Le trail est une école buissonnière. Les chemins instruisent ce que les livres ne peuvent inculquer. Thibaut Baronian, l’un des meilleurs traileurs français, en a encore fait l’enrichissante expérience, cet hiver, à l’heure de délaisser cette saison de ski qu’il chérit tant pour se rendre en Nouvelle-Zélande, baskets aux pieds. Sa motivation ? Découvrir une terre qui habitait ses rêves, d’abord ; participer à Tarawera, la course la plus emblématique d’Océanie, ensuite. Le Haut-savoyard est revenu de son périple le baluchon plein de souvenirs mais également d’apprentissages. Il nous raconte. En mots et en photos.

CAMPING-CAR, VOLCANS & PAVLOVA
Thibaut, raconte-nous, pourquoi ce voyage en Nouvelle-Zélande alors que, généralement, c’est sur les skis que l’on te croise en hiver ?
C’est vrai, cet automne, j’ai fait face à un véritable dilemme. Je suis né à la Roche-sur-Foron, au pied des montagnes, en Haute-Savoie. Depuis tout gamin, je passe mes hivers ici, sur les skis de fond, sous la neige, dans le froid. J’adore ça. Faire une croix sur cette période que j’aime tant a été un petit sacrifice. Mais le jeu en valait la chandelle. La Nouvelle-Zélande, plus qu’un pays, est une terre qui m’attirait depuis longtemps. Ma motivation profonde était donc la découverte, à laquelle s’est ensuite greffé un projet sportif. Tarawera, la plus grande course de trail d’Océanie, a en effet annoncé délivrer deux tickets qualificatifs pour la Western States. Un ultra-trail mythique dans les canyons californiens auquel je rêve de participer depuis que j’y ai ‘pacé’ Mathieu Blanchard, un ami. Pour ces deux raisons – la compétition et l’opportunité d’un long voyage – j’ai accepté de renoncer à ces flocons que j’attends toute l’année.
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué durant ce périple à l’autre bout du monde ?
(Instantanément) Les couleurs, absolument fantastiques ! La couleur de l’eau, des arbres, des fleurs... Tu prends des claques en permanence. Le pays n’est pas immense mais la nature – gigantesque, très préservée – dégage une certaine force. Ou une force certaine. J’ai également été impressionné par la diversité des paysages. Tu passes d’un biotope à l’autre en quelques kilomètres seulement, ç’en est presque déroutant. J’ai enfin été marqué par la faible densité de population, tu peux avancer des heures sans croiser personne à l’horizon. En revanche, les locaux que l’on rencontrait se montraient très accueillants, attentifs au fait que l’on passe un séjour agréable sur leurs terres. Globalement, j’ai trouvé la Nouvelle-Zélande ultra-apaisante.
Ma motivation profonde était la découverte d’un pays à laquelle s’est ensuite greffé un projet sportif : Tarawera, la plus grande course de trail d’Océanie
Avec Marianne Hogan, une amie, ultra-traileuse professionnelle elle aussi, vous avez fait le choix d’un voyage en camping-car. Un choix gagnant ?
Totalement ! La Nouvelle-Zélande est un pays idéal pour le camping-car. Tout est pensé et aménagé pour ! Les routes sont larges. Les spots pour passer la nuit sont nombreux et proposent toutes les commodités nécessaires. Nous avons parcouru toute l’île du Sud avec notre maison itinérante. Un régal : 18 jours de pur bonheur ! Forcément, nous n’étions pas les seuls à avoir cette brillante idée. Beaucoup de voyageurs choisissent cette option. Mais tous partagent les mêmes valeurs. Profiter de la nature, vivre dehors. Tout le monde est très respectueux de l’entourage et de l’environnement.
Es-tu capable de nous citer 5 lieux qui t’ont marqué et qu’il ne faut pas manquer ?
Pour commencer, Milford Track, un itinéraire très réputé qui serpente entre les fjords et s’effectue généralement en 3 ou 4 jours, avec des nuits en huttes. Avec Marianne, nous avons réalisé la trace à la journée, en trail. 54 km et 1700 m de dénivelé positif de pur plaisir. Le mont Ben Lomond, un sommet emblématique qui surplombe le lac Wakatipu du haut de ses 1748 m d’altitude, dans la région de Queenstown, vaut vraiment le détour. Je garde également un souvenir ému du lac Pukaki et de sa couleur bleue semblable à aucune autre. Sur l’île du Nord, le parc national de Tongariro et le volcan Taranaki, légendaire pour sa forme parfaitement conique, m’ont profondément marqué. Bref, j’en ai pris plein les yeux, à chaque instant !
