Arrivée sur la planète bike dès l’âge de 5 ans, Myriam Nicole n’a jamais imaginé un destin loin des pistes de descente. À force de travail et d’acharnement, sa carrière se hisse dans une dimension stratosphérique intégrant l’élite de la discipline à seulement 19 ans. Championne de France et championne du monde à deux reprises, la rideuse montpelliéraine dévale les pistes de descente à une vitesse dictée par la gravité. Pourtant, une commotion cérébrale vient bouleverser son parcours, la projetant dans une orbite parallèle. Les compétitions s’arrêtent et vient le temps de réapprendre son sport. La saison dernière, Pompon a brillamment remporté la médaille d’argent aux Championnats du monde, confirmant son statut incontestable dans la discipline. Rencontre.

LA TÊTE DANS LE GUIDON
Quand tu repenses à tes débuts en VTT, est-ce que tu te vois encore comme la petite sœur qui suivait ses trois frères, de quoi tu te souviens quand tu as commencé, tes ambitions ?
J’ai commencé vraiment très jeune le VTT et je n’avais pas forcément d’ambitions à devenir professionnelle. En plus, le VTT n’était pas au même stade qu’il est aujourd’hui donc cela faisait plutôt partie de rêves lointains. Je me souviens qu'au collège, dès que je me suis spécialisée dans la descente, j’étais vraiment fan de Anne-Caroline Chausson qui avait gagné plusieurs fois les championnats du monde. Elle était vraiment la légende du sport, qui s'entraînait par chez moi d’ailleurs, et ma source d’inspiration. Je me souviens faire un vœu quand j’étais plus jeune de devenir championne du monde mais cela restait ancré dans mes rêves.
C’est à partir de 2007 que j’ai été sélectionnée en équipe de France pour la première fois. C’est à partir de là que j’ai pris encore davantage goût à m’entraîner, à faire les choses plus sérieusement. En parallèle, le côté scolaire primait vraiment, le VTT était avant tout ma passion. Ce n’était en aucun cas quelque chose qui aurait pu me faire abandonner les études. J’ai mis la priorité sur mes études jusqu’à obtenir mes diplômes. C’est seulement ensuite que je me suis donné toutes les chances pour pouvoir performer à 100%.
En effet, tu as fait des études de kiné et en parallèle tu as gardé ta pratique à haut niveau du VTT. Comment as-tu réussi à jongler entre les deux ?
Ce n’était pas facile mais c’est vraiment à 28 ans que j’ai dédié ma vie à faire des compétitions. Ce que je dis souvent aux plus jeunes, c’est que le plus dur pour moi était le lycée, faire une terminale S, avec des professeurs qui ne comprennent pas ton sport peu connu, donc difficile d’être crédible. C’est un sport de haut niveau mais pas un sport olympique. Ça a été le parcours du combattant surtout l’année de la terminale. J’avais les championnats du monde qui tombaient en même temps que le Bac, j’ai donc dû le passer en septembre et prendre des cours à domicile pendant l’été. Ensuite, après le lycée, je suis partie à Chambéry faire un DUT techniques de commercialisation parce que je n’avais pas réussi à faire kiné par le cursus classique. Grâce à cette formation j’avais un planning aménagé. Une fois le diplôme en poche, j’ai été prise en école de kiné grâce à mon statut de sportif. Mais voilà, tu te retrouves face à des tronches qui ont obtenu un concours super compliqué et il faut prendre le train en marche. C’était très très intense. Pour jongler avec le sport, je mettais les priorités au bon endroit. Je m’entraînais tôt le matin, j’allais ensuite en cours. J’ai dû accepter le fait que je ne pouvais pas m’impliquer à fond dans les études autant que les autres. Il y avait de la fatigue, du temps de révisions dédié aux entraînements. Les cinq années de kiné ont été du sport ! Cependant, j’étais très bien entourée et je ne regrette pas. Cela m’a appris à gérer les blessures que j’ai pu traverser et cela m’a apporté une énorme sérénité dans ma vie au quotidien.
