Nathanaël Sapey-Triomphe appartient à une espèce rare. Il est à part. Il est à la fois athlète et esthète. Alpiniste et artiste. Le beau l’anime autant que le dur. Le partage l’attire plus que le résultat. L’histoire l’inspire plus que l’exploit. Et le chemin l’émeut plus que le sommet. Avec ce premier film, le jeune réalisateur français de 26 ans propose une prise de recul et une profondeur de réflexion que son âge ne laisse pas deviner. En effet, à travers le récit de son expédition au Népal, le paralpiniste – qui gravit des montagnes reculées pour ensuite en décoller en parapente – pose une question enfouie en chacun de nous. Il interroge le ‘pourquoi’ plutôt que le ‘comment’. ‘Pourquoi tu vas là-haut ?’ se révèle donc être un film bouleversant, intime, esthétique, dont on ressort chamboulé, car il incite chacun à trouver sa propre réponse. Un film que l’on recommande, car il fait grandir. Rencontre.

LES PRÉMICES
« J’ai grandi en ville, à Lyon, mais je passais tous mes étés chez ma grand-mère, en montagne, dans la vallée du Mont-Blanc. C’est là que j’ai développé ce besoin viscéral d’être en nature. Rapidement, je me suis aussi découvert une passion pour les voyages, que j’ai commencé à raconter sous forme de films, car j’ai une mauvaise mémoire. J’ai alors entamé des études dans la communication puis un cursus en école de cinéma, mais je ne suis allé au bout ni de l’un, ni de l’autre : j’avais juste la soif de vivre des expériences et d’apprendre sur le terrain, par moi-même. J’ai mené une vie de baroudeur, au cours de laquelle je souhaitais découvrir un maximum de destinations. Je réalisais des images en tant que vidéaste autodidacte et indépendant, pour des agences de voyage, puis des athlètes. Cela m’a fait vadrouiller de l’Amérique du Sud au Japon en passant par les îles Féroé. Petit à petit, cette activité est devenue plus sérieuse, jusqu’à monter une boite de production de publicités et de documentaires à l’adresse des acteurs de l’outdoor. J’étais dans une forme de frénésie. Les projets s’enchaînaient. À un moment donné, j’ai ressenti le besoin d’opérer une transition vers quelque chose qui avait plus de sens. »
Le paralpinisme m’offre l’opportunité de vivre des expériences qui me sortaient du spectre de la réalité. Mouvoir son corps jusqu’à des sommets magnifiques puis en décoller...
LE PARALPINISME
« J’ai toujours été sportif. Depuis tout jeune. Je me souviens d’ailleurs de ma frustration de vivre en ville. Pour l’atténuer, je grimpais sur les toits, avec des amis, afin de voir l’horizon. Nous en avions presque fait un sport ! Lorsque je suis arrivé en montagne, j’avais cette envie profonde de pratiquer l’alpinisme. J’ai acheté du matériel d’occasion pour grimper le Mont-Blanc. J’ai aussi fait la découverte du parapente, qui m’a fasciné. J’ai alors allié les deux pour m’adonner au paralpinisme. Cette discipline hybride m’offrait l’opportunité de vivre des expériences qui me sortaient du spectre de la réalité. Mouvoir son corps jusqu’à des sommets magnifiques puis en décoller... J’ai trouvé le sentiment de liberté associé pur et puissant. Animé par le partage plutôt que la compétition, je me suis ouvert aux rencontres, notamment celle de mon mentor, ‘Lucho’, et celle de mon compagnon de cordée, Michel Cervellin. Avec ‘Mitch’, nous avons effectué notre première expédition de paralpinisme en Équateur. Nous avons volé à plus de 6000 m d’altitude, après avoir gravi les plus hautes montagnes du pays, dans un décor très sauvage. Ça nous a fait rêver. Ça a nourri l’envie d’un projet plus grand encore, encore plus haut, et plus reculé, en Himalaya. »