On te sait passionné de cuisine et fin gourmet. Ton côté épicurien a-t-il trouvé son compte lors de ce voyage ?
Très sincèrement, mieux vaut aller en Nouvelle-Zélande pour les paysages que pour la gastronomie. Disons que ce n’est pas leur atout premier ! (Sourire) Je ne saurais même pas te citer une spécialité m’ayant marqué, hormis peut-être le miel, dans certaines régions, et les plats à base de viande, sur l’île du Nord, du fait de la culture maorie, un peu plus présente ! Ah si, parait-il que la Pavlova, à base de fruits rouges et meringue, est un gâteau traditionnel néo-zélandais ! Mais je ne suis pas très dessert !

CHEMINS DE BONHEUR, COMPÉTITION & APPRENTISSAGES
Focalisons-nous plus précisément sur le trail. À tous les passionnés qui parcourent ces pages, leur conseilles-tu de fouler les chemins néo-zélandais ? Peux-tu nous les décrire, en quoi sont-ils différents des sentiers que l’on retrouve dans les Alpes ?
La Nouvelle-Zélande est un pays que je recommande à fond pour le trail ! Les montagnes ressemblent finalement beaucoup à ce que l’on connait, dans les Alpes. La différence majeure réside dans la rareté des chemins. Il existe peu de sentiers balisés en comparaison de chez nous. En revanche, les itinéraires entretenus le sont parfaitement et se révèlent parfaitement magnifiques. Il n’y a rien à jeter. Au risque de me répéter, la Nouvelle-Zélande est une destination sportive et outdoor par excellence. Je pense que pour améliorer encore l’expérience, il faudrait amener son VTT ou son vélo gravel en sus de ses baskets de trail. Pour croiser les disciplines. La nature s’y prête vraiment.
As-tu perçu la même tendance qu’en Europe, avec un sport, le trail, qui a véritablement le vent en poupe ? Le trail est-il aussi populaire et communautaire que chez nous ?
Tout au long de notre périple, nous avons croisé beaucoup de randonneurs, mais très peu de traileurs. Sur 18 jours d’itinérance sur l’île du Sud, nous avons rencontré un seul coureur, Belge, dans une montée. Lorsque nous évoquions notre métier et le ‘pourquoi’ de ce voyage avec les locaux, nous les sentions curieux mais assez novices sur le sujet. Là-bas, personne ne connait l’UTMB. En se rapprochant du lieu de la course, forcément, les gens paraissaient plus sensibles, mais pas suffisamment pour que l’on puisse parler d’une tendance ou d’un véritable esprit communautaire.
Nous voilà le 15 février, à Kawerau, une petite ville située sur l’île de Nord, sur la ligne de départ de Tarawera by UTMB, la course qualificative qui a, en grande partie, motivé ton aventure. Rien ne se passe comme prévu. Tu connais un jour sans, qui se conclut par un abandon au 52ème kilomètre, sur les 100 que compte l’épreuve. Peux-tu nous raconter comment tu as traversé cette journée difficile ?
La préparation s’est globalement bien passée. Même si je dois avouer que j’ai parfois vécu comme une contrainte le fait de devoir courir alors que les skis me faisaient de l’œil. Je n’étais pas dans la forme de ma vie, mais j’avais suffisamment bien travaillé pour m’aligner avec ambition sur la ligne de départ. Malheureusement, dès les premiers kilomètres, roulants, très monotones, j’ai senti la détermination s’évaporée. Je me suis accroché au peloton de tête mais une entorse de la cheville au km 30 a fini d’achever ma motivation. Je n’avais pas les ressources mentales nécessaires pour creuser loin dans mes retranchements.
Maintenant, je sais que je dois emmener mes jambes là où mon cœur a envie d’aller

Comment tu expliques ce manque de motivation soudain, après seulement quelques heures de course ?
Tarawera est, de mon point de vue, une course très atypique, différente de ce que l’on connait en Europe. C’est extrêmement plat et roulant. L’itinéraire emprunte 80% de pistes et seulement 20% de singles. Il y a des choses magnifiques à voir à peu près partout autour du tracé, mais là, j’ai eu l’impression que le circuit avait été pensé pour ne pas les exploiter. J’ai trouvé ça monotone et ennuyant. Tu n’as pas l’opportunité de t’émerveiller sur le parcours, ce qui t’oblige à te focaliser sur l’effort. À ce manque de motivation, s’est ajoutée la solitude, pesante. Je cours pour vivre des émotions, et les partager. Là, je me sentais loin, en décalage. Ces sensations sont vivement ressorties au premier tiers de course. Je n’avais pas la flamme que j’ai habituellement. La tête, le corps et surtout le cœur n’étaient pas alignés !
