Publié le 15 juin 2020
LENDEMAIN DÈS L’AUBE

LENDEMAIN DÈS L’AUBE

Quand le Jour d’Après se lève sur l’Outdoor
SPORTS D'HIVER, MATOS
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Environnement, Reportage

Demain dès l’aube, à l’heure où les bourgeons verdissent la campagne, à l’instant où la neige blanchit la montagne, ils ne partiront pas. Non, ils ne bougeront pas. Peu importe ce qui les attend, ils resteront. Debout. Dehors. Peu importe les imprévus, bravant la crise, relevant les défis, ils feront face. Non, ces Hommes ne sont pas des poètes. Athlètes, territoires, marques, institutions et organisateurs, ce sont des acteurs de l’Outdoor. Et pour écrire les premières lignes de l’Outdoor du lendemain, nous avons croisé, non pas leurs rimes, mais leurs regards. Car Lendemain dès l’aube, à l’heure où la montagne s’offrira à nouveau à notre passion, sans parler de révolution, un changement de cap, humble, positif et pragmatique, sera nécessaire.

« Le Jour d’Après ». De quoi s’agit-il ? D’un blockbuster hollywoodien au scénario catastrophe ? D’un film dystopique où se déchainent les éléments naturels et s’enchevêtrent les effets spéciaux ? Non. Cette fois nous ne sommes pas confortablement assis dans un fauteuil de cinéma, face à un écran géant, mais affalés dans notre canapé, rappelés à la petitesse de notre existence. Ou du moins nous l’étions. Du 17 mars au 11 mai. Pour cause de confinement. Vous savez, ce terme qui trône désormais en tête de liste des antonymes du terme « Outdoor » !

 

Condamnés à rester dedans alors que l’envie de jouer dehors devenait chaque jour plus intense, nous avons eu du temps ! Du temps pour rêver de ces montagnes qui se refusaient à nous. Du temps pour prendre conscience de l’importance de cette passion qui équilibre nos vies. Du temps pour réfléchir aussi. Réfléchir à ce fameux « Jour d’Après ». Précisément le 12 mai pour les plus pressés. Ce jour, où nous avons regoûté à la saveur délicieuse du sport en extérieur. Avec un appétit gargantuesque certes. Mais avec de bonnes résolutions également. Chacun à son humble échelle. Comme une promesse faite à soi-même et à son terrain de jeu. Pas les résolutions personnelles du Nouvel An, mais une foule de résolutions individuelles qui agrégées peuvent générer un soubresaut collectif.

Pendant cette période, chaque passionné d’Outdoor a pu se découvrir des ailes de petit colibri. Des ailes qu’il s’imaginait déployer dès qu’il en aurait l’occasion, histoire de ramener un peu de positif dans un contexte morose et alarmiste. Ce jour est venu. Mais plus qu’un « Jour d’Après » évanescent, il doit s’agir d’un lendemain avec de beaux jours devant lui.

Pour dessiner une esquisse de ce lendemain, nous avons croisé le regard de 5 acteurs de l’Outdoor. Chacun, par son métier, héberge, inspire ou protège notre passion. De prime abord, ils n’ont pas grand-chose en commun. Pourtant, la crise sanitaire et économique qui a frappé la planète entière de plein fouet les a rapprochés. Sur deux points. D’abord, sur les conséquences lourdes qu’il faudra surmonter dans les mois qui viennent. Ceci, en démontrant toutes les valeurs de solidarité et de résilience que le sport a pu leur délivrer. Ensuite, sur la nécessité, non pas d’un « Plan Marshall » de l’Outdoor annonciateur de promesses sans lendemain, mais d’un changement de cap progressif, nourri d’actions concrètes et pragmatiques.

Des résolutions plus qu’une révolution. Car dans un système établi, petit colibri doit avoir l’humilité de comprendre que de ses petites ailes il ne va pas pouvoir tout chambouler. Lendemain dès l’aube, il s’agira d’un effort collectif. Et c’est tant mieux car c’est comme cela que l’on préfère les aventures en montagne : lorsqu’elles sont partagées.

Premier regard : Christophe Lavaut

Directeur de l’Office du Tourisme de Combloux.

