Publié le 16 juin 2021
Manon Genêt
Crédit photo : ©Erisphere

Manon Genêt

L’ironman au féminin
TRAIL RUNNING
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Marathon, Iron Man, Interview

Son corps est de fer, son mental est d’acier et son cœur est d’or. À 31 ans, Manon Genêt, triathlète autodidacte faite d’un métal rare, a toutes les cartes en main pour s’assoir sur le trône de la mythique distance Ironman. Dans un sport où le culte de la performance est roi, la jeune française déploie un jeu fait de nombreux atouts pour venir à bout de 3,8 km de natation, 180 km de vélo et 42 km de course à pied, en des chronos records. Avec une sensibilité et une philosophie que l’on pourrait difficilement soupçonner chez une Dame de Fer.

L'ÉCOLE DU HAUT NIVEAU SUR LE TARD

Tu es devenue sportive professionnelle à l’âge de 25 ans, après 10 ans de gymnastique en compétition, une classe préparatoire littéraire, une école de commerce et une première carrière dans le marketing : tu as pris les chemins de traverse plutôt que la voie royale pour atteindre le plus haut-niveau...

Je concède que mon parcours de vie est quelque peu atypique (Sourire). Il peut même paraître décousu alors qu’en réalité, une fois mises bout à bout, toutes ces étapes font sens. J’ai toujours eu un goût prononcé pour l’aventure. À16 ans, je suis partie vivre une expérience d’un an, seule, aux États-Unis. Très tôt, j’ai compris que je m’épanouirais plus dans une existence faite de chamboulements que dans une vie carrée, réglée au millimètre. Par nature, emprunter les sentiers les plus sinueux pour atteindre mes objectifs ne m’a jamais dérangé.

Comment ce chemin de traverse t’amène-t-il jusqu’au triathlon et quand décides-tu de prendre le virage professionnel ?

Après deux années de prépa littéraire, passées entre quatre murs, à plancher sur mes cours, j’ai redécouvert avec un bonheur immense l’activité physique. Pendant plusieurs saisons, j’ai pratiqué le triathlon pour le plaisir, en parallèle de mon job. Puis, au triathlon de Royan, en 2016, je me retrouve à jouer avec les meilleures de la discipline, sans avoir leur expérience ou leur investissement quotidien. Prenant conscience de mes capacités, je commence à concilier mes 15h d’entraînement hebdomadaires avec les 45h de boulot de mon CDI. Petit à petit, j’organise ma vie autour du triathlon, et non l’inverse, comme il est de coutume avec un loisir. Mais j’explose en vol. Je suis victime d’une fracture de fatigue et frôle le burn-out. Du coup, en janvier 2017, j’opère un véritable choix de vie et décide de me lancer pleinement dans l’aventure professionnelle du triathlon. Sans pression ni ambition, si ce n’est celle de ne pas vivre avec le regret de ne pas m’être donnée la chance d’exploiter toute la mesure de mon potentiel !

EMPRUNTER LES SENTIERS LES PLUS SINUEUX POUR ATTEINDRE MES OBJECTIFS NE M’A JAMAIS DÉRANGÉ !

Crédit photo : ©Erisphere
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2021 marque ta 5ème année seulement comme triathlète professionnelle. Est-ce un handicap ou un atout que de découvrir le haut-niveau tardivement, à 27 ans, l’âge de la maturité ?

Il est certain que j’ai perdu un peu de temps au préalable d’un point de vue purement physiologique et technique. Pendant que je révisais mes cours, mes concurrentes, au même âge, bossaient leur technique de nage et développaient leur VO2. Cependant, de l’autre côté, c’est un avantage que d’arriver avec autant d’envie et de maturité à l’aube de sa carrière sportive. Je ne me suis pas grillée les ailes. Étant jeune dans la démarche, j’estime avoir encore une belle marge de progression et beaucoup de fraîcheur mentale, ce qui m’offre des perspectives optimistes. Enfin, forte de ces expériences de vie antérieures, je n’ai aucune pression vis-à-vis du triathlon : si ça marche, tant mieux ; si ça ne marche pas, j’ai le bagage nécessaire pour m’épanouir ailleurs. C’est une chance de bénéficier d’autant de sérénité.