LA TRANSITION : DEVENIR ATHLÈTE-ARTISTE
« Ce film nait au confluent d’une période de transition. Je n’irais pas jusqu’à évoquer une crise existentielle mais plutôt l’ouverture d’une réflexion quant à mes envies profondes. Professionnellement, je souhaitais aller vers des projets avec plus de sens ; et sportivement, j’accédais à une forme de maturité, avec une attirance prononcée pour des montagnes plus reculées. J’avais pour métier de documenter les aventures d’autres athlètes ; désormais, j’ai aussi l’envie de raconter mon histoire, mes expéditions. ‘Pourquoi tu vas là-haut ?’, c’est donc une première étape dans ma transition vers une carrière d’athlète-artiste, où j’ai la volonté de mélanger et incarner mes trois passions : le sport, l’art et la narration. »

LA GENÈSE DU FILM ‘POURQUOI TU VAS LÀ-HAUT ?’
« J’ai traversé 4 années très mouvementées, frénétiques. Je n’arrivais pas à me satisfaire des moments simples, chez moi, en famille, en France. J’avais besoin de vivre des choses que je considérais comme exceptionnelles pour être heureux. J’ai donc initié cette aventure cinématographique pour m’obliger de prendre le temps de prendre le temps. Me créer l’opportunité de travailler des centaines d’heure avec des amis sans être pressé par la montre. Me focaliser sur un projet précis, conduit de A à Z, avec patience et méticulosité. Afin de me comprendre, et pouvoir avancer. Pour marquer cette étape de ma vie, j’ai voulu mener une expédition humaine, puissante, autour du questionnement et du partage. Notre choix s’est porté sur le Népal, un pays que j’ai découvert en 2022, en tournant un documentaire avec Dawa Sherpa, le premier vainqueur de l’UTMB, lors d’un trail de 300 km sur ses terres. Nous souhaitions porter un regard différent sur l’alpinisme himalayen, en posant nos yeux sur des sommets atypiques, plus isolés. Les grimper, puis en décoller. Nous sommes donc partis à la fin du mois d’octobre 2023, pour revenir deux mois plus tard, juste avant les fêtes. »
Nous souhaitions porter un regard différent sur l’alpinisme himalayen, en posant nos yeux sur des sommets atypiques, plus isolés.
L’OBJECTIF DU FILM : LE MESSAGE, LE ‘POURQUOI’
« ‘Pourquoi tu vas là-haut ?’, ce n’est pas le récit d’une expédition sportive. Le paralpinisme – le sport – y est plutôt envisagé comme le médium pour accéder à une prise de recul et de parole. L’idée est d’inviter les gens à se poser la question du ‘pourquoi’ et de les inciter à trouver ‘leur’ réponse. C’est la raison pour laquelle nous les embarquons dans quelque chose de très immersif. Quand avec mes 2 compagnons de cordée, Mitch & Cchiring, nous avons une conversation, le spectateur est là, assis avec nous. Au quotidien, je suis un bavard, mais là, volontairement, nous utilisons peu de mots, afin de laisser à chacun l’opportunité de maturer sa propre réflexion. Pourquoi a-t-on ce besoin fondamental de montagne ? Interroger ce paradoxe avec lequel j’avais autant de mal à composer : l’alpinisme est une démarche très individualiste, qui ne bénéficie pas à l’intérêt général, qui ne sert pas le bien commun, pourtant je ne peux m’empêcher d’y aller. Pourquoi, aussi, peu importe la profession, a-t-on envie de plus ? Après quoi court-on ? En réalisant ce film, j’ai trouvé la réponse à mon ‘pourquoi’, mais je n’en parle pas. Pour que chacun le questionne librement. »

LES CONDITIONS EXTRÊMES
« Je suis désormais biaisé par le mot ‘extrême’, car au fur et à mesure des expéditions, j’ai grandement élargi ma zone de confort et poussé assez loin mon référentiel de ce que je considère comme ‘soutenable’. Durant cette expédition au Népal, la nuit, il faisait entre -20 et -25°C, et cela se réchauffait pendant la journée, jusqu’à passer la barre des 0°C. Ce qui était de mon point de vue largement supportable en comparaison du -45°C avec des rafales à 100 km/h expérimenté en Alaska, où notre seule activité quotidienne se résumait à déblayer notre tente, pour ne pas finir ensevelis. Plus j’avance, plus je me rends compte que j’aime les conditions rudes. J’y trouve une forme de satisfaction. Lorsque les éléments se déchainent, mes sens sont plus aiguisés. Je me sens plus vivant. »
LE MEILLEUR CONSEIL CONTRE LE FROID
« Si je devais donner un seul et unique conseil pour lutter contre le froid, ce serait de savoir réguler ses couches. Car le moyen le plus efficace de ne jamais avoir froid, c’est de ne jamais transpirer ! Le pire ennemi, en expédition, c’est l’humidité ; et donc de garder tes affaires sèches, ton principal allié. Tant que tes affaires restent sèches, tu as chaud ! »
Plus j’avance, plus je me rends compte que j’aime les conditions rudes. J’y trouve une forme de satisfaction