« Le bilan économique pondéré par le bilan humain »

« Une fois passée la brutalité avec laquelle l’urgence de la situation nous a frappé, puisque l’on a appris le samedi soir devoir fermer le dimanche matin, on prend du recul. Certes le bilan économique est désastreux, mais au final il se voit pondérer par le bilan humain. Avec un peu de philosophie, le dépit et la fatalité sont tempérés par cette nouvelle appréhension de la valeur que l’on donne à la vie. L’être humain est rappelé à sa vulnérabilité, à la fragilité de ce qu’il met en place, à son statut de fourmi par rapport à la planète. »

« Axer nos évènements sur la proximité et l’accessibilité »

« L’annulation des évènements a généré à Combloux une réaction spontanée largement partagée : la volonté de redonner un maximum de sens à nos rassemblements. Nous souhaitons axer encore plus nos évènements sur la proximité et le contact humain, car la station porte cette âme. L’ADN de Combloux, le sens de notre action, c’est rendre les activités Outdoor les plus accessibles et les plus conviviales possibles. Pas de rechercher en permanence la performance sportive ou économique avec un nombre de participants croissants à travers le temps. »

« Ne pas succomber à la tentation de l’effet d’aubaine ! »

« En terme de communication, nous avons un devoir de décence à respecter. Il ne faut surtout pas succomber à la tentation de l’effet d’aubaine ! Je m’explique : oui, la montagne a pu apparaître comme une valeur refuge pendant cette crise, mais ce serait totalement inapproprié de surabonder dans ce sens et un manque total d’humilité que de faire de cet axe de communication un levier d’attractivité pour nos territoires. »

« La station de demain ? Avec un positionnement de niche. »

« La station de demain ? Je pense qu’il n’existe pas un modèle unique de réussite déclinable sur chaque localité. Non, il faut que chaque station construise son futur sur ces bases pérennes que constituent son histoire et son ADN. Ainsi, chaque territoire pourra naturellement se positionner sur une niche bien précise. À Combloux par exemple, la dimension conviviale et la dynamique écoresponsable sont ancrées dans notre patrimoine. Elles sont donc revendiquées et mises en avant. En fait, pour moi, la station de demain elle doit respecter notre terrain de jeu et respecter d’où l’on vient ! »

Deuxième regard : Léo Bergere

Triathlète international, 8ème du classement général mondial WTS 2019.

« Au début, la politique de l’autruche… »

« Au début du confinement, j’ai involontairement appliqué la politique de l’autruche. Face au flou qui nous entourait, je suis resté imperturbable par rapport à mes entrainements et mes objectifs, en ne changeant rien à ce que j’avais prévu. Puis, suite à l’annulation des Jeux Olympiques, le moral et la motivation ont légèrement plongé. Pendant quelques jours, j’ai donc décidé de faire le vide autour de moi. Je suis sorti de cette petite aventure introspective avec plus de sérénité, plus de recul. J’ai maintenu une activité sportive, car elle constitue la base de mon équilibre de vie, mais celle-ci se voulait beaucoup plus hédoniste. Je me suis éloigné de la pure performance tout en me recentrant sur le simple plaisir de pratiquer mon sport. »

« Mon apprentissage de cette période ? »

« Il y a un adage, remis au goût du jour dernièrement, qui affirme que l’on prend pleinement conscience de la valeur de quelque chose lorsque l’on en est privé. C’est exactement ce que j’ai ressenti. Depuis 2 ou 3 ans, j’étais obnubilé par cette échéance olympique de Tokyo 2020. J’étais si focus que j’en avais presque oublié les raisons qui m’ont fait tomber amoureux de ce sport. J’aime le triathlon car il me permet de passer un maximum de temps à jouer dehors, il m’offre un contact maximal avec la nature, ses différents éléments : l’eau, la terre, le vent… Ainsi, l’apprentissage que je souhaite tirer de cette période, c’est continuer à maintenir un très fort niveau d’engagement vis-à-vis de mes objectifs tout en conservant cet œil vigilant qui regarde vers l’extérieur. Pour prendre du recul, ne pas m’enfermer dans un tunnel de performance où j’oublierais le plaisir et l’essence même de ma passion. »

« L’écologie n’est pas un sujet tabou dans le sport de haut niveau ! »

