Publié le 15 décembre 2020
Xavier Jourson
Crédit photo : xavierjourson.com

Xavier Jourson

L’HOMME DE FER ET D’ÉBENE
TRAIL RUNNING
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Triathlon, Interview

Du fer, il lui faudra la volonté. Un mental d’acier pour espérer boucler l’Ironman le plus dur du monde. 

De l’ébène, il a la couleur. Mais aussi la noblesse. 

Car c’est de ce bois à la fois robuste et délicat que Xavier Jourson est fait. L’ancien rugbyman professionnel, désormais trader à Montréal, s’est lancé un défi fou : être le premier triathlète Noir à finir le dantesque Norseman. Un projet pour écrire l’Histoire. Noir sur Blanc. Un projet qui s’appelle « La Transition ». 

Car il s’agit de marquer un avant. Et un après.

Prix Nobel, Epic 5  & fibres rapides

Crédit photo : Sebastien Furtado

« La Transition » est née au printemps 2020, durant le confinement, une période durant laquelle de nombreuses personnes ont pris de bonnes résolutions. Sauf que toi, tu es allé un peu plus loin, tu as transformé une simple résolution en projet de vie… 

C’est exactement ça. Tout a commencé lorsque ma compagne, docteur en chirurgie, est revenue d’une mission avec Denis Mukwege, le gynécologue congolais élu Prix Nobel de la Paix en 2018 pour sa lutte contre les violences faites aux femmes en Afrique…  Ses récits ainsi que le contexte anxiogène lié au confinement m’ont fait sentir tout petit, presque inutile. Ça a fonctionné comme un électrochoc. J’ai éprouvé une sensation de vide. J’avais besoin de retrouver du sens en me challengeant, en me mettant en situation d’inconfort. Ayant pris beaucoup de poids les mois précédents, j’ai d’abord visé une reprise du sport puis un marathon. Mais un marathon, c’est presque facile, banal… même pour mon mètre 95 et mes 100 kilos. Je voulais un truc plus dur, un projet vraiment plus fort, qui m’habite de doutes car sans aucune certitude de le réussir ! Et là, je tombe sur cette vidéo du Norseman… 

UN MARATHON C'EST PRESQUE FACILE, BANAL... ET LÀ JE TOMBE SUR CETTE VIDÉO DU NORESMAN !

Crédit photo : Charles Ouimet

Comment expliquer qu’une simple vidéo du Norseman change ainsi la trajectoire de ta vie ? Elle a agi comme une révélation ? 

En fait, à ce moment-là, je termine tout juste un bouquin qui m’a fasciné. Il s’appelle L’ultra-marathon m’a sauvé, écrit par Rich Roll. C’est l’histoire de cet auteur, un avocat anciennement alcoolique, qui, à 40 ans, a un « moment de lucidité ». Il se lance dans une œuvre sportive titanesque et 6 mois plus tard, grâce à une force mentale incroyable, boucle l’Epic 5, un projet fou qui consiste à boucler 5 triathlons format Ironman, sur les 5 îles d’Hawaï, en moins d’une semaine. Son témoignage, les images de ces athlètes qui plongent dans les fjords norvégiens, le récit de ma femme… Tout ça me trotte dans la tête. J’y pense de plus en plus. Ça m’obsède. Puis, un jour, au réveil, je me lève comme frappé d’une évidence : je serai le premier coureur Noir à terminer le Norseman, le triathlon le plus dur du monde. 

Pourquoi avoir décidé de nommer ce projet « La Transition » ? 

(Du tac au tac) Car ce qui m’attire, c’est le changement, le processus ! Plus que le sommet, c’est le chemin qui y mène qui m’intéresse réellement. L’évènement, en soi, c’est juste un prétexte. Ou du moins un objectif final qui me fixe un cap concret. Ce qui compte, c’est ce travail de l’ombre qui précèdera ce petit moment de lumière, le jour de la course. Ce matin-là, à l’heure de me jeter dans l’eau glacée, je serai déjà un homme différent. La transition sera achevée. (Un temps de réflexion) Ce titre évoque également la notion de transformation physique : faire de ce corps qui a toujours fonctionné sur des fibres rapides et des qualités d’explosivité durant ma carrière de rugbyman, une machine à endurer les efforts longs. Enfin, lorsque j’ai appris que, dans le jargon du triathlon, le passage d’une discipline à l’autre s’appelait « transition », je me suis dit « Bingo ! Cherche pas plus loin Xavier, tu l’as le nom de ton projet ! »…

JE ME LÈVE COMME FRAPPÉ D'UNE ÉVIDENCE : JE SERAI LE PREMIER COUREUR NOIR À TEMRINER LE NORSEMAN

LE NORSEMAN, LE TRIATHLON DE L'EXTREME QUI

" N'EST PAS FAIT POUR VOUS "

Crédit photo : xavierjourson.com

POUR LE PEUPLE NOIR, L'EAU REPRESENTE UNE TERRE D'ENLÈVEMENT. C'ETS UNE PHOBIE ANCRÉE DANS L'INSCONSCIENT COLLECTIF

Cardio, Banque Nationale du Canada & contentieux aquatique

Crédit photo : xavierjourson.com

La Transition a-t-elle déjà débuté ? Peux-tu nous raconter les premiers chapitres de cette histoire que tu écris désormais ? 