Tu as remporté de nombreux titres dans ta carrière, quel est pour toi, le plus marquant ou significatif ?
Ils ont tous une saveur spéciale mais je dirais en 2019, mon premier titre de championne du monde. Je finis mes études en 2018 donc pendant l’hiver 2019, je me mets à fond dans la compétition comme j’ai beaucoup plus de temps à y consacrer. Malheureusement, je joue trop avec les limites et je me blesse en avril 2019. Après six mois de rééducation, une énorme blessure au pied, en septembre, je remporte les championnats du monde. Donc ce titre a une saveur particulière !
D’où provient ton surnom “Pompon” ?
Ah le surnom (rires) ! Alors quand j’étais plus jeune je faisais de l’équitation, en plus du VTT, et il y avait un petit poney tout mignon qui s’appelait Pompon. Je ramenais un peu cette image plus douce dans le monde du vélo. Le mercredi c’était équitation et le samedi vélo. J’en parlais tout le temps, j’étais obnubilée par ce petit poney, qui d’ailleurs était souvent celui qui était puni (rires). C’est un surnom qui m’a suivi depuis toute petite.
j’ai toujours exprimé ma féminité depuis que je suis jeune

Dans une interview tu parlais de l’importance de garder ta féminité dans un monde majoritairement masculin. Comment as-tu trouvé ton style et le bon équilibre avec ta féminité et le côté casse-cou de la descente ?
Je dirais que j’ai toujours exprimé ma féminité depuis que je suis jeune. J’ai eu beaucoup de copines au lycée qui n’étaient pas du tout dans le monde du sport. Quand j’ai commencé à me professionnaliser, on enchaînait les camps d’entraînement, les sessions et souvent tu es la seule fille au milieu des mecs pendant des semaines, ou tu es dans la boue, tu ne te vois pas regarder l’état de tes ongles (rires)... Ça a été difficile d’expliquer aux autres de l’équipe mais j’ai encore parlé hier de mon besoin de faire des trucs de filles. C’est vraiment important d’écouter ses besoins, qui sont différents que ce soit hommes ou femmes. Il faut que le curseur soit au bon endroit pour trouver le bon équilibre sinon tu portes préjudice à ton bien-être sportif et personnel.
Tu es sur le circuit depuis plusieurs années, le niveau des filles a énormément progressé et évolué. Que penses-tu des années à venir ? Est-ce une inspiration pour toi et est-ce que cela a fait évoluer ta pratique ?
Je pense que ces concurrentes plus jeunes sont une émulation et une inspiration. Nous n’avons clairement pas les mêmes parcours les unes et les autres. Quand j’ai commencé, les bike parks n’existaient pas du tout, j’avais un vélo semi-rigide donc sans suspensions jusqu’à très tard. Maintenant les filles développent des choses que j’ai pu développer tardivement. Pour elles, c’est presque inné dès le début. Il y a eu la génération Vali Höll, l’actuelle championne du monde, qui a pu bénéficier des bike parks, et être très à l’aise en saut et sur des pistes aux virages relevés. Désormais, on fait face à une ère de la vidéo. En regardant des vidéos, certains jeunes arrivent à répéter des choses car leur cerveau l’intègre facilement. Ils poussent encore plus le sport et les possibilités. Je me régale de voir qu’il y a de plus en plus de filles et de voir qu’elles font des choses qui sont totalement incroyables. Récemment a eu lieu la Hardline et Gracey Hemstreet a réussi à terminer la piste, c’est quelque chose de vraiment énorme et magique à voir ! Aujourd’hui, heureusement que j’ai l’expérience qui me sert à faire des choses assez folles mais le bagage technique, l’insouciance et la formation des jeunes sont super inspirants.
Si tu devais définir ta plus grande force en tant qu'athlète, ce serait quoi ? Est-ce une qualité mentale, physique, ou une certaine vision de la vie ?