« Il est rare de croiser un triathlète qui ne soit pas amoureux de son terrain de jeu. Autour de moi, dans mon groupe d’entrainement ou sur le circuit mondial, on a tous un contrat tacite avec la nature qui fait que l’on respecte des règles de base. Après, on est aussi conscient de l’empreinte carbone générée par notre pratique. Du coup, on essaye de compenser au maximum d’un point de vue individuel en s’attachant à de petits gestes, des initiatives qui ne méritent pas de médaille mais qui doivent devenir des réflexes : consommer local, acheter des produits de saison, covoiturer un maximum… »

« Peut-être moduler le calendrier pour limiter les déplacements en avion »

« Ce serait un manque d’humilité de ma part que de donner des directives, de soumettre des solutions, car j’imagine difficilement l’ensemble des contraintes qui pèsent sur les organisateurs. Ce n’est pas mon rôle. Le premier axe de travail, ce serait certainement de moduler le calendrier du circuit international WTS afin de réduire au maximum nos déplacements en avion entre les différentes manches, en allant d’une épreuve vers l’autre, d’Est en Ouest, sans jamais rentrer chez nous. Mais cela me paraît un peu utopique au sens où cela impliquerait un mode de vie totalement nomade et itinérant. Or un athlète a besoin d’un minimum d’équilibre, d’attaches et d’encadrement s’il veut être performant… » 

Troisième regard : Benjamin Thaller

Directeur d’Outdoor Sport Valley : OSV est un réseau engagé pour le développement économique de la filière outdoor ainsi que la promotion des pratiques sportives et la préservation des espaces naturels.

« Une crise qui peut devenir opportunité pour les acteurs de l’Outdoor »

« Sur le long terme, il est possible que cette crise se transforme en opportunité pour les acteurs de l’Outdoor. Bien évidemment, à court-terme, l’impact mécanique d’un arrêt prématuré de la saison d’hiver et le démarrage retardé de celle d’été est très négatif. Par effet de cascade, cela contracte le volume d’activité du marché tout entier. Il faudra aussi noter une nouvelle perte de terrain des magasins physiques par rapport à la vente en ligne, puisque le confinement à accéléré la transition vers un mode de consommation digitale. Néanmoins, cette crise a mis en exergue le besoin naturel de l’être humain d’évoluer dehors, de bouger en extérieur ! Il ne faut pas céder à l’opportunisme mais avoir en tête que la dynamique peut se révéler favorable pour ceux qui prônent la vie au grand air. »

« Le salut de l’Outdoor passe par la pratique ! »

« Cette crise nous a rappelé au « pourquoi » de notre mission, elle nous a poussé à nous recentrer sur nos fondamentaux. Notre rôle premier est de réfléchir aux conditions essentielles pour permettre le redémarrage rapide et pérenne des 450 entreprises que nous rassemblons. Et pour nous, le constat est assez indubitable : le salut de l’Outdoor passe par la pratique ! Le plus urgent, ce n’est ni la production, ni la réouverture des lieux de vente mais le fait de rendre accessible les lieux de pratique. Une fois les passionnés de retour sur leur terrain de jeu préféré pourra alors s’enclencher un cercle vertueux de relance du marché tout entier. »

« Devenir une industrie à la pointe »

« Notre besoin de nature s’est affirmé tout comme la nécessité de produire et consommer différemment. Un impératif qui avait déjà été identifié dans le monde de l’Outdoor. Nous pouvons donc devenir une industrie à la pointe sur cet aspect-là et jouer un rôle vraiment moteur sur cet enjeu de transition énergétique. Le développement durable et la protection de l’environnement sont au cœur de nos initiatives depuis des années avec plusieurs axes majeurs : la construction de modèles économiques plus circulaires, la réduction de l’empreinte carbone et un accès plus respectueux à nos terrains de jeux naturels. »

« Attention à l’entre-soi ! »

« Il y a un point de vigilance à surveiller pour tous les acteurs de cet univers : ne pas parler d’Outdoor à travers un prisme personnel. J’entends par-là ne pas évoquer ce monde seulement au regard de notre situation privilégiée. Nous sommes chanceux d’habiter la montagne mais il faut être conscient que 80% des français vivent dans des zones urbaines. Il est donc nécessaire d’adapter notre discours et sortir de notre microcosme pour s’adresser à ces personnes qui n’ont pas la même culture, les mêmes habitudes et les mêmes codes que nous. Notre mission : rester authentiques pour ne pas dénaturer notre pratique et notre terrain de jeu mais en demeurant accessibles ! Nous devons présenter nos régions comme des territoires très agréables où le sport constitue un mode de vie, un socle de valeurs, et pas seulement comme des cartes postales de destination. »

