L'accent chantant des Pyrénées, le terrain de jeu de son enfance, Michel Lanne a fait du chemin depuis ses premiers pas vers les hauteurs. De massif en massif, de montagne en montagne, il a fait ses gammes en changeant de souliers entre les sommets, tantôt baskets aux pieds, tantôt en crampons, en chaussures de ski ou en chaussons d'escalade. Aujourd’hui, guide de haute montagne, membre du PGHM (peloton de gendarmerie de haute montagne) et traileur, Michel Lanne est avant tout un bon vivant. Il apprécie autant le goût de l'effort que celui d'une bonne bière ou d'un burger XXL !
Dans l'élite du trail ces dix dernières années, il a donné une nouvelle image à cette pratique où l'objectif de performance peut parfois faire oublier le plaisir simple de courir en montagne. Pourtant, des performances, il en cumule quelques unes ! Vainqueur du Marathon du Mont-Banc en 2013,
de la CCC en 2016, de la TDS en 2017 et de la Maxi Race en 2019, Michel Lanne fait incontestablement partie de l'histoire du trail de cette dernière décennie ! Jeune retraité du circuit international, si on ne le voit plus sur les lignes de départ, Michel semble n'avoir jamais été autant actif ! Rien ne s'arrête puisque l'objectif reste le même : le plaisir dans le dépassement. À traileur épicurien, interview épicurienne...
Qu'est ce qui différencie la course pour soi et la course en compétition ?
En vérité, il n'y pas tellement de différences… J'ai couru pour moi ces deux dernières années, je ne me suis aligné sur aucun départ et je réalise qu'il n'y a pas tellement de changement. Je me rends surtout compte que ce qui me donne envie d'aller courir et ce qui me donne envie de me dépasser et de chercher des challenges, c'est la passion et l'envie d'aller faire ça !
Pendant dix ans, j'avais l'impression que la course en compétition était un peu la finalité de tout mon entraînement. Et oui, ça l'est d'une façon ou d'une autre, tout dépend ce que tu recherches. Quand tu recherches le résultat ou d'être maintenu dans un team, l’aboutissement chiffré, c'est à dire, est ce que tu es numéro 1 ? Est ce que tu n'es pas numéro 1 ? Est ce que tu es un peu meilleur que les autres ? Alors oui, c'est sûr que la compétition est un aboutissement. Mais maintenant, je me donne pourtant les mêmes objectifs. Quand je vais courir, j'essaie de définir des objectifs : des traversées de massifs, des enchaînements… Comme sur le circuit ! Ce qui me maintient là dedans, c'est toujours l'envie de dépassement de soi, pour moi-même, pas envers les autres. Ça a toujours été le cas. Quand je faisais de la compétition, c'était aussi pour moi-même. Je me demandais si j'étais capable de faire cette course, de faire tel chrono ou si j'étais capable d'être meilleur que les autres. Mais finalement, c'était toujours un challenge avec moi, je ne courais pas contre les autres. Aujourd'hui, je n'ai plus de dossard et je ne suis plus autant regardé qu'avant mais finalement ce qui me motive, ce n'est pas cela. Je suis motivée par cette passion et cette envie de dépasser un peu ce qui est réalisable… Je m'en aperçois quand je rentre d'une sortie ou je suis allé vraiment chercher loin. Quand je suis autant exténué qu'après une course, là, je me dis que je suis aussi satisfait qu'il y a deux ans quand je finissais dans ce même état après une course. Donc, qu'est-ce qui différencie la course en compétition et la course pour soi ? En réalité, rien du tout! C'est un état d'esprit et un challenge personnel. La compétition était aussi un challenge personnel mais entouré d'autres personnes.
Je suis motivé par cette passion et cette envie de dépasser un peu ce qui est réalisable...
Quel est ton plus beau souvenir sur le circuit ?
