île de Tahiti illustre à merveille les imaginaires de paradis terrestres… Encerclée des eaux turquoise du lagon, la nature s’y dresse dans un panaché de verts et raisonne aux sons des mille et une mélodies des tropiques. Une nature sauvage et harmonieuse se révélant sous l’éclat des éléments. C’est dans ce décor onirique que se forme au large de la côte occidentale de la presqu’île la vague de Teahupo’o. Cachée à 400 mètres des rives du village éponyme, la vague s’élève sur l’horizon au rythme du vent. Elle surgit des profondeurs et déroule au lointain avant d’éclater dans un fracas d’écume. Une muraille d’eau qui va et vient et semble imprenable. « Une montagne liquide, une fusion de beauté et de danger qui défie l'imagination » dira le surfeur professionnel américain Bruce Irons.
Une montagne liquide, une fusion de beauté et de danger qui défie l'imagination
C’est de ce contraste entre une puissance sauvage et une perfection quasi divine qu’est né le mythe de Teahupo’o. Elle n’est bien sûr pas la seule à trôner sur l’Olympe du surf, on pense évidemment à Pipeline à Hawaï, Bells Beach en Australie, Cloudbreak aux iles Fidji, Uluwatu en Indonésie ou encore à Skeleton Bay en Namibie, mais tous les surfeurs sont unanimes, Teahupo’o a quelque chose de particulier. Peut-être le fameux « mana » tahitien. Elle dégage une force surnaturelle et attire autant qu’elle effraie. Son nom même, participe à la légende, en vieux tahitien, tea-hu-poo signifie littéralement « montagne de crânes » ! De quoi rappeler à ceux qui s’aventureraient au hasard que Teahupo’o n’est pas à la portée du commun des mortels, seuls les héros peuvent se targuer de la chevaucher. Difficile d’ailleurs, de passer par là par hasard, il ’y a qu’une route qui mène à Teahupo’o ! Une seule et unique route qui s’arrête à l’orée de la baie, il faut alors terminer le chemin à pied, avant de prendre un bateau pour accéder au spot, tel un pèlerinage. À la pointe de la presqu’île, les eaux douces venues des montagnes ont créé une faille dans le récif corallien qui ouvre un passage pour se rapprocher au plus près de la vague. Posté aux premières loges, on peut sentir toute la puissance de la vague qui déferle droit sur nous et sentir son courroux dans le grondement de ses eaux sur les coraux. Une atmosphère épique et mystique, renforcée par le sublime du lieu ; trop beau pour être vrai…
tous les surfeurs sont unanimes, Teahupo’o a quelques chose de particulier
TEAHUPO’O EN CHIFFRES
17.845983 : latitude de Teahupo'o, Tahiti
149.264976 : longitude de Teahupo'o, Tahiti
98723 : code postal du village de Teahupo’o
400 mètres : distance entre la rive de récif où se forme la vague
2-3 mètres de haut : taille moyenne de la vague
2 à 4 mètres de diamètre : largeur moyenne de Teahupo’o
25°C : température moyenne de l’eau
15,07 mètres de haut : taille de la vague surfée par Laird Hamilton en 2000
40km/h : vitesse que peut atteindre la vague
20/20 : la note obtenue par Kelly Slater à 2 reprises en compétition à Teahupo’o
5 titres : record de victoires de Kelly Slater l’étape du CT à Tahiti
2015 : l’année du titre de Jérémy Florès, premier français à s’imposer à Teahupo’o
29 mai 2024 : première finale et premier titre pour la locale Vahine Fierro sur le Shiseido Tahiti Pro
15 700 km2 séparent Teahupo’o du village olympique de Paris 2024
48 surfeurs : (24 hommes et 24 femmes) se disputeront le titre olympique à Teahupo’o
4 français qualifiés : Vahiné Fierro, Johanne Defay, Kauli Vaast et Joan Duru
ANATOMIE D’UNE VAGUE
Teahupo’o trouve ses origines dans les 40ème rugissants où se forme la houle générée par les dépressions arrivant de l’Ouest. Ne rencontrant aucun obstacle sur son chemin, cette onde de choc s’accentue jusqu’aux terres polynésiennes où les changements de fonds marins viennent stopper net sa course. C’est ici que Teahupo’o prend forme. Elle s’esquisse dans les eaux profondes du Pacifique avant de se heurter d’un coup à un récif corallien à fleur d’eau. Cette variation soudaine de 45 mètres à moins d’un mètre de profondeur, entraîne le soulèvement de la vague au-dessus du récif. Arrivée à son apogée, elle retombe en s’enroulant sur elle-même, emportée par sa propre force et fait naître ce tube iconique qui la caractérise.
