Si la montagne était un royaume, certainement qu’elle en aurait fait son prince. Car même si son humilité et sa discrétion tendent à l’éloigner des scintillements du trône, Kilian Jornet, parfois malgré lui, a l’aura, les couronnes et les podiums qui accompagnent généralement les souverains. Les souverains éclairés. Ceux qui usent de leur pouvoir, non pour prendre des décisions, mais pour faire avancer – ou changer – les choses. Ceux qui profitent de leur notoriété pour délivrer des messages. Ceux qui consacrent le talent rare dont la nature les a pourvus au berceau pour rendre la pareille à cette dernière, en la parcourant, en la valorisant et en la défendant, jusqu’au linceul.
Ainsi va la vie de Kilian Jornet, 33 ans, catalan d’origine, dont la voix et la célébrité portent aujourd’hui plus loin que l’écho des fjords norvégiens où il s’est installé et plus haut que les aiguilles chamoniardes qui ont fait sa renommée. Au gré de ses exploits et des valeurs inspirantes qui émanent de son mètre 71, il est devenu une idole. Voire même une icône. Une figure emblématique qui a d’abord forcé l’admiration par ses performances sportives hors du commun, puis, qui a forgé le respect par ses prises de position tranchées et ses prises de parole positives. Il a commencé par tout gagner. Et tout gravir. En trail ou en ski alpinisme, de l’UTMB à la Pierra Menta en passant par Sierre-Zinal, rares sont les lignes d’arrivée qu’il n’a pas franchi vainqueur. De l’Everest au Mont-Blanc, via le Kilimandjaro ou l’Aconcagua, rares sont les belvédères du planisphère dont il n’a pas établi le record en temps d’ascension. En parallèle, il s’est engagé, en créant sa propre fondation. Pour une cause : la protection de ce terrain de jeu aujourd’hui confronté à des enjeux qui n’ont rien de ludique.
Ce que nous savons moins de Kilian Jornet, c’est qu’il recherche aussi le beau.
Bref, Kilian est cet athlète-prophète hors-norme dont Dame Nature gratifie l’espèce humaine en de très parcimonieuses occasions. À raison de quelques exceptions par siècle. Cependant, l’ultra-terrestre, comme on le surnomme, est aussi un esthète. Depuis 33 ans, en cherchant à devenir bon, il s’est imposé comme le meilleur. Mais ce que nous savons moins de Kilian Jornet, c’est qu’il recherche aussi le beau. On le connaissait brillant devant l’objectif, mais il l’est aussi derrière. On l’observait resplendissant sous le feu des projecteurs ; il l’est également en coulisses.
Sublimer cette nature qui l’a magnifié. Ou l’inverse : magnifier cette nature qui l’a starifié.
En effet, l’homme photographie comme il court : avec brio. Doté d’un talent créatif à la hauteur de sa VO2 Max, le catalan déploie autant d’intuition artistique dans les lignes qu’il trace que dans les clichés qu’il immortalise. Comme un juste retour des choses : sublimer cette nature qui l’a magnifié. Ou l’inverse : magnifier cette nature qui l’a starifié. Rendre accessible par des mises en scène virtuoses et des cadrages professionnels des lieux qui se refusent au commun des mortels. Éternaliser des moments hors du temps, alors qu’il a passé sa vie à lutter contre les chronomètres. Capter le frisson de la microseconde alors qu’il a toujours capturé la magie dans les épreuves de plusieurs heures.
Bref, Kilian est un homme de paradoxe. Ou un bonhomme de parabole. Qui fait mieux que tout le monde. Et c’est pour cela qu’on l’aime. Athlète beaucoup, prophète un peu et esthète surtout.
De Baptiste Chassagne