Ian Corless, aussi célèbre que les athlètes qu'il capture avec son objectif, saisit l'essence même de l'ultra trail. En maître de l'art, ce photographe britannique conjugue avec habileté la splendeur des sentiers escarpés et la détermination exceptionnelle de ces sportifs hors du commun. Les subtilités de sa vision, exprimées à travers les nuances, les contrastes et les tonalités, lui permettent de figer dans le temps chaque instant d'exploit, de souffrance ou de courage. Tel un alchimiste de la photographie, il conserve ces précieux instants, offrant ainsi la possibilité de les revivre à tout moment.
si on aime son métier, on ne travaillera jamais de sa vie
Peux-tu me parler de ta relation à la photographie et ce qu’elle représente pour toi, en plus d’être ton métier ?
Il y a un vieux dicton qui dit que « si on aime son métier, on ne travaillera jamais de sa vie ». Je pense tout simplement que j’ai le plus beau métier du monde. J’arrive à combiner toutes mes passions dans ma vie quotidienne. J’ai toujours un appareil photo sur moi, c’est un mode de vie, une histoire d’amour avec les médias visuels.
Quand as-tu commencé la photographie ? Ton regard s’est-il directement dirigé vers le sport ?
Après mes études, j’ai déménagé à Londres et je me suis spécialisé dans la publicité. Pendant de nombreuses années, j’ai travaillé pour John Ash dans un studio. J'ai adoré l'art de la photographie en studio, la création d'une scène, l'éclairage et ainsi de suite, c'est une véritable compétence dont je suis reconnaissant. Elle a fait de moi un meilleur photographe sportif. Tout en travaillant comme photographe de studio, j'ai été cycliste, puis triathlète et enfin j'ai fait la transition vers la course à pied et l'ultra-trail.
Comment décrirais-tu son style ?
Je pense que c'est aux autres de décider de mon style. J'ai certainement un style ; je connais toujours mes propres photos. Mais je n'ai pas un seul style pour tous les clichés, j'ai plusieurs approches et techniques en fonction du travail, du client, du lieu et de la lumière.
Lorsque l'on regarde ton travail, on voit beaucoup d'images en noir et blanc. Pourquoi ce choix artistique ?
Il n'y a pas de réponse unique. Je vois souvent une scène en nuances de tons plutôt qu'en couleurs, ce qui stimule ma créativité et m'incite à photographier une scène particulière d'une certaine manière. J'ai également pris la décision créative de photographier certains projets uniquement dans l'intention d'obtenir un résultat final en noir et blanc, deux bons exemples étant le Marathon des Sables dans le Sahara et un autre au Pérou. Le désert se prête bien aux tonalités de gris. Les portraits, en particulier, ont un attrait pour les nuances de gris. Comme pour la plupart des photographes de nos jours, la prise de vue numérique permet de prendre l'image en couleur et de la convertir ensuite. Il y a donc rarement un sacrifice à faire et certaines images ne demandent qu'à être en noir et blanc !
Quels équipements, appareil photo et objectifs utilises-tu habituellement ?
Il y a de nombreuses années, j'ai aban-donné Canon pour les appareils photo Sony. Ils ont tout simplement été les pionniers des systèmes de photographie numérique. Au départ, j'avais intégré un appareil photo à mon système Canon pour faciliter la transition. Lorsque Sony a lancé l'A9, j'ai complètement changé d'appareil. Ce fut une décision très importante, car j'ai investi près de 30 000 euros dans plusieurs boîtiers, objectifs et accessoires. Depuis l'A9 original, les boîtiers et la technologie ont évolué et j'ai maintenant plusieurs systèmes en fonction du travail que je fais. J'ai deux A7IV, deux A7C et plus récemment un A7CR. Les A7C sont parfaits lorsque j'ai besoin d'aller vite et d'être léger. Je les utilise avec de petits objectifs (24mm, 40mm, 50mm et 85mm). Objectifs, 70-200, 24-70, 18mm, 24mm, 35mm, 40mm, 50mm et 85mm.
j'ai été cycliste, puis triathlète et enfin j'ai fait la transition vers l'ultra-trail
je n'ai pas un seul style, j'ai plusieurs approches et techniques
Dans ton travail, les figures humaines sont également omniprésentes. Comment parviens-tu à transmettre l'effort physique et les émotions d'un sport à travers une photographie ?
Le paysage, l'environnement et la lumière sont essentiels dans mon travail. C'est mon travail de le montrer. Le coureur fournit un contexte d'échelle et, sans aucun doute, le coureur est important. Mais c'est l'environnement qui est le héros. Lorsque je regarde une image qui n'est pas la mienne, je me demande "où est-ce ?" et non pas "qui est-ce ?” L'emplacement, l'emplacement, l'emplacement !
On voit que tu maîtrises parfaitement l'équation nature et sport, mais quel est le secret qui te permet d'intégrer les sportifs dans leur environnement naturel grâce à ton appareil photo ?