Clairement ! J’ai commencé dès la décision actée. Tout de suite, je me suis plongé avec énormément d’envie dans ce projet et j’ai pris les choses très au sérieux. Je me suis d’abord entouré de deux coach, Luc Morin et Pascal Harvey, qui sont de vraies pointures dans leur domaine. Ensuite, avec eux, j’ai établi une planification très rigoureuse, faite d’un enchaînement de cycles d’entrainements précis et spécifiques, pour arriver prêt le Jour J, en 2022.

Cela passe par une routine ascète, avec des séances biquotidiennes. Généralement, celle du matin est la plus dure physiquement, typée « cardio », quand celle de l’après-midi porte sur des aspects plus techniques, l’apprentissage des gestes, une belle foulée, un pédalage efficace, un coup de bras qui ne soit pas un coup d’épée dans l’eau… Enfin, je me renseigne un maximum, je lis énormément, notamment des biographies de sportifs célèbres, pour aller dénicher ces conseils avisés qui pourront me servir. 

 

Crédit photo : xavierjourson.com

Ce projet est devenu ta raison de vivre. Mais te fait-il vivre au quotidien ? 

Non ! Contrairement à ma première carrière à haut-niveau dans le rugby, je ne suis pas professionnel. Je ne vis pas de mon sport. Néanmoins, je m’implique avec la même exigence. J’ai conservé mon emploi de trader à la Banque Nationale du Canada, mais celle-ci étant devenue partenaire du projet, mes patrons se montrent désormais très cléments et me libèrent du temps pour m’entrainer. 

 

 

La Transition a-t-elle commencé à opérer ? Les premiers signes de transformation physique sont-ils déjà présents ? 

Totalement ! Les 8 premiers mois d’entrainement ont pour objectif de « dégrossir la masse » en faisant du volume, en réalisant beaucoup de cardio à pied ou en vélo. Les efforts payent : j’ai déjà perdu 16 kilos. Je n’étais pas descendu sous la barre des 100 kilos depuis mes 14 ans ! Ça me coûte d’ailleurs assez cher car je dois refaire entièrement ma garde-robe… Mais cette perte de poids enclenche un cercle vertueux hyper motivant. Mon idéal, le Jour J, c’est un 85 kilos bien tassé, avec un corps qui soit une machine. Musclée, endurante, élastique : prête au combat ! Avec en plus un mental à toute épreuve ! 

Comment s’est déroulée ta découverte du triathlon ? Trouves-tu du plaisir dans cette nouvelle pratique ou la seule motivation réside dans le challenge de réussir ton projet ? 

C’est une relation assez paradoxale, un peu « Je t’aime moi non plus ! » … Faut qu’on apprenne à se connaître le triathlon et moi, qu’on s’apprivoise ! (Sourire) Globalement, je prends énormément de plaisir à vélo, un sport qui m’a vraiment conquis. J’adore cette sensation de ne faire qu’un avec cette magnifique machine, l’impression harmonieuse qui te saisit lorsque tu es aérodynamique. La course à pied, cela se fait doucement mais surement. Je passe petit à petit des paliers. Par contre, j’ai toujours ce contentieux à régler avec l’eau… La natation va constituer le plus gros chantier de mon projet, c’est une certitude ! 

Pourquoi la natation représente-t-elle un tel obstacle ? 

Je pense qu’il y a une explication culturelle à cela : si tu regardes les JO, il y a très peu de nageurs noirs ! C’était un vrai mystère pour moi, du coup je suis allé creuser la question auprès de sociologues. Ils m’ont donné deux éléments de réponse. Premièrement, c’est un problème d’infrastructures. En Afrique, les routes goudronnées c’est déjà compliqué, donc t’imagines bien que les piscines d’eau potable c’est loin d’être une priorité. Deuxièmement, pour le peuple Noir, l’eau représente une terre d’enlèvement. C’est une phobie ancrée dans l’inconscient collectif car c’est par là qu’a débuté le commerce triangulaire et donc l’esclavage. Lors de ma carrière rugbystique, j’ai dû aller à la piscine pour effectuer ma rééducation. Vous n’imaginez pas la surprise que je pouvais lire dans le regard des gens en voyant un « grand Black » musclé qui débarque dans le bassin municipal.

