Le skieur Enak Gavaggio, spécialiste du skicross et du freeride dans une autre vie, a inventé un personnage drôle et décalé pour réaliser ses rêves de skieur. Rancho, dans chaque épisode, découvre et expérimente une discipline du ski en compagnie des meilleurs spécialistes du genre. Un succès au box-office et un coup de frais dans le monde des spatules. Rencontre.
Quelle était l’idée de départ de Rancho ?
C’est lié à mon parcours de skieur. Jeune, j’étais en ski alpin, un milieu très fermé, avec des codes précis, et moi je rêvais d’être snowboarder ! Pendant mon temps libre, je glissais sur une seule planche ou suivais les skieurs de bosses, j’essayais de faire des doubles twist écart. Quand tous mes copains étaient habillés en 501, mocassins et veste Chevignon, j’avais les cheveux longs, gras et une veste en jean ou en cuir. Du coup, j’étais considéré par le milieu alpin comme un branleur ou un fumeur de pétards (ce que je ne suis pas, je suis un laborieux, je n’ai aucune aptitude innée). J’ai ensuite arrêté le ski alpin pour le freeride où on me traitait d’enfoiré de racer. Dans le skicross, j’étais un skieur alpin raté. Bref… voilà les étiquettes qu’on collait à l’époque. Et les étiquettes, ça m’énerve profondément. L’ADN de Rancho est là.
En 2012, quand nous avons crée la webserie, notre slogan exprimait cela : « le ski dans toute sa largeur ». Rancho était un nouveau skieur, arrivé de nulle part, sans a-priori. C’était mon message.
Une approche différente qui a pourtant cartonné immédiatement sur le web ?
Avec le premier épisode, on a douté. Nous n’étions pas certains que la population du ski soit prête à entendre ce message. Maintenant, ça parait évident, mais il y 5 ans, ce n’était pas gagné. C’était un pari fou, tout le monde attendait du freeride de ma part et on a balancé une vidéo de ski de fond ! Ca a marché… Le public commençait surement à en avoir marre de tous ces trucs sectaires. Un an après, on a même vu des skieurs freestyle faire les cons en combinaison moule-burnes dans un slalom géant. Nous sommes finalement en phase avec l’esprit des skieurs de l’époque : faire des passerelles entre les disciplines.
Ce qui est étonnant, c’est le succès de Rancho auprès de toutes les générations de skieurs ?
On pensait que ça allait être un programme pour les 30- 45 ans, mais on s’est très vite rendu compte que Rancho était transgénérationnel. Les gens de mon âge, on leur parle directement (avec des private jokes). Les anciens : on leur ramène les champions de leur époque (Franck Piccard, Perrine Pelen). Aujourd’hui, Rancho est un rendez-vous de famille, le papa, la maman et les enfants y consacrent une demi-heure et comme au cinema, toute la salle ne rigole pas au même moment ni aux mêmes blagues.
C’était un pari fou, tout le monde attendait du freeride de ma part et on a balancé une vidéo de ski de fond ! Ca a marché…
Rancho a consacré plusieurs épisodes au ski alpin racing en le dépoussiérant. Un retour aux sources pour toi ?
Une revanche personnelle en quelque sorte ! Cela dit, je suis content de l’effet Rancho sur les alpins de l’équipe de France, car on les a toujours critiqué en disant qu’ils étaient froids et pas cools, mais c’est le milieu le plus sain du ski, celui de la vraie compétition ! Tu ne peux pas tricher, il y a un chrono et basta ! Les gars sont droits, honnêtes. Rancho, c’est finalement un moyen de partager autre chose avec eux que des conférences de presse ou des interviews dans les raquettes d’arrivée où ils ne parlent que de performance.
Les alpins nous ont fait totalement confiance. Ils savaient qu’on allait faire les cons mais sans les ridiculiser ou se servir d’eux. Nous sommes toujours bienveillants. D’ailleurs, certains journalistes hallucinent que nous puissions tourner avec des stars comme Alexis Pinturault, Tessa Worley ou Martin Fourcade, qui avait décalé tous ces rendez-vous pour nous inviter à tourner 3 heures chez lui !
Rancho, c’est avant tout un travail d’équipe avec ton vieux pote réalisateur Dino Raffault et Thibaut Gachet à la caméra et au montage. Le soin apporté à l’écriture différencie votre webserie des autres productions ?
Oui, la différence avec les autres webseries, c’est qu’on consacre plus de temps à l’écriture qu’au tournage. Les autres mettent en avant la performance sportive, nous pas du tout. Il y a toujours une performance, c’est vrai, en fin d’épisode avec le saut à ski ou la descente, et on construit tout le film pour en arriver là. Mais la performance est au deuxième plan, on veut surtout raconter le milieu, faire découvrir aux fondeurs l’esprit du KL, le ski étant plein de petits univers qui se regardent entre eux.
Concrètement, on écrit pendant environ dix demi-matinées, avec Dino. On prend un tableau blanc, on met nos mots- clés, on essaye de découper, de faire un squelette en 3 ou 4 parties, on joue avec les clichés, pour créer des liens entre les parties du film. Un épisode de 10 ou 17 minutes, c’est long à tenir, il faut qu’il y ait du rythme, c’est le plus dur. L’objectif est que nos héros mis en scène dans l’épisode aiment le film. Quand un athlète nous dit qu’il est fier d’avoir participé, c’est la meilleure preuve de réussite de Rancho.
Texte : Guillaume Desmurs
Photos : Rancho Web Show