Cette variation de 45 mètres à moins d’un mètre de profondeur, entraîne le soulèvement de la vague au-dessus du récif
À ce mécanisme de houle vient s’ajouter l’effet du vent. À grande échelle, les vents vont exercer une influence sur la vague. Les vents de même direction vont amplifier le phénomène de houle, à l’inverse, les vents de sens contraire stoppent l’énergie de la houle, par résistance de l’air. À l’échelle locale, la direction du vent va aussi avoir une incidence sur la formation de la vague. Un vent onshore, de même sens que la houle, va favoriser un déferlement lent et glissant de la vague. Un vent offshore, de sens contraire à la direction de la houle (souvent de la plage vers l'océan) va aider à creuser la vague et provoquer un déferlement plongeant, à l’origine des tubes. La provenance du vent va aussi définir le profil de la vague pour déterminer le peak et où se placer pour la prendre. Pour la suite, Teahupo’o est ce que l’on appelle « une gauche », c’est-à-dire qu’elle déferle vers la gauche du point de vue du surfeur avant de terminer sa course dans la passe de Hava’e. Quelques secondes hors du temps pour les surfeurs, auréolés de l’écrin émeraude de Teahupo’o.
Les mois de mai à août sont généralement considérés comme les meilleures saisons pour surfer à Teahupo'o. C'est pendant cette période que les houles du sud du Pacifique sont les plus constantes et les plus puissantes, créant ainsi des conditions optimales pour les vagues du sud-ouest de l’île de Tahiti.
Surfer Teahupo’o c’est comme danser avec le diable.
LA CONSÉCRATION
La légende dit que ce sont deux frères jumeaux, fondateurs et rois de Teahupo’o qui ont surfé pour la première fois la vague pour se défier l’un l’autre. La compétition était lancée… Les champions mesuraient leur force dans l’arène de Teahupo’o. Des siècles plus tard, de nouveaux héros sont arrivés, planches sous le bras pour se défier sur la vague. Jusqu’ici confidentielle et surtout connue des locaux, la vague de Teahupo’o commence à se faire connaître de la sphère internationale du surf à la fin des années 1990 en devenant hôte d’une étape des championnats du monde de surf, organisée par la WSL (World Surf League). En 1997, le Black Pearl Horue Pro accueille pour la première fois l’élite du surf qui découvre ce monstre du Pacifique. Mais c’est en 2000, le 17 août exactement, que la splendeur de Teahupo’o se révèle aux yeux du monde entier, Laird Hamilton venait de surfer la vague du millenium ! En vacances sur l’île depuis quelques jours, le surfeur américain s’habituait peu à peu à cette vague bien particulière, quand soudain une houle monstrueuse arrive sur le récif. Laird Hamilton se met à l’eau, il est accompagné de son acolyte Darrick Doerner, qui assure le tractage à bord de son jet ski. Laird laisse passer quelques vagues avant de se lancer à l’assaut de Teahupo’o en tow-in. Il s’élance et déjà la vague a doublé de volume. Il entame la descente sur cette rampe d’eau gigantesque et prend conscience qu’il n’a plus le choix ; il doit aller jusqu’au bout de la vague, au risque de se faire engloutir par ce monstre. Quelques secondes plus tard, Laird surgit de l’écume debout sur sa planche. Un souvenir gravé à tout jamais dans sa mémoire, un exploit qui a fait le tour du monde, et une image figée à tout jamais par le photographe Tim McKenna. La légende de Teahupo’o est née.