Crédit photo : xavierjourson.com

Game Changer, Obama & Black T-shirt

Crédit photo : Charles Ouimet

La Transition, ce n’est pas uniquement un défi sportif, ce n’est pas simplement un challenge personnel. On sent que tu souhaites délivrer un message fort à travers ce projet, comme si tu te sentais investi d’une mission… 

Pour moi, terminer le Norseman, c’est bien plus qu’un rêve à réaliser, c’est une mission à accomplir…Je vais te raconter une anecdote. Pas plus tard qu’hier, je roulais avec un pote qui est mon sparring-partner cycliste. En rentrant, il me demande : « Pourquoi toutes les personnes noires que l’on croise t’encouragent alors que l’on est simplement à l’entrainement ? ».

 

Je lui réponds : « C’est simple, ils n’ont pas l’habitude de voir un Noir à vélo, mais ils supportent ceux qui se dressent contre les stéréotypes. Ils veulent leur champion ! » C’est pour ça qu’ils s’identifient autant à des athlètes comme Lebron James, Michael Jordan, Tiger Woods, ou Simone Biles…

Tout comme eux, à mon échelle, je veux être un acteur de changement ! 

Ça veut dire quoi concrètement un acteur du changement à travers un tel projet ? 

Ça veut dire contribuer à ouvrir les mentalités, des portes et le champ des possibles… Mon objectif, c’est défricher le chemin et montrer qu’avec de la volonté, on peut le faire ! Selon moi, casser la barrière d’un sport aussi non-conventionnel qu’est le triathlon, c’est hyper symbolique ! Comme pourrait l’être un champion de ski alpin originaire du continent africain. Et là, je ne te parle pas d’une comédie inspirée d’une équipe de bobsleigh venue de Jamaïque… Je vois ce projet comme un moyen d’enrayer ne serait-ce qu’un petit peu ce racisme systémique généré par le fonctionnement de la société. Aujourd’hui, les parents issus de minorités visibles préfèrent mettre leurs enfants à un sport collectif car pour eux, inconsciemment, c’est synonyme d’une meilleure intégration… Moi, je veux casser cela, fédérer autour d’un message, prouver que si tu as un peu de talent et beaucoup d’envie, tu peux réussir. Et ce, malgré les barrières sociales, raciales ou économiques… 

LES EFFORTS PAYENT : JE N'ETAIS PAS DESCENDU SOUS LA BARRE DES 100 KILOS DEPUIS MES 14 ANS

Crédit photo : xavierjourson.com

La puissance de ce message que tu souhaites délivrer est la raison qui te pousse à documenter ton aventure ? 

Essentiellement oui. Pour que le message soit entendu, il faut lui donner une caisse de résonance !

C’est la raison pour laquelle je me suis entouré d’une équipe de production. On souhaite faire un film sur l’ensemble de la préparation. Le contexte lié au mouvement Black Lives Matter a joué en notre faveur puisque nous sommes aujourd’hui en discussion avec de gros « streamers » pour réaliser le ce film documentaire. 

 

TU VEUX INVENTER UNE NOUVELLE ECONOMIE, ALLER SUR LA LUNE OU DEVENIR LE NOUVEAU BARACK OBAMA ? C'EST COOL, FONCE, JE CROIS EN TOI !

Ultime question, peux-tu nous expliquer le slogan qui résonne comme l’essence même de ton projet : « Vouloir VS Faire » ? 

C’est un état d’esprit qui m’anime au quotidien. Un mantra. Une philosophie de vie. Un jour, j’ai pris conscience que si je voulais vraiment quelque chose, il fallait que j’arrête de penser mais que j’agisse en conséquence. Après ma carrière dans le rugby, mon horizon professionnel sur Paris s’est bouché. Du coup, j’ai pris une décision radicale et l’ai assumée : j’ai débarqué à Montréal avec 2 valises de 23 kg et 5 000 dollars en poche. Cet axiome résonne comme l’apologie du courage. Plutôt que de rêver, il s’agit de se donner les moyens. Se dire qu’à défaut de le vouloir, je vais le faire. Tous ceux qui ont un objectif suprême, même déluré, m’inspirent. Tu veux inventer une nouvelle économie, aller sur la lune ou devenir le nouveau Barack Obama ? C’est cool, fonce, je crois fort en toi ! Pour le Norseman, c’est pareil, je ne me fixe pas de limite ! Je ne veux pas seulement finir ! Être finisher ne m’intéresse pas. Je veux arriver là-bas et performer. Délivrer la came, correct ! Et repartir avec le fameux T-Shirt Noir. Parait que ça m’irait bien au teint ! (Sourire)

Journaliste: Baptiste Chassagne

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www.xavierjourson.com

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