Kaleleo est un film documentaire de Justine Mauvin et Damien Castera. Pendant deux mois, le surfeur et la longboardeuse ont sillonné les jungles d’Indonésie et de Papouasie Nouvelle-Guinée à la poursuite de vagues vierges et de cultures immaculées de toute civilisation. Une expédition surf dans les traces des tribus ancestrales, depuis les hommes fleurs de Siberut jusqu’aux hommes crocodiles du fleuve Sepik.
Le couple nous a ramèné le récit de leur voyage aux Mentawais et en Papouasie-Nouvelle-Guinée : Kaleleo, qu’ils ont réalisé à deux. À mille lieux des images de surf qu’on a l’habitude de voir, le couple a souhaité réaliser un film loin de la civilisation, des paillettes et des Jets Ski pour plonger dans la « forêt profonde » appelée Kaleleo dans la langue Mentawai. Partir surfer les plus belles vagues et camper sur des îles désertes était leur idée de depart. Partager le quotidien des tribus les plus retirées au monde, a fini par devenir plus important à leurs yeux. Avec ce film, découvrez des tribus restées intactes ou presque, malgré les phases successives de colonisation, d’évangélisation et de mondialisation. De véritables trésors d’humanité que Justine et Damien dévoileront au public lors du Festival du Film Aventure et Découverte de Val d’Isère du 16 au 19 avril prochain.
Rencontre avec Damien Castera
Comment le projet Kaléléo est né ?
Après quatre expéditions dans des eaux froides (Alaska, Namibie, Patagonie), expériences de retraite dans la nature, je souhaitais changer de décors et réaliser une aventure basée fondamentalement sur l’humain : rencontrer certaines tribus ancestrales qui évoluent à l’écart du monde, découvrir leurs richesses, leurs croyances. Quant à Justine, elle rêvait depuis toujours de visiter la Papouasie.
Quel était le but de ce voyage ?
L’idée était de montrer que la richesse d’un voyage ne réside pas forcément dans l’auto-satisfaction ou le plaisir un peu égoïste de surfer la plus belle vague, mais plutot la rencontre avec l’autre, l’échange et le partage.
Comment êtes-vous arrivés à combiner le surf, l’exploration et la réalisation du film. Aviez-vous une équipe de tournage ?
Sur deux mois de voyage, il y a un temps pour tout. Certaines parties de l’aventure étaient dédiées à l’exploration de la jungle et des tribus, puis nous prenions le chemin des îles pour surfer. Nous filmions alors chacun à notre tour en essayant de garder une certaine cohérence pour le montage du film.
Nous avons choisi de partir seulement tous les deux pour plusieurs raisons : Tout d’abord, afin de limiter au maximum notre impact sur les tribus que nous visitions. Débarquer avec toute une équipe de production n’aurait pas eu le même effet. Ensuite, nous voulions vivre notre histoire à fond sans devoir faire de concessions avec une équipe de tournage (réalisateur, producteur…). Avec Justine, nous avons la même approche, la même sensibilité, la même vision des choses, en partant ensemble nous savions qu’il n’y aurait pas de discordes dans les choix à prendre. Et c’est important dans un voyage d’aventure.
Enfin, la dernière raison, c’était d’apprendre à faire un film. Justine n’avait jamais filmé, moi-même j’ai plus souvent été devant la caméra que derrière. On s’est rendu compte que c’ést très intéressant de filmer un voyage, que cela permet de sublimer certains moments, d’être à l’affût des moindres détails, de l’émotion, de la composition et de l’espace, un peu comme quand on prend des notes dans un journal de bord. C’est un exercice très enrichissante dans laquelle nous avons encore une belle marge de progression !
Comment s’est passé votre séjour au cœur des tribus ?
Ce voyage au cœur des tribus nous a transformés tous les deux. Il y a une telle différence de vie, de culture, de croyances et en même temps on se sentait connecter à l’essentiel. On a vécu des instants magnifiques en leur compagnie. À aucun moment, nous nous sommes sentis en danger. J’ai souvent constaté au cours de mes voyages, que les gens modestes sont paradoxalement riches d’une grande fierté, celle d’être accueillant. Ici encore, au cœur de la jungle, les bras nous ont été ouverts.
Était-il difficile de communiquer avec eux ?