Plus qu’une contre-performance, on a l’impression qu’il s’agit plutôt d’un apprentissage ?
Complètement ! Je n’ai aucun regret. J’ai énormément appris de cette aventure. Je reviens le baluchon plein d’enseignements. J’ai appris à mieux identifier mes motivations. Dégoter un ticket qualificatif n’est pas une carotte suffisante pour me permettre de me livrer à 100%. J’ai besoin de plus que ça pour donner mon meilleur. Je ne prends pas autant de plaisir à courir à plat, en forêt, qu’à crapahuter sur des sentiers techniques, en montagne. Cet abandon m’a offert l’opportunité de me recentrer. Sur le trail que j’ai envie de pratiquer en compétition. Celui qui m’anime et me rend performant.
La déception a-t-elle été facile à digérer ? Fort de ces enseignements, es-tu aisément passé à autre chose ?
Non ! (Catégorique) J’ai investi du temps, de l’énergie et de l’argent dans ce projet néo-zélandais. Dans cette situation, tu ressens forcément de la déception puisque tu as cette impression que cet engagement n’a pas été payant. À mon retour en France, avec le recul, après 2 semaines de spleen, j’ai commencé à relativiser. J’ai retrouvé la forme, le désir d’aller en montagne et suis désormais habité par cette volonté féroce de faire de ma frustration une force pour la suite de la saison. Encore une fois, je n’ai pas de regret. Cette course m’a permis une véritable introspection, avec des frais minimes sur la suite de l’année, puisqu’elle se déroule loin des futurs objectifs. Maintenant, je sais que je dois emmener mes jambes là où mon cœur a envie d’aller.
Et justement, ce cœur, où est-ce qu’il va emmener tes jambes pour cette saison 2025 ?
J’ai effectué un petit reset après ce voyage en Nouvelle-Zélande, avec notamment un jeûne encadré de 7 jours, qui m’a permis de découvrir mon corps avec encore plus d’acuité. Ensuite, je me préparerai pour le format 100 k du Ventoux by UTMB, dans une région que j’adore ; puis je me focaliserai sur les Championnats de France de Trail, à Val d’Isère, mi-juillet, sur un parcours très montagneux qui me plait ; avant de basculer, enfin, sur mon gros objectif de la saison : l’UTMB !

LES 5 CONSEILS DE THIBAUT BARONIAN AVANT DE PARTIR ‘TRAILER’ EN NOUVELLE-ZÉLANDE :
1/ « Le premier conseil, et certainement le plus important, est d’emporter avec soi un bon tube de crème solaire, écran 50 minimum. En effet, là-bas, j’ai découvert un soleil qui brûle comme je l’ai rarement expérimenté. Avec des UV particulièrement élevés, pouvant atteindre des index de 11 voire 12. Un jour, j’ai oublié de badigeonner mes mains, j’ai fini avec un coup de soleil futuriste, puis la peau qui a pelé, quasi-instantanément ! »
2/ « Rester à bonne distance des ‘sandflies’, ces mouches des sables qui pullulent sur les plages ainsi qu’à proximité des cours d’eau. Elles paraissent inoffensives mais en réalité, elles te grignotent. Leurs piqures te laissent un souvenir mémorable, elles te grattent pendant des semaines. Cela peut vite te gâcher le voyage, si tu ne fais pas attention ! »
3/ « En montagne, les fontaines sont encore plus rares que les chemins. Tu ne peux pas partir la fleur au fusil en espérant remplir tes flasques à la source, en refuge. En revanche, l’eau des lacs et des rivières est si pure que tu peux la boire sans problème, en la passant dans un filtre. Mon conseil est donc le suivant : emportez un petit filtre pour l’eau, à glisser dans votre sac de trail ! »
4/ « Pour le matériel, il s’agit de voyager léger. Je recommande donc un équipement de trail semblable à celui que l’on prendrait dans les Alpes, avec notamment des chaussures typées pour l’ultra et les chemins relativement techniques. Car certains sentiers pourraient vous surprendre ! »
5/ « Enfin, pour tracer mes itinéraires de trail dans un pays qui découvre seulement ce sport, je me suis appuyé sur l’application Open Runner, couplée à un site local très bien conçu, appelé ‘NZ Topo’ ! »
Texte de Baptiste Chassagne