« Quand vous êtes devant Teahupo’o, vous êtes confronté à vos peurs les plus profondes. Vous devez puiser dans votre courage et votre détermination pour affronter cette vague. Surfer Teahupo’o c’est comme danser avec le diable. Vous devez être prêt à affronter l’inconnu et à vous adapter rapidement aux changements de la vague. Teahupo’o, c’est un monstre, un monstre parfait. » Laird Hamilton
il doit aller jusqu’au bout de la vague, au risque de se faire engloutir par ce monstre
LA PERFECTION À L’ÉTAT PUR
Depuis ce jour d’août 2000, le nom de Teahupo’o résonne avec écho dans le monde du surf. La vague occupe une place à part.
Elle a fait naître des héros et s’illustre comme une icône qu’il faut respecter et honorer. Le King des Kings, Kelly Slater, cinq fois vainqueur du Billabong Tahiti Pro parle quant à lui de perfection "Teahupo'o est le Graal du surf. C'est la vague ultime, le summum de la puissance et de la perfection." Et la perfection, Slater l’a atteinte à deux reprises à Teahupo’o en s’octroyant la note de 20/20 sur la compétition du CT (Championship Tour). Un roi pour une vague divine… Un exploit réalisé également par le Réunionnais Jérémy Florès, premier et seul français à ce jour, à s’être imposé sur le Billabong Tahiti Pro et de la plus belle des manières en décrochant lui aussi la note parfaite de 20/20 dans une finale titanesque face au Brésilien Gabriel Medina.
elle s’illustre comme une icône qu’il faut respecter et honorer.
Teahupo’o est devenue au fil des années le challenge ultime pour tous les surfeurs et tous les photographes de la planète. Un modèle aux courbes idylliques, la vague parfaite, trop parfaite même pour le photographe de la WSL, Damien Pullenot : « Elle est d’une photogénie exceptionnelle ; on est à Tahiti, entouré d’eaux bleu turquoise, la vague est sur le récif aux larges, il n’y a absolument rien qui contrarie la beauté de la vague. Il n'y a aucune imperfection dans la vague. La seule chose que je reproche à Teahupo’o, c’est qu’elle trop parfaite ! En tant que photographe, on aime aller chercher le petit plus qui te différencie des autres, on aime aller chercher la perfection dans les détails, mais dans le cas de Teahupo’o la perfection crève l’écran ! » Même au-delà de la vague et du décor paradisiaque, même la configuration du lieu semble avoir été dessinée pour photographier la vague !
« C’est l’une des seules vagues du monde, où tu as une toute petite passe dans le récif pour la photographier et qui plus est, avec un angle parfait dans l’axe du tube ! » Mais Damien n’a pas dit son dernier mot ! Photographe de surf depuis plus de 20 ans et spécialiste de la photographie aquatique, faute de pouvoir embellir la beauté parfaite, il s’est lancé un nouveau challenge : capter la puissance et la beauté au cœur de la vague. Un défi de taille face à l’ampleur du modèle, la plupart des photographies sont prises depuis les bateaux dans la passe, mais Damien s’est jeté à l’eau, non sans peur pour se rapprocher au plus près de l’action. « Voir le surfeur disparaître dans le creux du tube et sentir la vague aspirer tout sur son passage et te sentir, toi, nageur, au milieu de tout ça, c’est assez exceptionnel. » Il en résulte des images qui nous plongent dans un monde onirique où le ciel et la terre se confondent à travers le miroir d’eau de Teahupo’o. Après la légende, le mythe, la perfection ; l’œuvre d’art….
la configuration du lieu semble avoir été dessinée pour photographier la vague !
TEAHUPO’O DANS LES YEUX DE KAULI VAAST
Né le 22 février 2002 à Papeete, Kauli Vaast a grandi bercé par les contes et légendes de surf. Teahupo’o était comme une idole pour lui, c’était la vague dont tout le monde parlait, la star des vagues ! Il n’a que 8 ans quand il surfe Teahupo’o pour la première fois. « J’avais hyper peur ! Jusqu’ici je n’avais vu que Teahupo’o les jours de grosse houle ou à travers les photos des magazines ! Mais ce jour-là, les vagues étaient beaucoup plus douces et accueillantes, les conditions étaient parfaites pour une première fois sur la vague du haut de mes 8 ans ! » La première fois d’une longue série ! Kauli a fait ses armes sur cette vague, il était au rendez-vous, à chaque swell, prenant des vagues de plus en plus grosses, jusqu’à petit à petit écrire son nom dans la légende de Teahupo’o aux côtés de ses héros.
