Publié le 1 janvier 2025
Rencontre avec Jérôme Tanon, l'alchimiste qui sublime le snowboard avec l'argentique
Crédit photo : © Jérôme Tanon
Portfolio

Rencontre avec Jérôme Tanon, l'alchimiste qui sublime le snowboard avec l'argentique

"The eternal beauty of analogue"
SPORTS D'HIVER, IMAGES
|
Snowboard, Portfolio

À travers ses teintes monochromes, échos d’un temps révolu, la photographie argentique singulière de Jérôme Tanon donne au snowboard une dimension intemporelle, où les riders semblent émerger d’époques lointaines. Un alchimiste des temps modernes qui nous plonge dans un univers transformant la réalité en illusion éternelle.

Salut Jérôme ! Tout d‘abord, peux-tu te présenter ?

Alors, par où commencer ? Depuis mon adolescence, j’ai toujours été un passionné de snowboard et je voulais absolument plonger à fond dans cet univers et quand je suis passionné, j’y vais à fond. Je suis rentré dans ce monde en devenant photographe. C’est un métier fou, des voyages, des rencontres, des potes qui sont devenus snowboardeurs professionnels pendant que je progressais dans ma carrière. Petit à petit, je me suis mis à faire de plus en plus d’argentique, puis plus que ça, pleins de projets dans mon labo, beaucoup de noir et blanc et de techniques de laboratoires qui m’ont permis de me démarquer comme photographe et de me faire kiffer. 

Crédit photo : © Jérôme Tanon

LA PHOTOGRAPHIE

Tu as commencé la photographie en étant complètement autodidacte, tu peux me parler de ton apprentissage de la photo ?

J’ai beaucoup trifouillé par moi-même, les “pelloches”, les produits chimiques, les développements, les appareils… J’ai acheté plein de vieux trucs sur Ebay, que j’essayais et que je revendais. Quand on est passionné, on peut apprendre tout et n’importe quoi. L’argentique était vraiment obscure, il n’y avait aucune information. Je ne connaissais personne qui en faisait, alors j’ai trouvé des choses au fin fond de blogs sur internet avec de petites communautés qui donnaient des conseils sur les techniques anciennes aux quatres coins du monde. Ensuite, il y a la pratique donc forcément au début c’était n’importe quoi. Au fur et à mesure, au fil des erreurs, de mélanges inattendus, on trouve des techniques, des ratés qui deviennent de futures idées et projets. J’ai comblé mon manque de technique par la motivation d’apprendre et je m’en suis servi comme une force du fait que j’avais aucun formatage d’école de photo, ça m’a permis de partir à fond dans mes délires, sans être influencé par une matrice créative. 

ça collait parfaitement avec l’esprit du snowboard qui est assez rock and roll

Parlons de l’argentique justement, pourquoi avoir choisi ce type de photographie et qu’est-ce que ces photos ont de différent ? 

Selon moi, ça collait parfaitement avec l’esprit du snowboard qui est assez rock and roll. L’argentique c’est le hasard, c’est un peu comme le fait de n’avoir qu’un essai par photo, à l'image d’un trick. Je trouvais que ces deux aspects se mariaient bien. Essayer de faire en un essai, une unique photo d’une figure de snowboard. Aussi, le grain du noir et blanc m’a séduit. À l’époque, il y a 15 ans, l’appareil numérique était un peu “moche” avec une absence de grain frappante. La texture et cette impression que la photo repose sur quelque chose de physique, qu’elle ait une existence, pour moi, ça changeait tout. Je suis parti à fond là-dedans. Si la photo est ratée tant pis, on refait ou elle restera comme elle est. Je ne faisais pas de shootings commerciaux, j’avais donc cette liberté de pouvoir faire de l’argentique.  

Toi même, tu disais que c’était “débile de faire de l’argentique pour des photos de sport”, en quoi est-ce compliqué de prendre des photos d’objets en mouvement avec l’argentique et comment on adapte ses techniques ?

Ça arrive assez souvent que tu demandes au snowboardeur de refaire la figure en question, si c’est possible. À l’inverse, il y a des moments où quand tu cliques tu sens qu’il y a tout ce qu’il faut. Auquel cas, tu t’imagines la photo dans ton esprit et dans ta rétine. Faire des photos d’action comme ça en argentique c’est un peu fou mais finalement, on en fait beaucoup moins, mais celles que l’on sort, on les aime beaucoup plus !

Tu utilises des techniques bien précises dans la chambre noire, comme le bromoil par exemple, tu peux nous expliquer en quoi ça consiste ?

