Sur Terre, il reste une terra incognita discrète, les rivières et cours d’eau pas encore explorés. C’est sur ces flots souvent hostiles que Stéphane Pion, 40 ans, pagayeur depuis l’enfance, aime poser sa frêle embarcation.
Comment as-tu commencé le kayak ?
Grâce à mon père puis grâce à la compétition, en kayak freestyle. Je n’ai pas percé, c’était trop compliqué avec le travail (Stéphane a une entreprise de métallerie, il cadre et monte également les films de ses aventures, ndlr), il faut s’entrainer pour être au top. Je n’avais pas envie de passer mon temps à m’entrainer, je voulais explorer des rivières ! Cela dit, la technique acquise en compétition me sert aujourd’hui pour explorer.
Comment décrirais-tu ta façon de pratiquer le kayak ?
Comme tous les sports, il fait voyager, en compétition ou en exploration. La difficulté de ce sport, c’est qu’il n’est pas inné comme du football. En kayak, cela demande beaucoup de pratique pour être bon, il faut avoir une bonne connaissance du milieu (sauf dans des bassins d’eau-vive en béton pour le slalom !). Le caractère naturel des rivières amène un danger, donc il faut pratiquer régulièrement, ne pas brûler les étapes. Il faut commencer par l’eau plate avant d’arriver à l’eau-vive, il faut monter les échelons pour ne pas avoir de surprise plus tard… et apprendre comment fonctionne une rivière.
Tu appelles cela : « lire une rivière » ?
Oui, il faut identifier où sont les dangers. Il faut savoir lire une rivière, ses mouvements qui alertent, comme le siphon qui forme un trou d’eau en surface… Dans une rivière il y a des seuils, des chutes quand il y a du dénivelé. L’eau tombe et revient dans la chute, c’est un tourbillon, une machine à laver dans laquelle il ne faut pas se faire prendre. On appelle cela un rappel. Il y a des techniques pour en sortir car c’est un mouvement qui peut être dangereux. Il y a aussi des siphons : l’eau s’engouffre entre des pierres, elle seule passe et la pression peut te coller contre la roche. Il est quasiment impossible d’en sortir. Les dangers principaux sont d’être coincés sous un arbre ou une pierre.
Qu’est-ce qui te motive à explorer des rivières ?
C’est excitant de découvrir une rivière qui n’a jamais été naviguée ! Le principe : descendre ce qu’on pense être possible tout en restant dans son bateau. Quand la pente devient plus raide, on sort du kayak et on va voir ce qui se passe. Parfois, c’est un peu hostile, il y a un grand gouffre, des falaises… Il y a une multitude de rivières dans le monde qui n’ont jamais été ridées, chaque année des équipes en découvrent de nouvelles ! Je m’entraîne beaucoup dans le Jura, je connais par coeur toutes les rivières de ces montagnes, pourtant ces dix dernières années, j’ai découvert des parties de rivières nouvelles alors que mon père avait navigué le coin de long en large ! Au Canada ou aux Etats-Unis, rien qu’en Californie, on en découvre tous les jours… comme en Russie où je suis allé deux fois : il y a des immensités de montagnes et de plaines et toujours une rivière non descendue quelque part.
Il y a une multitude de rivières qui n'ont jamais été ridées.
Ton dernier film nous emmène en Islande…
Nous sommes partis à la découverte de chutes, de petites sections à naviguer. On a suivi quelques rivières pendant 8/9 heures, voire 3 jours en autonomie, et des chutes de 5 à 22 mètres de haut. On s’est entraînés progressivement jusqu’à naviguer la chute la plus haute d’Islande ! Il faut une très bonne préparation physique, être solide ! Assis, on n’a pas beaucoup de force pour tenir un kayak de 25 kg, tout se contrôle avec la ceinture abdominale et les genoux. Si on ne tient pas le kayak, ça peut très mal se passer. Mentalement, c’est haut 22 mètres... et le mental joue beaucoup à ce moment-là, car ce qui compte est la tenue du kayak. Quand on arrive dans le vide, il faut rester concentré sur le maintien du kayak ! On a l’impression qu’on se laisse aller dans une chute, ce n’est pas le cas, il y a vraiment une technique pour jouer sur l’assiette du kayak (son inclinaison) : on tire sur les genoux pour redresser l’assiette ou appuyer sur les pieds pour l’abaisser. Le but est de pénétrer dans l’eau avec un certain angle, ni trop à plat sinon la colonne ramasse, ni trop en avant. Ensuite, il faut observer l’eau qui arrive sur la chute, certains mouvements peuvent te mettre à l’envers avant la chute ! Alors on passe du temps au bord, pour observer les moindres mouvements de l’eau et « lire la rivière ».
Quelle sera ta prochaine aventure ?
Si tout se passe bien, c’est le Pérou pour descendre une partie de l’Amazone, dans une zone avec de grands canyons très profonds. On en profitera pour découvrir des zones non accessibles par la route. Le kayak est en fait un prétexte pour aller explorer.
Interview : Guillaume Desmurs
Photos : Jérémy Bernard / Gilles Reboisson