Une grande partie de mon travail, qu'il s'agisse de couvrir des courses ou de travailler pour des marques, porte sur la relation entre le coureur et l'environnement dans lequel il se trouve. Les deux vont de pair et il est extrêmement important de transmettre ce message. Les plans larges montrent l'échelle et à quel point nous sommes insignifiants dans un grand paysage. Les plans rapprochés montrent la douleur, l'agonie, la détermination et le courage nécessaires pour participer. J'ai de la chance, je travaille principalement dans des environnements et des conditions météorologiques extrêmes, généralement en montagne. Je dispose donc d'un merveilleux terrain de jeu pour raconter une histoire, qu'il s'agisse de l'étendue du Sahara, de la nature tranchante et déchiquetée des épreuves de skyrunning ou de la neige, de la glace et des incroyables lignes d'horizon de l'Himalaya, de la Norvège, des Alpes ou des Pyrénées. Je suis très reconnaissant de travailler sur des terrains difficiles, sauvages et magnifiques.
Les plans rapprochés montrent la douleur et la détermination nécessaires pour participer
Ce que vous aimez le plus dans la photographie de sport ?
C'est imprévisible et spontané. Vous pouvez planifier tout ce que vous voulez, et croyez-moi, je planifie méticuleusement pour m'assurer que j'ai le meilleur emplacement, la meilleure lumière et le meilleur moment de la journée pour prendre ma photo. Mais même dans ce cas, il se passe des choses : le temps change, un coureur peut prendre une autre ligne ou un autre itinéraire, et c'est la façon dont je réagis qui est déterminante. La plupart du temps, je pense au scénario "et si... ?" et j'ai généralement une solution pour m'assurer que lorsque la photo est vraiment importante, je l'obtiens.
Comment identifier et savoir quand c'est le bon moment, ou même la bonne seconde pour appuyer sur le déclencheur ?
Dans un paysage, je décide à l'avance où se trouve la meilleure prise de vue, et c'est alors à moi de capturer ce moment. Pour moi, la position de la tête, des bras et des jambes doit être correcte. Si ce n'est pas le cas, je ne sélectionne pas la photo. En règle générale, lors de la prise d'une série d'images, les meilleures positions (tête, bras et jambes) sont celles des 3ème, 5ème, 8ème et 10ème image et ainsi de suite. Ainsi, en fonction de l'importance de la prise de vue, il se peut que je ne prenne que trois images, mais aussi que j'en prenne dix pour m'assurer d'obtenir exactement la prise de vue souhaitée.
Tu captures les exploits des athlètes en les suivant dans leur univers, mais penses-tu faire partie de cet exploit en rendant ce moment immuable ? Pourquoi ?
C'est une question intéressante qui ne m'avait jamais été posée auparavant. Ma réponse initiale était non. Mais après y avoir réfléchi, oui. De nombreux grands moments sportifs ne sont en fait que des souvenirs pour le spectateur et même pour l'athlète en question. C'est pourquoi la capture d'un instantané permet de faire remonter cette milliseconde dans le temps, de la stocker et de garder ce souvenir physiquement vivant pour qu'il puisse être revécu. Je ne participe donc pas à l'exploit de l'athlète, mais je contribue à l'enregistrer et à le conserver pour l'avenir.
C'est difficile, mais je ne me plains pas ; c'est le meilleur métier du monde
une synergie entre exploration, plaisir et détente
Par ailleurs, en quoi suivre les athlètes est-il un travail exigeant ?
Je veux toujours aller dans les endroits les plus extrêmes, généralement en hauteur et exposés. Je me déplace souvent avec des caméras pour documenter en temps réel dans plusieurs endroits. Donc, nous commençons tôt, nous nous couchons tard et nous voyageons beaucoup. C'est difficile, mais je ne me plains pas ; c'est le meilleur métier du monde.
Ta course, événement ou même lieu préféré à photographier ?
Impossible de répondre en une seule fois, je vais donc vous proposer quelques options : Marathon des Sables, Trofeo Kima, Monterosa Skyrace et Transvulcania. Pour n'en citer que quatre dans une très longue liste ! J’adore aussi le Népal, un endroit magique. J'aime aussi mon pays, la Norvège. J'ai déménagé en Norvège en 2020 et c'est l'un des environnements les plus merveilleux au monde. Il n'y a pas de très hautes montagnes, mais les paysages sont tout simplement époustouflants.
Y a-t-il un athlète que tu as rencontré ou photographié qui t'as fait découvrir un nouvel aspect du sport et qui t’as peut-être influencé dans ta façon de travailler ?
Cela peut sembler cliché mais ma rencontre avec Kilian Jornet en 2012 m'a ouvert les yeux sur une dimension nouvelle de la course à pied. Au-delà de la simple action de courir, Kilian m'a enseigné l'importance de la réflexion sur notre parcours : où, quand, comment et avec qui nous courons. Cette prise de conscience a profondément influencé ma pratique sportive et ma façon de travailler. Aujourd'hui, bien que je sois loin d'égaler le niveau de Kilian, mes meilleures expériences sportives se déroulent dans des environnements sauvages, exigeants et ouverts. Les défis de l'escalade et des montées abruptes offrent une perspective nouvelle, tant sur le plan visuel que sur celui de l'expérience.
Cette évolution en tant qu'athlète a indéniablement façonné ma manière d'aborder mon travail, déterminant le comment, le pourquoi et le où de mes missions. Je tiens également à souligner l'inspiration constante que me procure mon partenaire, Abelone Lyng. Sa propension à embrasser chaque aventure sans hésitation est une leçon précieuse. Ainsi, mes activités professionnelles et mes loisirs se conjuguent harmonieusement, créant une synergie entre exploration, plaisir et détente. Je me considère extrêmement chanceux de vivre ces expériences enrichissantes.
Je suis très reconnaissant de travailler sur des terrains difficiles, sauvages et magnifiques