« C’est la plus belle vague au monde, il y en a qu’une comme elle. Magnifique et unique ; voilà comment je décrirais Teahupo’o ! Et il faut ajouter le mot respect ; il faut toujours être attentif et attentionné ! Elle peut être le décor des plus beaux moments de ta vie, mais des pires aussi ! Il faut avoir un certain respect. »
L’histoire a ensuite mené Kauli par-delà les frontières de Tahiti pour entamer son ascension dans le monde du surf professionnel. Triple champion d’Europe junior (2017, 2019 et 2020) et après quelques performances très remarquées sur le WQS (World Qualifying Series) de la WSL et une demi-finale du Tahiti Pro contre Kelly Slater en 2022, Kauli Vaast entrera encore un peu plus dans la légende en juillet prochain en représentant la France aux Jeux Olympiques, chez lui, sur le spot de Teahupo’o où il portera haut les couleurs polynésiennes et tahitiennes.
OÙ SONT LES FEMMES ?
Beaucoup de noms d’hommes reviennent à plusieurs reprises dans la légende de Teahupo’o, mais les femmes ont aussi écrit leur part de l’histoire. On peut notamment citer l’Américaine Keala Kennelly qui a remporté 3 victoires à Tahiti sur les 8 éditions de compétitions féminines organisées à Teahupo’o entre 1999 et 2006. L’épreuve a ensuite été exclusivement masculine jusqu’au retour des femmes à Tahiti sur le tour 2022. Et Teahupo’o semble continuer à réussir aux Américaines qui se sont à nouveau démarquée sur la compétition ; d’abord Courtney Conlogue en 2022, puis Caroline Marks en 2023. Mais la France et la Polynésie ont aussi leur mot à dire en la personne de Vahine Fierro !
Fin mai, pour sa première finale sur le CT, la jeune Tahitienne s’est imposée à domicile à la suite d’un parcours sans faute ! Une victoire de bon augure à quelques semaines des Jeux de Paris 2024 où elle représentera la France aux côtés de Kauli Vaast, de la Réunionnaise Johanne Defay et le Basque Joan Duru.
L’OLYMPE DU SURF
Du 27 juillet au 4 août prochain, le spot de Teahupo’o accueillera donc les meilleurs surfeurs et surfeuses du monde à l’occasion des Jeux de Paris 2024, deuxième olympiade de l’histoire du surf après les jeux de Tokyo en 2020. Un choix ambitieux pour le comité olympique de tenir la compétition à près de 20 000 kilomètres du village olympique, mais un choix qui fait sens ! Teahupo’o est un site digne des anneaux olympiques et la période est idéale au niveau des conditions de vagues. Si la vague de Teahupo’o risque d’écrémer rapidement les candidatures au titre olympique, du fait de sa technicité et de l’engagement qu’elle demande, tous s’accordent pour dire que le spectacle promet d’être au rendez-vous à Tahiti ! « Ce sera un moment exceptionnel ! Les meilleurs surfeurs du monde sur la plus belle vague du monde pour l’événement sportif le plus important et le plus suivi au monde ! » Yannick Sarran, juge de la WSL, n’est pas avare en superlatif pour parler du site olympique de Teahupo’o. Les juges auront la lourde tâche de départager des héros dans leur quête de gloire et de perfection sur un champ de la bataille divin. « Teahupo’o est une vague facile à juger au sens où l’on compare un tube à un autre, mais alors tout se joue dans les détails : la taille de la vague, le take off, la longueur et la profondeur du tube, si le surfeur est en frontside ou en backside, les éventuels grabs… Tout s’intensifie à Teahupo’o. » poursuit Yannick Sarran.
Au-delà de la splendeur de la vague et le sublime du show sportif, cette épreuve olympique donnera à voir la richesse de la culture tahitienne et la diversité de ses paysages sauvages et préservés. Un moment unique porté par l’esprit et les valeurs du surf. La légende continue de s’écrire…
Teahupo’o est une vague facile à juger au sens où l’on compare un tube à un autre
Texte de Mathilde Boulesteix