Publié le 20 septembre 2021
Mathilde Petitjean

Mathilde Petitjean

récit d’une destinée peu commune sur les spatules
SPORTS D'HIVER
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Ski de Fond, Interview
Crédit photo : © DR

« L’habit ne fait pas le moine ! ». Un axiome qui, une fois décliné sur les pistes de ski nordique, donne la maxime suivante : « La combinaison ne fait pas la fondeuse ! ». Un message dont Mathilde Petitjean, 26 ans, est devenue porte-drapeau depuis ces Jeux Olympiques de Sotchi, en 2014, où elle a troqué la tunique tricolore pour un apparat zébré de jaune et de vert. En effet, ce jour-là, la jeune annécienne a décidé de porter les couleurs de sa terre natale, le Togo, embrassant cette destinée peu commune l’ayant menée des plateaux d’Afrique de l’Ouest à ceux de Haute-Savoie.

Devenue symbole de multiculturalisme, de persévérance et de passion – presque malgré elle – elle se dirige vers sa troisième olympiade, à Pékin, en 2022, avec toujours cette même volonté : prouver que, oui, on peut venir d’un pays chaud et performer au royaume du froid ! 

Mont Agou, baguette & relève

Il était une fois Kpalimé. La quatrième métropole du Togo et capitale de sa région la plus montagneuse, incrustée à mi-chemin entre les rives du Golfe de Guinée et les flancs du Mont Agou, point culminant du pays, à 990 m d’altitude. Il était une fois le 19 février 1994, date à laquelle Mathilde Petitjean voit pour la première fois le jour d’une terre innondée de soleil. Maman est togolaise, papa est lyonnais. Ils se sont rencontrés dans le cadre d’une mission que ce dernier effectue pour une association. La petite famille reste trois années supplémentaires sur place avant de faire ses valises direction la Roche-Sur-Foron, pour emménager dans l’appartement adjacent à celui des grands-parents paternels.

Le voyage initial d’une vie qui en comptera une multitude. « Je me souviens qu’à ma découverte de la France, je ne faisais que manger du pain. Nous n’en avions pas au Togo. J’adorais ça. C’est la première image qui me revient lorsque je repense à mon arrivée. » raconte Mathilde, d’une malice qu’elle revêt comme une seconde nature. Au rayon des souvenirs, ni choc thermique, ni choc culturel : « Je suis entrée en maternelle au même âge que tout le monde ! J’étais trop jeune pour ressentir le décalage. L’intégration s’est opérée plus que naturellement. »

Kpalimé > La Roche-sur-Foron : le voyage initial d’une vie qui en comptera une multitude.

Crédit photo : © Odd Anderson

Son affection pour la baguette comme signe annonciateur, réserve glucidique oblige, elle se rêve rapidement, non pas en boulangère, mais en championne de ski de fond, discipline qu’elle découvre à l’âge de 7 ans, avec l’école, et à l’égard duquel Cupidon lui décoche une flèche. « J’ai instantanément accroché. Et mes parents ont de suite encouragé ma pratique, pensant que cela allait calmer mes ardeurs d’enfant hyperactive. Le ski de fond a toujours été un jeu pour moi, mais petit à petit, la dimension compétition s’est agrégée et les ambitions ont grandi. » Jusqu’à orienter ses choix de vie en direction de ses rêves, ceux de participer un jour à la plus mythique des compétitions, les Jeux Olympiques : « Je suis entrée au lycée du Mont-Blanc en sport-études, à l’internat. Des années fantastiques. On formait une petite famille avec les autres filles. On ne pensait qu’à ça. On s’entrainait parfois jusqu’à 35 heures par semaine… » Puis, sonne l’heure des premiers couperets. Le fameux écrémage. Ce processus qui filtre d’une froideur cruelle les potentiels jamais confirmés des futurs champions. En 2011, Mathilde est sélectionnée avec 2 autres athlètes pour intégrer ce cocon où l’on prépare « la relève » du ski de fond féminin hexagonal. Sauf que tout ne se passe pas comme prévu : « Ce ne sont pas mes meilleures années, même si je les considère comme extrêmement importantes dans ma construction en tant que femme. J’ai eu l’impression que l’on m’imposait d’entrer dans un moule. Le ski de fond avait perdu cette dimension ludique qui faisait ma force : je n’appréhendais plus ma passion comme un jeu… ». La fédération française coupe court au projet : « Peut-être qu’il était trop difficile de coacher des filles » lâche Mathilde, simplement, sans amertume aucune.

