Le nouveau mythe de l’ultracyclisme
Il est des oxymores qui en disent long. Mouvement et statu quo, vitesse et immobilisme, voilà des termes et des concepts qui parleront à tous les cyclistes qui lisent ces lignes. Qui n’a jamais eu ce sentiment d’être à l’arrêt malgré la violence de l’effort, en plein milieu d’un col ? Qui, au contraire, n’a jamais eu cette sensation d’ivresse à pédaler le vent dans le dos ? Le cyclisme n’est qu’une question de mouvement. L’ultra cyclisme, c’est la même chose. Puissance 1000. Et pendant que la discipline ne cesse de grandir, un événement grandit au moins aussi vite et tire avec lui de plus en plus d’adeptes. Plutôt que de rester immobile en gardant la recette qui a fait son succès, la « RAF » ne cesse d’évoluer. Objectif : rester l’événement incontournable de l’ultra cyclisme en France, et bientôt dans le monde ?
Avez-vous déjà imaginé traverser la France en voiture, d'une traite ? Imaginez maintenant la même chose à vélo. 2500km, à travers l’Hexagone, à la force des jambes.
L’ultra cyclisme au pays du Tour de France
Les idées les plus folles sont souvent issues de moments les plus banals. Nous sommes en octobre 2014, Arnaud Manzanini, employé français d’Apple, part s’entrainer en vue de la Race Across America, une course d’ultra cyclisme traversant d’Ouest en Est les États-Unis. Une sortie comme une autre, et pourtant, qui va changer le destin de ce passionné de vélo. Les quelques heures à pédaler ce jour-là ont été un déclic : il fallait que le concept « Race Across » s’exporte au pays du Tour de France.
« Quelques jours plus tard, je déposais la marque et le nom Race Across France. Je savais que cette idée allait naître un jour », explique le principal intéressé. Puis la vie a repris son cours, et ça n’est que trois ans plus tard qu’elle s’est transformée en ce qui est aujourd’hui, le plus grand événement d’ultra cyclisme dans le monde, en nombre de participants.
« Fin 2017, quelques amis m’ont dit ‘Si tu y vas, on te file un coup de main’ », raconte Arnaud Manzanini. « On voulait se donner un peu de temps, et viser une première édition pour 2019. Mais c’était l’année de Paris-Brest-Paris, et c’eut été compliqué d’exister à côté de cette épreuve mythique. Alors on a décidé d’avancer la date à 2018. L’aventure commençait ! ».
Soyons clairs, il s’en est fallu de peu pour que l’événement prenne une tout autre trajectoire : « c’était purement artisanal, on ne savait pas dans quoi on se lançait ! J’ai annoncé l’événement alors même que je n’avais pas un parcours précis. Je savais ce que je voulais raconter comme histoire, mais tout était à construire ».
Finalement, c’est de Mandelieu (Alpes Maritimes) au Touquet (Pas de Calais) - les deux villes qui accueillirent le projet avec enthousiasme - que le parcours fut tracé, avec en point d’orgue, la traversée des Alpes. « Il fallait que l’on traverse cette chaine de montagnes, c’était naturel » explique-t-il. Avant d’ajouter : « la naissance de la RAF, c’est d’abord du feeling. J’ai beaucoup observé ce qu’il se faisait dans d’autres sport, le trail, le triathlon, le swimrun. J’avais la sensation qu’on devait y aller, que c’était le moment ».
J’étais convaincu d’une chose : l’ultra cyclisme avait un avenir radieux, et la France serait un territoire parfait pour le faire rayonner.
Une courbe de croissance aux allures de montée du Ventoux
Quel que soit le point de départ de votre ascension - il en existe trois possibles - arriver au sommet du Mont Ventoux se mérite. Les pentes sont raides, tout autant que la courbe de croissance qu’ont connue l’ultra cyclisme et la Race Across France ces dernières années.
Arnaud Manzanini fait presque partie des pionniers. C’est aux débuts des années 2010 que le Français s’est lancé dans la discipline, encore marginale à l’époque. Deux participations à la Race Across America en tant que coureur, d’autres comme conseiller, s’imprégner de cette épreuve mythique pour créer ce qui est devenu depuis l’une des références de l’ultra cyclisme mondial.
« Je ne connaissais rien au métier d’organisateur, je ne savais pas dans quoi je me lançais ni ce qui m’attendait, mais j’étais convaincu d’une chose : l’ultra cyclisme avait un avenir radieux, et la France serait un territoire parfait pour le faire rayonner ». Arnaud Manzanini voyait loin, mais visait juste : en cinq éditions, Race Across France a multiplié par 20 le nombre de participants. De 62 pour l’année 2018, ils seront 1100 au départ des quatre distances proposées en 2022. « La croissance a été fulgurante, au-delà de ce que l’on imaginait évidemment, même si l’on était convaincu que ça allait marcher. Mais pas si vite. » Attention, excès de vitesse.