Le bromoil fait partie de ces techniques presque archéologiques que plus personne ne connaît ou ne maîtrise et que l’on ne raconte pas dans les écoles. C’est complètement enfoui dans les mémoires de pratiquants appartenant à une époque révolue et c’est typiquement ce qui m’a branché. C’est un résultat entre la peinture et la photo, le sujet sur le tirage disparaît par les procédés chimiques et il réapparaît suite à une pression exercée au pinceau avec de l’encre et de l’huile. Tu dois faire ça à la main et tu as vraiment l’impression de repeindre ta photo. C’est une galère sans fin, ça ne marche pas avec les papiers modernes, je ne veux plus jamais en faire (rires) mais ça fait des tirages qui sont totalement uniques comme un dessin. 

Tu disais : “Les gravures sont dans les musées et je voulais avec les photographies argentiques que le snowboard soit dans les musées”. Qu’est-ce que tu trouves de si captivant dans ce sport ?

Il y a le surf, l’attitude, le style, la glisse, la courbe du virage, la neige qui vole, les tricks en montagnes dans des endroits incroyables, c’est vraiment un sport de glisse magnifique et intemporel à photographier. Mon ambition était de faire des photos de la même qualité que les tirages d’art, de mode, exposés dans les musées. Ces photos de snow, elles ne font tripper que nous, mais un jour peut-être le “musée du snowboard” existera et le jour où, au Louvre, il y aura une exposition, ça collerait trop bien !

Crédit photo : © Jérôme Tanon

L’argentique c’est le hasard, c’est un peu comme le fait de n’avoir qu’un essai par photo, à l'image d’un trick

Parmi tes tirages, les clichés recueillis dans le livre “Heroes : women in snowboarding” sont particulièrement forts. Pourquoi avoir mis en lumière les femmes du snowboard, qui ne sont toujours pas assez mises en lumière au sein de la discipline ?

C’est parti du constat que dans mes négatifs, je n’avais aucun cliché de filles, ça n’allait pas du tout. Je trouvais qu’il y avait une esthétique commune entre la féminité et la glisse qui marchait super bien. Le fait était que dans les crews, il n’y avait pas de nanas, ou très rarement. Je me suis donc dit qu'il fallait que j’aille les chercher où elles étaient. Pendant 2 ans, j’ai sillonné le monde pour plonger dans la culture des crews féminins mais aussi mixtes. Depuis 10 ans, le niveau est devenu très élevé, c’est n’importe quoi et dans le bon sens, c’est ce que l’on attendait tous. Quand j’ai fait cet ouvrage, c’était encore en développement et de voir leur motivation, de voir qu’elles étaient toutes à fond pour le projet, c’était vraiment inspirant. Le style est parfait sur toutes les tof’. Je voulais faire de superbes belles photos avec des filles, où on ne se dit pas : “la photo est cool parce que c’est une fille”. Non, la photo est cool parce qu’elle ride super bien !

Tu utilises plusieurs boitiers mais si tu ne devais en garder qu'un seul, quel serait ton appareil photo de prédilection ?

Je suis passé par tous les formats et boîtiers imaginables, il y a une richesse incroyable dans l’argentique. Celui avec lequel j’ai le plus travaillé est le Pentax 6x7. Il est ultra gros, ultra lourd, il pèse 2 tonnes donc c’est un enfer pour aller dans la montagne. En contrepartie, les négatifs sont grands, de bonne qualité et la vitesse d’obturation va jusqu’à un millième ce qui est assez rare pour les boîtiers de ce format. Alors, bien sûr, c’est un peu cher car il n’y a que 10 photos sur la pellicule mais je le recommande à tous ceux qui sont à fond dans l’argentique. 

Crédit photo : © Jérôme Tanon

LE CINÉMA

En parallèle de la photo tu t’es dirigé vers la production vidéo, ton premier projet était “The Eternal Beauty Of Snowboarding”, un classique et dont on te parle encore beaucoup aujourd’hui. Tu peux me raconter son histoire et l’idée derrière ce documentaire ?

C’est parti d’une réflexion personnelle. On passe notre temps, notre année entière à faire du snow. Quel est le sens derrière tout ça et est-ce que le reste du monde peut voir quelque chose d'intéressant dans ce que l’on fait ? J’attendais depuis longtemps qu’une boîte de production fasse un film avec tous les B-rolls, les moments coupés au montage, les soirées, les conneries, tout ce qu’il y a derrière le décor. Comme ça n’arrivait pas, j’ai acheté une cam toute pourrie que j’ai collé à mon appareil photo et j’ai filmé en même que je faisais les photos. Au bout de 4 ans, j’ai pu faire cette compilation de moments avec pleins de riders différents. Le film est construit comme une dissertation et on se marre, je suis d’ailleurs sans doute celui qui se marre le plus. On se fout de la gueule des snowboarders que je connais très bien, ça me rappelle des souvenirs, des voyages, c’est comme-ci c’était notre film à nous tous, et j’en suis le premier fan (rires). 