Pourquoi as-tu choisi le triathlon longue distance et pas les distances plus courtes ? Qu’est-ce qui te plaît sur Ironman et que tu ne retrouves pas sur format Olympique ?

C’est un choix autant qu’une contrainte : tout d’abord, je préfère les efforts longs ; ensuite, mes capacités naturelles m’ont orienté vers l’endurance car c’est sur ces formats que je pourrai être la plus performante. Je ne sais pas aller très vite sur un laps de temps restreint, en revanche, je suis capable de maintenir une allure soutenue pendant longtemps. Sur courte distance, je serais bien ridicule face au gratin mondial. Ce sont presque 2 sports à part entière.

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Peux-tu nous décrire le quotidien d’une triathlète professionnelle ?

Le professionnalisme en triathlon, c’est une démarche sportive autant qu’entrepreneuriale. En fait, on se gère comme une microentreprise, en sachant que la valeur que l’on produit, c’est de la performance et de la visibilité. Car nos 2 sources de revenus sont les suivantes : les primes de course liées à nos résultats et les contrats avec nos partenaires négociés en fonction de notre notoriété.

Entre toutes ces activités à gérer, une semaine-type cela donne quoi ? Combien la part d’ombre que l’on ne soupçonne pas toujours est chronophage ?

Je m’entraîne entre 20 et 25 heures par semaine, réparties sur les 3 disciplines. La préparation invisible dans laquelle j’incorpore la planification des stages, la logistique, la nutrition, la préparation mentale, la récupération et l’entretien du matériel me prend entre 10 à 15 heures. Enfin, les actions de communication – avec notamment les réseaux sociaux qui ont pris beaucoup de place dans nos carrières – et la gestion administrative – à laquelle s’ajoute le développement du club que nous avons créé, le Lureau Sport Training, comptant une quarantaine d’adhérents – m’occupent à raison de 15 heures hebdomadaires…

ON SE GÈRE COMME UNE MICROENTREPRISE, EN SACHANT QUE LA VALEUR QUE L’ON PRODUIT, C’EST DE LA PERFORMANCE ET DE LA VISIBILITÉ

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L'IRONMAN, LE  NOUVEAU MARATHON

Constates-tu une « hype » autour du triathlon ? Le cas échéant, comment expliques-tu que la discipline ait autant le vent en poupe ?

Plus qu’une « hype », j’évoquerais même un énorme « boom » autour du triathlon. Chaque semaine, je reçois des messages qui m’interrogent sur la démarche pour devenir professionnelle… À mes débuts, il y a une toute petite dizaine d’années, peu nombreuses étaient les personnes en mesure de me citer les 3 disciplines qui composent le sport, alors qu’aujourd’hui, ça s’est vraiment démocratisé. Le label Ironman y est pour beaucoup. D’un point de vue marketing, ils sont excellents. Ils contribuent à la dynamique, ils ont construit un mythe autour de leur épreuve. Il y a même des passionnés qui se font tatouer leur logo !

Pourquoi cette mode ? Est-ce le témoin d’une tendance sociale à aller vers le toujours plus extrême ?

Ce n’est que mon avis, mais selon moi, la société moderne nous a tellement éloigné de nos besoins fondamentaux que l’on ressent aujourd’hui la nécessité de retourner à l’essentiel, de retrouver le contact avec la nature et avec soi-même. Or, quoi de mieux qu’un sport d’endurance qui te pousse dans tes retranchements pour mener une profonde introspection ? On a été en quelque sorte déconnecté de nous-mêmes et le triathlon apparait comme le moyen de recréer du liant avec son for intérieur, de générer des émotions fortes qui nous font sentir vivants.

Émile Zatopek, célèbre marathonien, affirmait : « Si tu veux courir, cours un kilomètre. Si tu veux changer ta vie, cours un marathon ! ». En va-t-il de même aujourd’hui avec un Ironman ? Devient-on vraiment une meilleure version de soi-même ?

