Sa curiosité n’a pas de limite. Son corps et son mental non plus. À 42 ans, Perrine Fages conjugue l’aventure à tous les temps et toutes les disciplines, pourvu que ce soit long, éreintant et que cela questionne sa capacité à aller au bout. Sa spécialité ? Apposer le préfixe « ultra » à tous les sports outdoor du dictionnaire, afin de vivre et partager de grandes émotions, à l’instant où les heures d’effort décapent tout le superflu pour faire surgir le vrai. Avocate de profession, funambule par conviction, Perrine Fages marche sur un fil de vie inspirant. Entre un métier prenant et une passion dévorante. Entre la recherche de plaisir et la quête de performance. Entre la joie et la souffrance. Entre la polyvalence et la résilience.
Retour sur 5 de ses plus grandes performances en tant qu'ultra polyvalente...
L’aventure, c’est comme un accélérateur de particules.
Perrine Fages et... (L’ULTRA) NAGE EN EAU LIBRE
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La traversée de la Manche. 70 km.
20h15 d’effort.
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« J’entretiens une relation très particulière avec la traversée de la Manche. J’y ai vécu des émotions paradoxales : des joies aussi intenses que les déceptions ont été profondes. Je m’y suis aventurée à 4 reprises. Deux fois en combinaison, deux fois avec pour seul attribut un maillot de bain. La plus marquante fut la deuxième traversée, la première que j’ai effectuée dans son intégralité. Le 26 août 2018, dans le cadre de l’Enduroman, un triathlon XXL qui rallie Londres et Paris.
Deux mois auparavant, j’avais été sortie de l’eau par l’organisation, à seulement quelques kilomètres du rivage, lors d’une première tentative sur ce même triathlon.
Je rencontre alors une femme, obstinée, qui m’affirme qu’elle restera à Douvres jusqu’à réussir et retentera dès le prochain créneau ouvert par l’Enduroman.
Elle me convainc et nous voilà embarquées pour l’édition d’août.
Les conditions sont encore plus épouvantables qu’en juin : des vagues, du vent, des bateaux... Mais je plonge avec une conviction : cette fois, j’y arriverai ! Personne ne me sortira de l’eau
Je m’en extirperai moi-même, en posant le pied sur le sol français.
Les courants sont si forts que je parcours non pas 35 km, mais 70. À la fin, alors qu’il ne reste que quelques hectomètres, alors que je peux voir les gens sur la plage, je suis prise de panique.
Une lame de fond m’éloigne du rivage, comme si après m’avoir tendu les bras, la traversée m’échappait. J’ai des tendinites au bras. Nerveusement, je pète un plomb. Heureusement, le discours de mon coach, depuis le bateau qui m’assiste, me remobilise.
Pendant 20 minutes, je produis un effort maximal. Je me fais mal comme rarement. Je sens que je détruis mon corps, mais peu importe, je vais réussir. Lorsque j’atteins enfin la rive française, après 20h15 de combat, je ressens un sentiment de satisfaction ultrapuissant, à la hauteur de l’investissement consenti. Je prends alors conscience de ce qui est le plus dur en natation longue distance : contrairement aux autres disciplines comme le vélo ou le trail, tu ne peux jamais te reposer ! Si tu as un coup de moins bien, tu n’as pas la possibilité de t’assoir et d’attendre que ça passe. Tu dois continuer d’avancer – toujours – sinon tu recules ! »
Perrine Fages et... (L’ULTRA) TRIATHLON
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Le Norseman. 3,8 km dans une eau à 14 degrés. 180 km et 3360 m de dénivelé positif à vélo. 42 km et l’ascension du Mont Gaustatoppen, soit 1880 m de dénivelé positif, en courant.
15h39 d’effort.
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« J’ai débuté le vélo en 2016. Six mois plus tard, je m’aligne sur l’Ironman de Nice et à la sortie de l’été, conquise, je m’inscris, sans trop d’espoir et sans prendre conscience de l’ampleur de la tâche, au Norseman, un triathlon extrême, réputé comme ‘le plus dur du monde’, dans les Fjords norvégiens.