Ma plus grande force aujourd’hui c’est vraiment mon expérience. Depuis que j’ai 5 ans, je fais du vélo donc j’ai acquis une technique qui est presque naturelle. Quand les gens sont impressionnés de ce que je fais, je leur dis que pour moi c’est instinctif, un automatisme. Arriver à travailler sur tous les curseurs est aussi une de mes forces, que ce soit mentalement, techniquement, etc… Toujours vouloir me dépasser.

REVENIR PLUS FORTE
Après ta commotion en 2023, la montagne a dû paraître un peu différente... comment as-tu affronté cette période ? Et surtout, qu’as-tu appris sur toi-même pendant cette épreuve ?
Je dis toujours que les épreuves de la vie sont toujours très désagréables mais nous apprennent tellement. Chaque blessure a ses spécificités. Pour celle-ci, ce qui était très embêtant c’était de ne pas comprendre, d’avoir des discours de médecins opposés et être dans l’inconnu… Je me demandais comment peut-on aller sur la lune aujourd’hui et ne pas pouvoir soigner une commotion ? J’ai énormément appris la patience, à vivre le moment présent mais aussi à quel point le sport de haut niveau peut être traître. On est sur le devant de la scène quand tout va bien mais que tout peut vite tourner. Donc savoir être heureux, apprendre à savoir qui nous sommes en dehors du sport est aussi important car un jour ou l’autre tout peut se terminer. On a souvent la tête dans le guidon dans mon sport, et c’est le cas de le dire, on met toute sa vie dans la poursuite des titres. Cette période m’a appris à prendre du recul par rapport au sport de haut niveau.
Tahnée Seagrave a aussi vécu une commotion cérébrale, qu’est-ce que cela fait d’avoir une personne avec qui parler de cette expérience, qui a vécu la même chose ? En quoi cela t’a aidé dans ta récupération ?
Nous avions des symptômes différents mais c’est ce qui m’a aidé à comprendre la commotion aussi, selon où tu tapes, ton cerveau, etc… Parler avec elle m’a vraiment aidé et je n’ose pas imaginer ce qu’elle a dû traverser en étant seule. Heureusement que je l’avais pour qu’elle me comprenne parce que quand tu en parles aux gens, ils ne comprennent pas forcément, à la différence de quelqu’un qui l’a vraiment vécu.
J’imagine que la préparation mentale est d’autant plus importante pour toi. Comment gères-tu le stress ? As-tu dû réapprendre cet aspect après ta commotion ?
J’ai eu la chance de travailler avec Aurélie Lamy avant ma commotion. Cette année-là, j’avais changé ma préparation mentale juste avant l’accident et j’ai été très chanceuse de l’avoir à mes côtés parce qu’elle m’a soutenue. On a travaillé et mis en place des choses qui allaient me servir pour la suite en collaboration avec mon entraîneur et kiné de l’équipe. On a pris le temps de travailler des aspects fondamentaux que d'ordinaire nous n’avons pas le temps de traiter. Quand je suis revenue, je n’avais pas perdu de temps au final. Le fait d’être bien entourée m’a énormément aidé car quand on se retrouve seule face à un incident incompréhensible c’est plus compliqué.

RACING IS ON
Peux-tu expliquer en quoi consiste pour toi les différentes étapes d’une compétition de coupe du monde ?
Les étapes de coupe du monde se déroulent sur quatre jours. Le premier jour, on a une reconnaissance à pied. Le deuxième jour, c’est la reconnaissance à vélo où on repère toutes les trajectoires. On fait un gros travail d’adaptabilité du vélo, de réglages techniques avec les ingénieurs, les mécanos. Pendant cette journée, on fait en sorte de régler le vélo pour qu’il soit le plus performant pour la compétition. Alors cela va changer légèrement l’année prochaine mais le troisième jour, ce sont les manches de qualifications et demi-finales. Il y a quinze filles qui vont en demi-finale et ensuite dix en finale. Le lendemain a lieu la grande finale avec les dernières reconnaissances le matin et la course l’après-midi. Les filles roulent souvent avant les garçons et comme nous sommes en station de ski, les conditions peuvent rapidement changer et être challengeantes. Ces semaines sont éprouvantes car c’est un travail et une construction de longue haleine pour arriver au dernier run le dimanche.