Cette formulation donne une dimension épique presque exagérée à l’idée sous-jacente, pourtant, il y a clairement du vrai derrière cette phrase. L’Ironman engendre un changement, mais plus dans le fait de le préparer que de le courir. La transformation vient plus de la démarche en amont et des bouleversements qu’elle implique au quotidien. La course, indéniablement, est un voyage intérieur, où on va chercher ses limites. Néanmoins, avant cela, c’est toute la préparation qui impacte un mode de vie et créé de nouvelles habitudes : on apprend à gérer son temps pour caler les entraînements, à écouter son corps, à choyer les à-côtés comme le sommeil ou l’alimentation. On se découvre et c’est là, dans cette aventure personnelle que réside, selon moi, le plus grand intérêt de l’Ironman.

L’IRONMAN ENGENDRE UN CHANGEMENT, MAIS PLUS DANS LE FAIT DE LE PRÉPARER QUE DE LE COURIR

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SE DÉPASSER QUAND TOUT VA BIEN SE SURPASSER QUAND TOUT VA MAL

Tu as déclaré que « le sport de haut-niveau est une forme de vie assez extrême ». Pourquoi ?

C’est extrême car cela nous oblige à aller toujours au bout de nous-mêmes dans tout ce qu’on entreprend. Il faut tout orienter vers sa démarche de performance, sans occulter aucun détail. Je pense, je dors, je mange, je lis et je vis triathlon… Non pas que je n’aime pas faire autre chose, mais je ne peux me le permettre si je souhaite atteindre mes objectifs. Je m’autorise parfois à déroger à cette discipline rigoureuse, mais l’entraînement en pâtit directement. Ça sous-entend aussi faire des concessions dans les relations humaines : je ne vois pas assez souvent (voire pas souvent du tout) ma famille et mes amis. J’ai conscience qu’il s’agit d’une forme d’individualisme mais c’est indispensable de penser à soi en priorité si l’on souhaite atteindre le plus haut-niveau.

ÊTRE CAPABLE DE S’ÉCOUTER ET DE SE PARLER, C’EST LA CLÉ DE LA RÉUSSITE

Quelles sont les qualités nécessaires pour devenir « Ironwoman » ?

Le triathlon longue distance requiert plusieurs ingrédients. La rigueur et l’assiduité d’abord, car la progression est le fruit d’un investissement de longue haleine. Et ce, peu importe l’état de forme, forcément fluctuant. À cet égard, j’aime beaucoup cette phrase : « Se dépasser quand tout va bien. Se surpasser quand tout va mal. » ! Le discours intérieur ensuite, c’est-à-dire entretenir de bons rapports avec soi-même, connaître ses forces et ses faiblesses. Être capable de s’écouter et de se parler, c’est la clé de la réussite. L’humilité vis-à-vis de la distance également. Enfin, l’autre point crucial réside dans la capacité à bien s’entourer car la performance individuelle est toujours la concrétisation d’un travail d’équipe. Bien s’entourer, c’est une qualité qui résulte d’une certaine intuition à sentir quelles personnes seront ressources et lesquelles seront néfastes.

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Quels sont tes objectifs à court-terme et tes ambitions à moyen-terme ?

Mon premier objectif, à court-terme, est de gagner un Ironman. Je suis montée à plusieurs reprises sur le podium mais je n’ai jamais franchi la ligne d’arrivée en vainqueur. Suite à cela, l’idée serait de réaliser une « grosse performance », c’est-à-dire un top 10 voire un top 5, sur les championnats du Monde de la distance, à Hawaï. D’ici 2 ou 3 ans peut être! Ensuite, mon rêve serait d’arriver à maintenir ce niveau de performance avec une vie de famille.

IQUAND J’AI DÉBUTÉ LE TRIATHLON, ET ENCORE PLUS LORSQUE C’EST DEVENU MON MÉTIER, MON RAPPORT AVEC MOI-MÊME S’EST PACIFIÉ

De cet échange, on ressent une approche très réfléchie, presque philosophique, de la démarche de hautniveau. Peut-on considérer que le sport t’amène vers plus de sagesse ? Ou qu’il te donne des leçons de vie ?

J’ai une conviction profonde : le sport m’a aidé à trouver ma place. Depuis toute petite, j’avais l’impression d’être le vilain petit canard, de me trouver en décalage de la norme. Or quand j’ai débuté le triathlon, et encore plus lorsque c’est devenu mon métier, mon rapport avec moi-même s’est pacifié. Comme si je commençais à me concrétiser. Comme si j’avais trouvé ce pourquoi j’étais faite.

De Baptiste Chassagne

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