Ensuite, tu es parti en expédition au Pakistan pour le film “Zabardast”, qu’est-ce que tu as appris de cette expérience si différente en termes de réalisation ?

Je n’avais pas beaucoup d’expérience comme réalisateur mais j’ai fait de mon mieux et j’ai adoré. On était au bout du monde avec une bande de joyeux et c’était l'occasion d’aller voir les montagnes de l'Himalaya, chose que je n’avais imaginée. C’était un super challenge technique, même si c’était très dur, on a ramené de superbes images. 

Je trouvais qu’il y avait une esthétique commune entre la féminité et la glisse qui marchait super bien

Dans ce film, il y a une phrase que tu dis : “j’ai perdu 10 kilos et gagné 7 amis”. Tu produis des films aux côtés de riders de renommée mondiale qui sont devenus désormais tes amis, dans quelle mesure tu penses que cela te permet de produire des séquences authentiques ?

Alors déjà, j’ai bien repris les 10 kilos (rires). Il y a une confiance qui est nécessaire. Le fait que les riders aient une confiance aveugle et qu’ils se livrent, ça change tout. Je ne suis pas caméraman, je suis leur pote qui filme un peu tout le temps, alors ils s’en foutent un peu et oublient. L’amitié est très importante, c’est même la clé. 

Dans le film “Freerider”, la voix-off occupe une place importante. Tu as dit que “les images des films de ride sont toujours impressionnantes mais il faut trouver une histoire avec du sens”, comment arrives-tu à trouver cette “storyline” si singulière ?

C’est un peu un travail d’auteur, il faut trouver une introduction accrocheuse, un challenge, un développement des personnages, une conclusion. Je m’inspire des images. Je n’ai pas d’idées préconçues avant le voyage. Pour “Freerider”, il y a un narrateur qui se permet de se moquer et qui construit une histoire sur une expédition en Alaska. Si je m’inflige 6 mois de montage, à ne pas dormir la nuit, c’est pour raconter une histoire qui marque les gens et qui fait que les gens vont aimer le film, ressentir des émotions et apprendre des choses. 

Je ne suis pas caméraman, je suis leur pote qui filme un peu tout le temps, alors ils s’en foutent un peu et oublient

Dans ce numéro, on parle de ton dernier film “Of a Lifetime”, peux-tu me parler de ce projet ? Et la réalisation d’un film comme celui-ci, avec la famille De Le Rue ? 

“Of a Lifetime” est l'apothéose de ma carrière dans le snowboard, parce que quand tu reviens 15 ans en arrière, j’allais à La Nuit De La Glisse et je matais des vidéos de Xavier De Le Rue. Pour moi, c’était tellement légendaire, des gens intouchables d’une certaine manière, éloignés de mon monde avec ma board toute pourrie, j’avais 15 ans et j’étais tout nul. Ensuite, j’ai rencontré Victor, on a le même âge et le fait d’avoir grandi avec lui, ça m’a ouvert les portes de cette famille. Xavier a adoré les films et m’a proposé de réaliser le film de cette expédition en Antarctique. Pour moi, c’était fou et un honneur de dingue, la boucle était bouclée. Je me suis donné à fond pour ce projet unique car je sais que je ne retournerai jamais là-bas et que la plupart des gens n’auront jamais cette chance d’y aller. Pour la première fois, je ne suis pas narrateur, on ne voit pas ma tronche, ce qui est très bien. Le point de vue de la famille et surtout de Mila était bien plus important. J’ai énormément travaillé le texte avec les De Le Rue pour les faire s’ouvrir et écrire des choses plus intimistes.

 

Texte de Eloïse Picard

Les articles associés

Vous voulez des cookies ?

Ce site utilise des cookies pour garantir la meilleure expérience de navigation.

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies tiers destinés à vous proposer des vidéos, des boutons de partage, des remontées de contenus de plateformes sociales

Paramétrage de mes cookies

Au-delà des cookies de fonctionnement qui permettent de garantir les fonctionnalités importantes du site, vous pouvez activer ou désactiver la catégorie de cookies suivante. Ces réglages ne seront valables que sur le navigateur que vous utilisez actuellement.
1. Statistiques
Ces cookies permettent d'établir des statistiques de fréquentation de notre site. Les désactiver nous empêche de suivre et d'améliorer la qualité de nos services.
2. Personnalisation
Ces cookies permettent d'analyser votre navigation sur le site pour personnaliser nos offres et services sur notre site ou via des messages que nous vous envoyons.