On me dit que je n’y arriverais pas, mais de mon côté, j’aborde l’épreuve sereinement. J’ai la conviction que la réussite réside dans une bonne préparation, dense et consciencieuse. En effet, je suis rassurée par une bonne préparation car c’est un élément que tu maitrises : il suffit de mettre de l’investissement, de la rigueur et du plaisir au quotidien. Du coup, le jour de la course, hormis cette petite montée de stress qui me saisit lorsque bateau nous lâche pour le départ, dans une eau glacée, à 3h du matin, j’ai l’agréable sensation de réciter ma partition.
Sur le Norseman, il y a une particularité : seuls les 150 premiers peuvent finir le parcours, et repartir avec un T-shirt noir, le Graal ; les autres sont orientés vers un itinéraire de repli, à 10 km de l’arrivée. On oppose souvent le plaisir et la performance. Moi je crois que l’on peut viser les deux : je prends du plaisir lorsque j’arrive à exprimer 100% de mon potentiel le Jour J, lorsque je donne tout ce que j’ai à donner, lorsque j’atteins l’objectif que je me suis fixée. Donc, dans un coin de ma tête, j’ai le rêve secret de décrocher ce T-shirt noir. Quand je comprends, dans les derniers kilomètres de la course à pied, que ça va le faire, j’expérimente un magnifique moment de joie. D’autant plus qu’il est partagé. C’est l’une des premières fois que ma famille vient m’encourager sur l’un de mes projets. Cette liesse collective, c’est ce qui rend ce souvenir si unique. »
On oppose souvent le plaisir et la performance.
Perrine Fages et... (L’ULTRA) CYCLISME
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Bikingman Taïwan. 1150 km. 17 000 m de dénivelé positif. 119h d’effort.
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« En 2018, en revenant des Championnats du Monde de triathlon Ironman à Hawaï, je décide de m’arrêter à Taïwan afin de découvrir le pays en participant à son Bikingman, une épreuve d’ultracyclisme qui arpente l’île de long en large. Cette épreuve m’a énormément marquée car j’y ai tout vécu. J’ai fait face à des situations que seules ces aventures peuvent t’offrir. Je n’ai pas dormi pendant près de 5 jours. J’ai traversé des portions de gravel, de nuit, dans la jungle, avec des serpents qui tombaient des arbres. J’ai chuté des dizaines de fois et crevé au moins autant. J’ai cassé mon dérailleur. J’ai cherché pendant plusieurs heures mon téléphone dans les herbes hautes. Je suis tombée nez à nez avec des braconniers de singes qui m’ont menacée avec une carabine alors que je m’étais endormie dans un col long de 70 km. J’ai été aidée par un habitant qui, certainement pris de pitié par mes genoux en sang, embarque mon vélo dans son pick-up et m’emmène chez lui afin de le réparer pendant que sa femme me nourrit et soigne mes plaies. Le tout sans échanger un mot, mais avec des regards qui en disent long.
C’est le propre de l’ultra-endurance : elle te fait voyager dans un espace-temps parallèle. Tu finis totalement lessivée, mais le baluchon plein de souvenirs et d’émotions complètement dingues. Tu te demandes comment toutes ces situations ont pu te tomber dessus en si peu de temps. L’aventure, c’est comme un accélérateur de particules. Ça accélère ta vie, en la mettant sur des montagnes russes. »
Perrine Fages et... (L’ULTRA) TRAIL
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SwissPeaks 360. 367 km. 26 600 m de dénivelé positif. 109h d’effort.