Il y en a tellement ! Dix ans de course avec un peu près 10 courses par an, une centaine de dossards, ça fait beaucoup de souvenirs ! Il y a eu quelques abandons aussi, mais je garde de bons souvenirs avant tout. Les meilleurs sont souvent les victoires sur les grosses courses, bien-sûr. C'est une énorme satisfaction, ça veut dire que tout l'entraînement que tu as engrené pendant des mois pour cet objectif a payé ! Quand tu gagnes, c'est que tu as réussi à être un peu au-dessus du lot, mais surtout, c'est un foisonnement de sensations. Tu es dans un jour magique ! C'est le jour où tu prends conscience que tes sensations sont mille fois meilleures que ce que tu pouvais imaginer. C'est le moment où tu te sens mieux que quand tu te sens bien ! Ça n'arrive qu'une, deux ou trois fois par an. Ça peut être à l'entraînement ou en course. J'ai eu la chance de vivre ça deux fois dans ma carrière sur l'UTMB, la CCC en 2016 et la TDS en 2017. Ce sont vraiment des souvenirs dont je reparle souvent, c'était deux journées absolument magiques. J'avais poussé l’entraînement jusqu'à l'épuisement total, les 10 jours d'avant course, je n'ai fait que dormir. Je dormais entre 12 et 15 heures par jour. J'avais tiré sur la corde, et pourtant, le jour de la course, j'étais dans cette fameuse journée de surcompensation, dans cet état de grâce où tu cours et ne te fatigues jamais. Tu peux toujours relancer. J'éprouvais des sensations incroyables. Tout ce que le corps arrive à nous procurer lors de ces journées de folie, ça tient du miracle. Et la cerise sur le gâteau, c'est quand tu arrives sur la ligne d'arrivée sous les applaudissements et encouragements de la foule en plein cœur de Chamonix. Ce sont des souvenirs qui resteront gravés dans ma mémoire.
C'est le moment où tu te sens mieux que quand tu te sens bien ! Ça n'arrive qu'une, deux ou trois fois par an.
Est-ce qu'il y a des regrets ?
Un peu mais pas tant, voire quasiment pas ! J'ai décidé de prendre ma retraite du circuit parce que j'avais justement accompli mes rêves. J'ai plus de bons moments que des regrets. Si vraiment, je suis sincère, je pourrais dire le regret de ne pas avoir gagné les grandes courses comme la course de l'UTMB ou le Grand Raid de la Réunion. Mais à la fois, en étant réaliste, je savais que je n'en avais pas les capacités, ni même l'envie… J'étais un petit ultra-traileur. J'aimais l'ultra-trail jusqu'à 120km, entre douze et quinze heures de course. J'aimais moins l'effort au delà sur les parcours de 20-24 heures de course, donc forcément, je me donnais un peu moins les moyens de m'entraîner… Ce n'était pas ma cam ! C'est comme quand tu demandes à un coureur de 100 mètres s'il regrette de ne pas avoir gagné le 400 mètres aux JO ! Il a fait le choix de gagner le 100 mètres et non le 400 ! Alors oui, j'ai essayé l'UTMB, je n'ai même pas terminé. Je n'étais pas bien préparé, je savais que je ne pouvais pas faire des miracles. Peut-être, que le regret, c'est de ne pas avoir fini l'UTMB ! J'étais dans l'assistance de François d'Haene pour sa quatrième victoire de l'UTMB, ça fait rêver, évidemment, mais, il a des capacités que je n'ai pas. Il n'y a aucune jalousie, j'ai toujours été lucide sur ce que je pouvais faire et sur ce que je pouvais pas. Il faut toujours rêver plus grand mais, il faut toujours garder le plaisir avant tout. Ces objectifs auraient pu être réalisables mais au prix de nombreux sacrifices. J'aurais du arrêter le secours en montagne, délaisser ma vie de famille et d'autres plaisirs, je n'étais pas prêt à ça.
Il faut toujours rêver plus grand mais, il faut toujours garder le plaisir avant tout.
Pourquoi avoir décidé d'arrêter maintenant ?
J'aurais pu continuer à courir, j'aurais pu continuer encore un peu dans le team Salomon et peut-être retrouver un regain de motivation pour aller sur les grandes courses du circuit international… Mais avant même le covid, j'ai eu une petite baisse de motivation. Pendant des années, ma motivation, c'était de gagner. C'est un peu paradoxal, parce qu'avant le trail, j'ai toujours refusé de mettre un dossard, que ce soit en escalade ou en ski, la compétition ne m’attirait pas. À 25 ans, j'ai mis mon premier dossard en trail pour découvrir cet univers, j'ai trouvé ça super excitant de pouvoir aller gagner des courses et de me dépasser…
Je me suis pris au jeu pendant une petite dizaine d'années. Ces derniers temps, j'ai compris que ce que j'aimais dans tout ça, c'était être en montagne et me dépasser, chose que je pouvais très bien faire sans avoir un dossard sur le ventre et le montrer aux autres. Je me suis alors posé la question… Après le confinement, je suis allé recourir en montagne, le calendrier des compétitions était à l'arrêt et j'ai découvert d'autres envies que de gagner des courses !