Pour moi, le ski c’est un jeu, mais un jeu sérieux ! Ce n’est pas une blague !

Crédit photo : © DR

Facebook, déferlante médiatique & poids de l’histoire

Mathilde a 19 ans. Elle tâtonne, ne sachant pas trop où la mèneront ses spatules. Jusqu’à cette matinée d’été où elle reçoit un message sur Facebook. Ça ne s’invente pas. Le vice-président de la fédération togolaise de ski vient de lui écrire, lui proposant de défendre les couleurs de son pays natal lors de la prochaine olympiade, en 2014, à Sotchi, sur les bords de la mer Noire. « Au début, je croyais à un canular. Je farfouille un peu sur Internet et tombe sur les vidéos d’un skieur de fond togolais. Il avait un niveau presque débutant. Je ne voulais pas être affiliée à cette image un peu cocasse. Pour moi, le ski c’est un jeu, mais un jeu sérieux ! Ce n’est pas une blague ! »

Crédit photo : © Louis Garnier

Après une discussion avec ses parents, elle qui prend rarement les téléskis saisit pourtant la perche qui lui est tendue… Oui, Mathilde Petitjean sera bien la première athlète à représenter le Togo lors des Jeux Olympiques d’hiver. Un symbole dont elle ne perçoit pas la puissance. Une tâche dont elle sous-estime l’ampleur. Une mission qu’on lui incombe sans qu’elle ait véritablement signé pour. Difficile à 19 ans de porter le poids de l’Histoire sur ses épaules, et ce même si l’on pousse sur les bâtons depuis l’enfance…  « J’ai répondu positivement à cette invitation pour plusieurs raisons. Tout d’abord, j’avais envie d’aventure. Il y avait tout à créer. Ils me proposaient de démarrer d’une page blanche sur laquelle il me revenait d’écrire mes propres récits. Sauf que je me suis laissée rattrapée par l’enjeu. » Avec le recul et l’expérience du vieux briscard qu’elle n’est pas, la franco-togolaise raconte, d’une placidité propre à ceux que les responsabilités ont obligé à grandir à vitesse accélérée : « Aux JO, on s’intéresse à toi pour deux raisons : soit parce que tu es super fort, soit parce que tu as un profil très atypique… J’avais 19 ans, j’étais la plus jeune participante aux épreuves de ski nordique et je courais pour le Togo. Il n’en fallait pas plus pour que les médias me sollicitent. Je ne me plains pas, c’était gratifiant. Mais presque trop. J’avais la désagréable impression d’être devenue une attraction autant qu’un symbole. Si bien que je n’ai pas réussi à me focaliser sur moi et entrer dans ma compétition. Ça m’a pompé beaucoup d’énergie et j’en ai oublié de m’amuser. » 

Aux JO, on s’intéresse à toi pour deux raisons : soit parce que tu es super fort, soit parce que tu as un profil très atypique.

Se voir interdire de profiter alors que l’on concrétise son rêve, à seulement 19 ans ? Un comble. Le résultat en devient presque anecdotique. Pas de regret, mais une résolution. Après une année 2015 nébuleuse, Mathilde entrevoit la lumière, des milliers de kilomètres plus à l’Ouest, de l’autre côté de l’Atlantique, au Québec. Pendant 3 ans, au sein d’une équipe privée, elle côtoie les meilleurs athlètes francophones de ce petit bout de Canada et prépare les JO de Pyeongchang en toute sérénité : « Je conserve un souvenir merveilleux de cette parenthèse nord-américaine. J’ai adoré la mentalité, qui m’a fait passer un cap. En France, on insiste sur tes défauts, alors que là-bas, ils créent une dynamique de progression positive en appuyant sur tes points forts ! »