Quatrième regard : Pierre-Yves Gerland

Responsable outdoor chez Sport Premium :  Agence spécialisée dans la communication et le développement d’évènements sportifs (Marathon du Mont-Blanc, MB Race, The Evian Championship, Alpsman…)

« Prendre la moins mauvaise décision »

« En tant qu’organisateur d’évènements, l’adaptation et l’anticipation sont deux facultés que l’on doit déployer au quotidien. Cependant, ici, l’incertitude était si grande… Le plus difficile fût de prendre une décision avec aussi peu de cartes en main, c’est à dire un minimum d’information et aucune jurisprudence. Notre unique objectif était alors de prendre une décision qui soit la moins mauvaise et la plus consensuelle possible pour tous. Ainsi, plutôt qu’un report, nous avons choisi d’annuler nos évènements. Pour deux raisons. D’abord, car le calendrier automnal était déjà extrêmement dense et venir en concurrence sur certaines dates aurait pénaliser d’autres organisateurs. Ensuite, car nous souhaitons offrir des expériences de course pleines à nos participants, or pour cela, à la vue de la difficulté de ces épreuves parfois extrêmes, une bonne préparation est indispensable. Chose impossible avec le confinement. »

« Si l’on ne peut rembourser la totalité des inscriptions, ce n’est pas de gaité de cœur »

« Forcément, la première conséquence est économique. D’ailleurs, si l’on ne peut rembourser la totalité des inscriptions, ce n’est pas de gaité de cœur mais bien parce que des frais incompressibles de communication en amont du Jour J ont été engagés. D’ailleurs, avec l’annulation de l’UTMB, cela nous prouve bien que de ce point de vue-là, petit ou grand événement, nous sommes tous logés à la même enseigne. Après, la deuxième conséquence se veut plus affective. Au sens où l’on exerce un métier-passion qui fait que l’on prend du plaisir à se retrouver sur le terrain pour offrir des sensations. Ça va nous faire mal au cœur de ne pas vivre ces frissons, de ne pas lire ces émotions sur les visages de nos participants… »

« On va devoir aller plus loin et plus vite dans notre démarche écoresponsable »

« Paradoxalement, cette crise a ramené avec elle un peu de positif. Elle a souligné combien les gens aiment côtoyer la nature et s’y retrouver, ensemble. Deux motifs d’espoir qui rendent optimiste quant à l’avenir de l’événement sportif. Par contre, il nous faudra aller plus loin et plus vite dans notre démarche écoresponsable. La prise de conscience a déjà eu lieu, les initiatives sont déjà enclenchées mais pour le moment, ce n’est pas suffisant. Prendre le virage du développement durable est une nécessité, c’est certain, mais une fois confronté à la réalité, c’est parfois plus difficile qu’il n’y paraît. Souvent à cause de budgets déjà très serrés. Néanmoins, l’argument économique ne doit pas nous servir d’excuses ! Il y a tellement de petites choses simples à mettre en œuvre et qui ne coûtent pas grand-chose… »

« Mon intuition pour l’événement sportif de demain… »

" Cela relève de la pure intuition mais je vois l’événement de demain se construire autour de deux axes. Le premier en réaction à la fébrilité d’un business-model classique que l’on doit repenser pour devenir moins dépendants des conditions et des incertitudes du Jour J. Ainsi, lisser la temporalité d’un événement sur toute une saison ou sur plusieurs semaines peut apparaître comme une solution. L’émergence du e-sport, notamment l’application de cyclisme en ligne Zwift, est aussi à considérer dans un schéma potentiellement hybride entre réel et virtuel. Le deuxième axe a trait à la volonté des participants. Le confinement et plus largement l’enthousiasme général autour des « projets off » prouvent bien qu’ils aspirent à plus de liberté, à des épreuves moins cloisonnées, avec moins de contraintes. Avec des dimensions « plaisir », « partage » et « bien-être » renforcées, qui prendraient parfois le pas sur l’aspect purement performance ! »

Baptiste Chassagne

En savoir plus sur l’activité des intervenants :
combloux.fr • facebook.com/leobergeretri
outdoorsportsvalley.org • sportpremium.com

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