UN MOMENT MARQUANT : L’ASCENSION-DÉCOLLAGE DU CHOLATSE
« Le souvenir qui me vient spontanément, c’est notre ascension puis notre décollage du Cholatse, un sommet népalais perché à 6440 m d’altitude, dans la région du Khumbu. Grimper des montagnes qui nous font rêver et pouvoir en décoller, c’est le Graal de ces expéditions, le ‘pourquoi’ de notre pratique ! Cette ascension s’est découpée en trois temps. Tout d’abord, il y a eu la phase de déplacement, seuls, dans ce décor absolument gigantesque, qui nous dépasse, à travers la moraine et le début du glacier, jusqu’à arriver au pied de la face. S’en est suivi, le passage de cette première face jusqu’à notre camp de base avancé, à 5500 m, où nous avons fait une sieste mémorable au cœur d’un panorama exceptionnel, au soleil. Nous étions paisibles, sereins, sur notre petit perchoir, avec du thé, du saucisson et un bout de Beaufort. Enfin, nous avons attaqué l’ascension finale, vertigineuse, sur une arête effilée, avec ‘du gaz’ à droite et à gauche. Le niveau de concentration est maximal. Je suis hyper focus, parfaitement connecté à l’instant présent. J’ouble ce qui s’est passé avant et ce qui m’attend après. Avec mes deux compagnons, on ne parle plus avec les mots mais avec les yeux. Un regard suffit pour se comprendre. Une fois au sommet, nous prenons conscience que toutes les conditions sont réunies pour voler. C’est un instant de joie collective très intense. Il y a une forme de tension : cela fait plusieurs années qu’on y pense, plusieurs mois que l’on travaille dessus, et là, ça va se concrétiser... Dès lors que nos pieds quittent le sol, on entre dans un rêve. On observe les montagnes autour de nous, le chemin parcouru. Le temps s’arrête. On se détache du réel. Les émotions nous transpercent. Ces décollages à plus de 6000 m d’altitude sont vraiment marquants car le potentiel d’échec est énorme ! Il y a une part d’aléatoire si importante que lorsque tout s’aligne, c’est une impression de flow incomparable qui se déverse en nous ! »
L’APPRENTISSAGE
« Ce projet a marqué un tournant dans ma vie professionnelle et personnelle. Je me suis reconnecté à ce que j’aime profondément ; à ma sensibilité, mes émotions, mes valeurs... À mon retour, j’ai eu la conviction d’avoir tourné une page, comme si j’ouvrais un nouveau chapitre. Plutôt que de la rancune, j’éprouve désormais de l’acception vis-à-vis de qui je suis. J’accepte mes qualités mais surtout mes défauts. J’accepte ma part d’ombre et de lumière. Je me sens bien plus apaisé et épanoui. »
LA SUITE
« Je vais poursuivre ma reconversion d’artiste-athlète avec toujours cette volonté de mélanger montagne, nature, culture, humain, expérience de vie et partage. J’ai renoué avec ces passions pour l’expédition et la réalisation de film. Je travaille donc, à moyen-terme, sur un projet de long-métrage retraçant une aventure sportive et humaine ambitieuse. J’ai encore du mal à en parler, de peur d’en faire un teasing maladroit. Aussi, je suis plus que jamais motivé à créer des choses physiques, tangibles... Des objets que l’on peut prendre dans nos mains – notamment un livre qui accompagnera le lancement du film – ou des évènements, qui permettent d’opérer des connexions humaines fortes. J’aspire à détacher – un peu – du digital pour me rapprocher de l’organique, du vivant ! »
Texte de Baptiste Chassagne