Pendant tes runs de compétitions, il y a bien souvent énormément d'ambiance, de bruit avec les tronçonneuses, les vuvuzelas et le public déchaîné. Comment fais-tu face à toute cette agitation, ce brouhaha? Est-ce que tu t’isoles ou tu t’en nourris pour te dépasser ?
J’ai eu plusieurs périodes dans ma carrière, au début j’en avais presque peur (rires). Ça m'oppressait un peu mais pendant la commotion ça me manquait tellement que c’est désormais quelque chose qui me nourrit énormément. Aussi, je me souviens pendant le COVID, il n’y avait personne sur les courses, c’était d’une tristesse horrible ! (rires) Je suis contente de cette communauté qui est là, sur le bord de la piste à t’encourager, c’est une véritable force. On aime voir ce show avec toutes ces personnes passionnées. On a de la chance d’avoir en France, un public aussi présent, c’est encore plus magique, que ce soit à Loudenvielle, Les Gets ou bientôt La Thuile à la frontière italienne. Aujourd’hui, je suis tellement heureuse d’avoir ma famille et mes proches sur place et d’être chouchoutée par le public !
Je suis contente de cette communauté qui est là, sur le bord de la piste à t’encourager, c’est une véritable force
Avant ton run de finale, comment te mets-tu en conditions ? Quelle est la dernière pensée qui traverse ton esprit ? Tu visualises ta trace comme un film, ou tu laisses la piste se dévoiler au fur et à mesure ?
La visualisation fait partie intégrante de la préparation donc en une semaine je ne saurais même pas te dire combien de fois on se visualise les trajectoires. On s’endort et on se réveille en y pensant (rires). Juste avant la course, chacun a sa propre routine mais faire le vide t’aide à te dire que tu es prête et let’s go !
Le VTT est de plus en plus médiatisé. Quel regard as-tu sur cette popularité grandissante ?
Je pense que les stations de ski ont tout à gagner. Rendre le VTT accessible à tous grâce à des pistes et terrains adaptés. Je me réjouis de voir de plus en plus de pratiquants l’été que ce soit en France comme au Canada, en Autriche où le sport est très développé. On ne demande que ça, que le VTT se développe davantage. On parlait des filles et il y a de plus en plus de petites filles sur les bike parks. Ce n’est pas un sport uniquement réservé aux garçons.

Qu’est-ce qui te fait le plus vibrer dans ta pratique ? Est-ce la vitesse, la technique, l’émotion du moment, ou un mix de tout ça ?
C’est vraiment toute la construction, le travail qu’il y a en amont et quand tout cela paie c’est vraiment des moments magiques ! Je fais partie de l’équipe Commencal/Muc-Off et on passe tellement de temps ensemble et c’est incroyable de voir comment chaque membre donne une partie de sa vie à ce sport pour que l’on performe. Un champion n’est jamais seul sur le podium, il y a tout le travail et tout le staff qui nous entoure avec nous.
Si tu devais trouver une devise, une phrase pour te décrire, laquelle serait-elle ? Si tu devais choisir une phrase pour résumer ta philosophie de vie et de course, quel serait ton mantra ?
Je dirais que c'est d'être guidé par la passion, d’être déterminé, de se relever et de vivre le moment présent au maximum parce que l’on ne sait pas ce que la vie nous réserve.
Tu as vécu une superbe saison en 2024 avec ta victoire à Loudenvielle et ton titre de vice-championne du monde en Andorre. Quels sont tes objectifs pour 2025 ?
L’année dernière j’ai eu du mal à faire une belle préparation hivernale à cause d’une blessure au pouce, je revenais de la commotion, j’avais des doutes… J’ai monté les échelons au fil des courses mais il y avait un côté difficile. J’aimerais vraiment arriver à en profiter encore plus en étant bien préparée. J’espère pouvoir continuer de jouer sur le circuit mondial, avoir toujours le niveau, de rouler aux côtés des meilleurs mondiaux qui continuent de me faire repousser mes limites ! (rires)
Texte de Eloïse Picard