J'avais envie de partager ces plaisirs, chose que je m’interdisais, puisque que pour être performant en entraînement, je m’entraînais seul. Il était alors venu le temps de prendre un nouveau chemin. Délaisser la compétition et continuer ce sport avec les copains et partir sur de nouveaux projets. Il n'était plus question pour moi de faire les choses à moitié, pas question de continuer en dents de scie la compétition et mettre des dossards sans objectif de podium, j'ai donc préféré arrêter pour trouver ce dépassement et ces plaisirs ailleurs.
Est-ce que tu gardes toujours des objectifs d'entraînement ?
Oui, j'ai toujours des objectifs d'entraînement. Je n'ai jamais eu d'entraineur pendant mes années sur le circuit mais je savais comment structurer mes séances. Je savais quand j'étais dans une fatigue extrême pour pouvoir me reposer et surcompenser ensuite. Je me trompais rarement parce que je m'écoutais. J'étais plutôt dans l'analyse de mes sensations plutôt que dans un programme établi. Je connaissais mon corps, je savais m'entrainer pour mes différents objectifs. Je m'entrainais sans relâche, c'était aussi très contraignant, ça nécessitait de s'entraîner avec de la fatigue, c'était dur... Donc aujourd'hui, je garde des objectifs mais beaucoup moins poussés qu'avant. Je continue à m'entraîner mais sans aller chercher les limites. J'ai enlevé le fractionné, je peux avoir envie d'aller dans le mal sur de l'endurance mais pas sur de l'intensité. Je garde des objectifs de performance, je me dois donc de garder un cadre d'entraînement. J'ai envie de faire des traversées de massif, des traversées de 200, voire 300 kilomètres, je suis donc obligé de garder une rigueur dans mes entraînements.. Il faut garder cette assiduité pour éviter de se blesser et garder le même objectif : le plaisir avant tout.
Tes nouveaux défis ?
En trail, je rêve de faire des grandes traversées mais aussi des sommets, en mixant trail et alpinisme. L'alpinisme, c'est mon sport de prédilection bien avant le trail, c'est un sport que j'ai délaissé pour être performant en trail.
J'ai envie de revenir à ça. Aller en montagne, aller grimper ou aller voler avec mes amis. Me donner de nouveaux challenges hors des sentiers balisés… J'ai envie de partager ces défis avec les copains et avec tous les passionnés, notamment à travers une web-série qui verra le jour à l'automne. Je n'en dirai pas plus, mais ça sera un bon mixte de performances et de bonne humeur ! À suivre…
Peux-tu nous décrire une journée type de Michel Lanne ?
Aucune journée ne se ressemble ! Que ce soit dans le boulot avec le PGHM, dans mes entraînements ou mes sorties en montagne, il n'y a pas de routine. J'aime laisser place à la surprise et aller chercher du nouveau ! Mais je peux décrire la journée idéale en revanche… Me lever tard! Les #sunrise, c'est pas trop mon truc ! Après, un gros petit déjeuner, sinon ce n'est pas possible d'aller faire quoi que ce soit. Il faut un petit déjeuner avec plein de trucs bien sucrés, des croissants, des chocolatines et des madeleines au chocolat ! Après tout ça, aller courir avec environ 2 heures de retard sur ce que j'avais prévu de faire… J'aime courir l'après-midi quand il fait très chaud et pousser jusqu'au crépuscule pour voir de nouvelles couleurs sur le paysage. J'aime être en haut de la montagne quand il n'y a plus personne et que tout le monde est rentré chez soi depuis longtemps. Être seul là-haut ou avec des amis et regarder le soleil se coucher, ça n'a pas de prix. Puis, rentrer dans la vallée, aller boire une bonne bière, manger un bon burger et rentrer à la maison pour profiter de ma famille. Voilà à quoi ressemble une vraie belle journée de sport pour moi.
L'alpinisme, c'est mon sport de prédilection bien avant le trail, c'est un sport que j'ai délaissé pour être performant en trail.
Si tu pouvais être dans le corps d'un autre athlète ?