Les défis de la croissance
Défier les pentes les plus abruptes n’est pas toujours facile, surtout lorsque l’on ne sait pas à quoi s’attendre. C’est un peu dans cette situation qu’Arnaud Manzanini et son équipe se sont retrouvés, lorsqu’au fil des éditions, le nombre de participants a explosé. Accueillir et faire traverser la France à 62 participants ou à 800 (le nombre de concurrents en 2021), ça n’est pas le même métier. « La logistique a complètement évolué. Imaginez un peu : cette année, il a fallu une personne à plein temps pendant sept semaines pour gérer les autorisations préfectorales. Et je ne vous parle pas du reste : les bases vie, transporter les dropbags… »
Croissance de l’événement dit aussi croissance des responsabilités. « Soyons honnêtes, pour être dans les clous d’un point de vue administratif, c’est un travail colossal. C’est un réel frein à l’organisation d’événements, et si les choses ne changent pas, l’avenir de l’ultra cyclisme en France peut être menacé », explique-t-il.
Principal blocage : l’ultra cyclisme n’est pas reconnu comme une discipline à part entière dans l’Hexagone. « Pour le moment, la Fédération française de Cyclisme ne nous reconnait pas en tant que telle. Il y a des discussions, on essaye de faire bouger les choses et on espère que cela va bouger dans les mois et années à venir. Il le faut. »
Être reconnu par la FFC changerait la donne : c’est sur la base de cette reconnaissance que les Préfectures, jusqu’ici très tatillonnes lorsqu’il s’agit de donner leur aval à de telles épreuves, pourront être plus conciliantes. « La France est un pays historique du vélo, on a la plus grande épreuve de cyclisme au monde, ce serait un comble qu’une discipline en pleine croissance soit freinée par ces problématiques administratives » confie le créateur de la RAF.
En cinq éditions, Race Across France a multiplié par 20 le nombre de participants !
Accompagner ou guider l’évolution de la discipline ?
« J’ai sauté dans le vide, et je construis depuis le pont qui me permettra de traverser de l’autre côté de la rive. J’ai l’intime conviction qu’on va y arriver ». C’est en ces termes qu’Arnaud Manzanini résume la trajectoire de la RAF et parallèlement celle de l’ultra cyclisme dans l’Hexagone. « Évidemment, il y a beaucoup d’autres événements qui font vivre cette discipline en France. On essaie de faire notre part du boulot, pour faire progresser ce sport incroyable ».
Pour poursuivre cette croissance, la RAF a pris une décision majeure pour cette cinquième édition : changer le sens du plus long parcours. C’est au sommet du Mont Ventoux, l’année dernière, que la décision fut prise. « Le parcours du 300km se terminait là-haut, et je trouvais dommage qu’il n’y ait personne pour les accueillir dans la nuit. Tous ces coureuses et coureurs méritaient mieux ».
Ainsi, plutôt que de faire partir toutes les courses au même moment du même point (Mandelieu), Arnaud Manzanini et son équipe eurent l’idée d’inverser les rôles. Il fallait que toutes les courses arrivent au même moment, au même endroit. « Cela créera de l’engouement, on pourra accueillir tous les coureurs des quatre distances plus ou moins en même temps, sur un même lieu et organiser une belle fête ».
Autre changement majeur qu’il constate et qu’il souhaite accompagner : la féminisation de la discipline. « Cette année, il y a 14% de femmes inscrites sur l’ensemble des épreuves. C’est une vraie avancée, même s’il y a encore beaucoup à faire pour rendre l’ultra cyclisme plus féminin. » Un constat : le principal frein au développement de la discipline chez les femmes est la sécurité. « Notre rôle est de tout mettre en œuvre pour apporter le plus de garanties possibles. Notamment avec les balises GPS et le suivi tout au long de la course. »
D’autant que, comme on peut le constater dans tous les sports d’ultra endurance, les femmes sont (ultra) performantes. « Je n’exclus pas qu’une femme soit proche de gagner une épreuve au scratch sur la RAF très bientôt. Peut-être déjà cette année ».
Arnaud Manzanini conclut : « Au fond, la RAF est à l’image de la discipline : elle grandit, elle devient plus mature, se structure, et elle a de l’ambition. Il faut regarder loin devant pour anticiper les prochains obstacles. L’ultra cyclisme c’est un voyage, c’est un condensé de vie en une épreuve. Une épreuve comme la RAF, ça peut changer une vie ».
Tout changer, pour que rien ne change.