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« J’ai participé à de nombreux ultra-trails : l’UTMB, la PTL, le Tor des Géants, le Marathon des Sables... mais mon préféré demeure la SwissPeaks 360. Mon premier 200 miles. Une traversée grandiose, au coeur des « 4000 » des Alpes, dans le Valais Suisse. J’y participe pour la première fois en septembre 2020, au sortir du confinement. Pour me préparer, j’effectue le GR 20, en Corse, et beaucoup de « volume » en endurance à vélo. Le contexte est particulier : on retrouve, enfin, d’autres êtres humains ; le cadre est absolument grandiose ; et Steven Le Hyaric, mon compagnon, prend le pari de me faire toute mon assistance à vélo, en rejoignant les points de ravitaillement à bicyclette...
Tout au long de l’épreuve, j’éprouve ‘puissance 1000’ la solidarité qui existe entre les traileurs. On secourt une coureuse japonaise accrochée à une falaise, en panique. On franchit des cols enneigés très engagés. Je partage des bouts de route avec des gens fabuleux. On s’aide à repousser nos limites. On traverse tout le Valais par les crêtes.
C’est extraordinairement beau. Si beau, qu’à l’issue de l’ultime ascension, lorsque tu vois en contrebas le lac où se situe l’arrivée, tu implores pour qu’il reste encore une ou deux petites arêtes. Tu n’as pas envie de redescendre. Tu es si bien là-haut, avec les personnes que tu as rencontrées, qui sont devenues tes compagnons de cordée.
La principale difficulté que j’éprouve est la gestion du sommeil. Sur les 106h de traversée, je dors 2 fois 3 heures. Ce n’est pas assez. Je suis victime d’hallucinations. Des hallucinations visuelles : des pierres qui bougent, des randonneurs sortis de nulle part... Et des hallucinations temporelles : tu observes le point où tu dois aller, au loin, et la seconde d’après, tu as l’impression d’y être...
Mais c’est simplement que tu t’es assoupie et que ton corps a continué d’avancer machinalement pendant cette phase de sommeil où tu dormais vraiment debout ! »
Perrine Fages et... (L’ULTRA) AVENTURE
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La traversée hivernale du Lac Baïkal à vélo. 600 km. 8 jours d’effort.
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« J’adore les courses. Mettre un dossard. Se fixer un objectif et se préparer en conséquence, pour délivrer la meilleure performance possible le Jour J. Mais j’aime également l’aventure. Plus sauvage. Quand tu sais que, même si tu appuies sur ta balise GPS, personne ne viendra te chercher. Quand tu ne peux pas appeler l’organisation si le plan ne se passe pas comme prévu. Lorsque tu ne peux compter que sur toi. À cet égard, l’une de mes aventures les plus marquantes reste certainement notre tentative de traversée du Lac Baïkal, à vélo, en hiver, avec mon compagnon, Steven Le Hyaric. Cette étendue d’eau mystique, nichée au beau milieu de la Sibérie, nous attirait énormément. Nous voici donc partis, en mars 2020, pour 600 km de vélo, dans ce biotope hostile, entre le Grand Froid, les ours, les loups et les fissures de la glace qui craque.
À notre arrivée sur place, la fenêtre météo est peu avenante. Ils annoncent énormément de neige.
Malheureusement, avec mon travail, le créneau de temps dont je dispose est restreint. Le lundi suivant, je dois être au bureau ! Pendant 3 jours, fatalistes, on trace donc tant bien que mal notre petit bonhomme de chemin, à raison de 20 km par jour, en poussant le vélo dans la neige fraîche. Puis, résignés, on a la chance de tomber sur un local qui propose de nous tracter jusqu’à l’île d’Olkhon.
La suite se révèle digne d’un film : on passe 2 jours dans une petite cabane isolée de tout, à partager des moments de vie incroyables avec ce russe immense et très intimidant, qui nous laisse à manger tout en dorlotant son bébé chat...
Je comprends alors que, la vraie aventure, tu attends que la nature t’invite à la vivre pour la mener. Pour ma part, dans l’impossibilité de décaler mes vacances, une fois au départ, quoi qu’il se passe, j’ai pour habitude de foncer. Je me dois d’avancer.
Désormais, j’essaye de m’organiser en amont afin de disposer de plus de souplesse. »