Alors… Il y en a quelques uns ! Et ça tombe bien, c'est tous des copains ! Mais pour en choisir un. Dernièrement, je n'étais pas dans le corps de François d'Haene mais dans son assistance, j'étais en immersion dans sa course de l'UTMB. J'essayais d'aller de point en point, en voiture ou en VTT pour le voir le plus possible sur les 170km et 10 000 mètres de dénivelé autour du Mont-Blanc. Au début, il était en super forme, il était plein d'humour et racontait de joyeuses bêtises ! Ça donnait envie d'être dans son corps et d'être à sa place, il avait l'air de kiffer sa journée ! Un peu après… Il a été un peu plus dans le dur ! Il a choisi de partir fort et de suivre un petit Américain, un certain Jim Walmsley, là, je ne l'enviais pas du tout mais alors pas du tout ! Je connais bien ce sentiment d'être déjà épuisé alors qu'il te reste encore dix heures de course. Mais à la fois, honnêtement, ça me ferait rêver d'être à sa place. D'être lui, d'avoir ses qualités de traileur, d'ultra traileur, et d'être en tête d'une course comme celle là. J'aurais aimé vivre cette journée de 20 heures qu'il a passée pour gagner cet UTMB. Vivre cette souffrance et cette solitude extrême avant de se soulever à l'arrivée. Ces sensations, seul le sport peut te les donner. Cette capacité à te surpasser, ne rien lâcher et trouver cette joie intense qui t’inonde à l'arrivée. C'est mieux que toutes les drogues du monde. Oui, j'aurais bien aimé être dans le corps de François lors de cette quatrième victoire de l'UTMB ! J'aurais aimé être dans son corps mais aussi dans sa tête ! Ce qu'il a réussi à faire, c'est stratosphérique !
Si tu devais ne garder qu'une montagne ce serait laquelle ?
Ah tu ne peux pas me demander ça ! Si je ne pouvais ne garder qu'un seul massif, je dirais les Aravis. C'est là ou je vis et il y a tellement de choses à faire, c'est très varié. Une seule montagne, je m’ennuierais ou alors il faudrait qu'elle soit complètement biscornue ! Qu'elle ait 18 combes, 14 faces différentes, des goulottes au milieu et des décollages de parapente de tous les côtés ! Si je réfléchis... Ça pourrait être la Pointe Percée. Elle a plein de variantes et surtout des endroits où je ne me suis pas encore aventuré ! Donc, oui, peut être la Pointe Percée, svp, laissez-moi tous les Aravis !
Le combo de tes rêves ?
J'en ai plusieurs, 3 notamment que j'aimerais vraiment réaliser dans les prochains temps. Ce sont des combos trail/alpinisme dans les Alpes et plus particulièrement dans le massif du Mont-Blanc. Une sorte de mixte entre de l'ultra-trail et de alpinisme sur plusieurs jours. L'idée est d'enchaîner dans un effort en continu, plusieurs sommets aux symboliques particulières pour moi. Enchaîner et gérer cet effort. Ça me motive parce que je me dis que c'est irréalisable et en même temps je me dis que c'est jouable… Il faut essayer ! Il faudra avoir un gros mental, être bien entouré et surtout, le faire sous le signe du plaisir et ne pas chercher l'exploit, ce n'est pas la bonne porte d'entrée pour un défi d'une si grande envergure.
Et pour la dernière, quelle est la recette du burger parfait ?
On l'a déjà un peu travaillé avec le Roster à Annecy, mais il y a encore de quoi faire ! Il faut que le pain soit assez léger mais ne doit pas non plus se déchiqueter ! Un pain un peu brioché, c'est pas mal, par exemple. Dedans, il faut un steak, un très gros steak, c'est obligatoire. Un steak local avec du vrai goût. Ensuite, il faut bien-sûr du fromage, un bon fromage qui fond. J'ai un petit faible pour le reblochon, bien coulant et bien fondant. Un bon comté qui croustille un peu, un peu grillé, c'est pas mal non plus… Ne pas oublier la sauce ! J'aime bien la mayonnaise aux herbes, un peu style béarnaise. J'aime bien aussi le guacamole, en première couche sur le pain, c'est vraiment bon. Un peu de croquant par dessus, une petite tranche bacon bien grillé ou une fine tranche de poulet pané. Et pourquoi pas, un peu de salade et quelques morceaux de tomate, mais pas trop ! Et après tout ça, je repars courir !
De Mathilde Boulesteix