Crédit photo : © DR

Binationalité, Rasta Rockett & « Jamais deux sans trois »

2018. Rebelote. À nouveau le tourbillon médiatique. Une déferlante de sollicitations. Sauf que cette fois-ci, l’enfant de Kpalimé est prête. Insubmersible. Elle réalise des JO qu’elle qualifie elle-même de « corrects mais pas exceptionnels », laissant transparaître cette insatisfaction perpétuelle qui caractérise les sportifs de haut-niveau. En sprint, Mathilde approche le top 30, sans l’intégrer. À son retour de Corée du Sud, elle a 22 ans. Et à déjà concrétiser ses rêves : deux fois. Difficile dans ces conditions de retourner au charbon, surtout lorsque l’on sait combien le chemin qui mène au sommet de l’Olympe est long, abrupt et éreintant… « Dans tous les sports, il y a aujourd’hui un débat sur la double-nationalité. Certains ont critiqué mon choix en argumentant qu’en choisissant le Togo, j’optais pour la solution de facilité. Je les défie de venir tenter l’aventure.

Certes, la densité du niveau national est bien plus faible qu’en France pour se sélectionner, en revanche, pour aller aux JO sous une bannière africaine, il ne suffit pas d’être bon uniquement sur les skis. Il faut être armée d’une détermination sans limite. Personne ne t’accompagne. Tu t’occupes de tout. J’étais à la fois manager et athlète. Le matin tu t’entraines ; l’après-midi tu ne te reposes pas : tu gères la logistique du projet ! » 

Pour aller aux JO sous une bannière africaine, il ne suffit pas d’être bon uniquement sur les skis.

Et la légitimité dans tout ça ? « Je me sens pleinement togolaise. Mes parents ont vraiment fait du bon boulot au sens où j’ai grandi avec les deux cultures. Je ne porte pas les couleurs de mon pays, je porte les couleurs de l’un de mes deux pays. Et j’en retire une fierté incroyable ! »  Si ce n’est pas un enjeu de légitimité, alors peut-être s’agit-il de crédibilité ? « Le film Rasta Rockett, que j’adore, a généré autant de positif que de négatif quant au regard que les autres portent sur les projets olympiques des skieurs africains. On ressent une certaine forme de sympathie, mais en même temps, un vrai manque de considération, au sens où l’on ne nous prend pas au sérieux. On est parfois traité avec de l’amusement voire même de la condescendance… » L’usure se révèle alors plus mentale que physique : à chaque compétition, Mathilde est en mission pour « prouver que les africains savent skier ». Au moins autant que les autres, si ce n’est mieux. Car l’habit ne fait pas le moine. Et la combinaison ne fait pas le fondeur. Ce n’est pas un proverbe togolais. Ni une maxime française. Juste une leçon de vie.  

Ça me chatouille à nouveau cette histoire de Jeux Olympiques !

Crédit photo : © DR

Un motto suffisant pour replonger en 2022 ? Il y a quelques mois, c’était « deux mais pas trois ». Désormais, c’est « jamais deux sans trois » ! La perte d’un ami très proche avec qui elle avait réalisé ses premiers tours d’anneaux et la lassitude avaient atténué le brasier des ambitions. Pourtant, il en faut très peu pour que le feu ardent crépite à nouveau : « Découvrir une nouvelle discipline – le 800 m – avec le club d’athlétisme d’Annecy ainsi que l’opportunité de participer à de nouvelles aventures au confluent du challenge et du partage avec mon nouveau Team, le On Running Crew, ont ravivé la flamme. » La flamme Olympique. La troisième. Qu’elle espère voir danser, l’hiver prochain, à Pékin. « Ça me chatouille à nouveau cette histoire. Après je dois me qualifier, ce qui n’est pas chose aisée. À partir de novembre, j’aurais 2 mois et demi pour aller chercher les points qualificatifs nécessaires. J’y vais sans pression. Seulement à l’envie. Ultra-relâchée mais très déterminée. On verra où ce nouvel état d’esprit m’emmène ! » Très loin certainement. Comme d’habitude. Des plateaux du Togo au sommet de l’Olympe.

De Baptiste Chassagne

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