Pour les Mentawai, nous avons trouvé un traducteur sur place qui nous a permis d’échanger avec les hommes fleurs. Nous avions également préparé un lexique de mots utiles grâce à différents récits d’anthropologues. Pour les papous, la plupart parlent en plus de leur dialecte, le pidgin, une sorte de créole anglais.
On entend beaucoup de choses à propos de Papous. Comment sont-ils réellement ?
Vous savez, les mythes et les légendes entretiennent l’inconscient collectif et les gens aiment ça. Les stéréotypes vont bon train mais lorsqu’on voyage il faut tenter de se confronter à la réalité sans vouloir l’embellir sous couvert d’exotisme. Les papous ont cette étiquette de cannibales et de guerriers qui reste irrémédiablement collée à leur peau. C’est un peu grossier. J’ai noté dans mon journal de bord du voyage : « En parcourant les tribus du Sepik, je suis subjugué de découvrir un peuple aussi loin des conventions qu’on lui prête. Les papous ont un tempérament calme et réfléchi, sont polis jusqu’au raffinement, d’une douceur peu commune faisant contraste avec leur force physique. Ils sont constitués d’un esprit gai et jovial, le rire facile et la dignité robuste.»
Ce film était votre première expérience professionnelle en collaboration avec Justine ? A-t-il été facile de travailler en couple ?
Oui, c’était notre premier projet commun et ça c’est (vraiment!) bien passé. Il est certain que ce n’est pas toujours évident de travailler en couple, de surcroît dans un environnement naturel hostile, mais il fallait relativiser, nous étions dans un endroit que nous avions choisi afin de réaliser un projet personnel qui nous était cher. C’était quand même le pied ! En plus, je dois dire que Justine est très facile à vivre, je ne dirais pas la même chose de moi. C’est donc à elle qu’il faudrait poser la question !
Tourner un film dans la jungle peut entraîner son lot de complications ? En avez-vous eu ?
De ce côté là nous avons été assez chanceux. Après avoir sillonné des zones infestées par la dengue et la malaria, mangé des repas assez douteux et cotoyé pas mal de tribus reculées, nous n’avons eu aucun problème majeur. Quelques coupures sur le reef en surfant, un quasi-naufrage sur une île déserte, pour le reste tout s’est bien passé.
Y-a-t-il une anecdote de votre voyage que vous n’avez pas pu raconter dans le film ?
Oui, il y a cette nuit durant laquelle les Iatmuls, armés de simples lances en bambou, nous ont amenés chasser le crocodile sur le fleuve Sepik. Nous étions embarqués sur une minuscule pirogue, navigant dans l’obscurité la plus totale, traquant les yeux de la bête avec le faisceau d’une lampe électrique. Nous n’avions pas de matériel adapté pour filmer la nuit, mais l’expérience restera gravée dans nos mémoires.
Quels est le message que vous souhaitez faire passer avec ce film ?
Nous souhaitons mettre en avant une certaine éthique et esthétique du voyage, en mélangeant l’aventure, les rencontres humaines et le surf. La quête de la vague parfaite n’était pas le but de notre voyage, mais le prétexte. Nous voyageons car nous aimons ressentir pleinement l’intensité du monde, toucher du doigt ses richesses, ses couleurs, la diversité de ses peuples. En partant à l’autre bout du monde, on confronte sa vérité à celle des autres. C’est une expérience très enrichissante. Il était également important avec Kaleleo de garder une vision optimiste des choses. Notre film se termine d’ailleurs ainsi : « Lorsque l’on vient d’un monde où l’on a tout ce qu’on veut, sans savoir ce qu’on a, il est parfois bon de retrouver un peu de légèreté, de sentir sous nos pas la force terrestre. Et lorsqu’on pénètre la jungle aussi bien que le coeur des hommes, on se rend compte que la vie a soudain de grands territoires devant elle... »
Quel est votre prochain voyage ou projet en perspective ?
Justine, qui a plusieurs cordes à son arc, vient de signer avec le label de musique Polydor. Elle travaille actuellement à l’écriture de son premier disque. Pour ma part, je devrais m’envoler pour le Liberia au mois de Juin. Je ne peux en dire plus pour l’instant mais un beau projet de documentaire est en cours.
Texte et Interview : Carole Cailloux
Photos : Kaleleo