Delphine Claudel a percé le petit écran médiatique à Pékin en terminant septième du 30 kilomètres skate pour sa seconde participation aux Jeux Olympiques, à 25 ans. Ses spatules ont peint un résultat qui matérialise le palier franchi par la native de Remiremont, dans les Vosges.
J’avais de grosses ambitions. J’étais persuadée que je pouvais faire un podium.
Grandir à proximité de la flamme olympique
Faut-il envoyer les jeunes athlètes sur les grandes compétitions internationales quand ils n’ont aucune chance de jouer les premiers rôles ? Ce débat colore souvent les conversations quand les Fédérations sportives publient leurs listes de qualifiés pour les grands championnats. D’un côté, certains projettent une vision à long terme et arguent que ces sélections sont au cœur de la formation de l’athlète. De l’autre, d’aucuns objectent une vision court-termiste et optent pour la seule performance. Delphine Claudel, elle, a croqué la réponse.
En 2018, elle a 21 ans quand elle dispute ses premiers Jeux Olympiques, à Pyeongchang (Corée du Sud). « J’avais des yeux d’enfants. J’étais émerveillée. Je profitais sans vraiment penser à la compétition ».
Elle était spectatrice.
En 2022, Delphine Claudel a donc 25 ans quand elle prend part à son deuxième rendez-vous olympique. « J’étais beaucoup plus focus. J’avais de grosses ambitions. J’étais persuadée que je pouvais faire un podium ».
Elle était actrice, elle le dit elle-même.
En 2018, l'espoir du ski de fond laisse peut-être un peu trop d’énergie « sur les pistes d’entraînement », avant même la course. « C’était un peu moins cadré. Je me connaissais moins, aussi ».
En 2022, la skieuse nordique exactement à quoi s’en tenir. « J’ai géré les petits aléas, comme le décalage horaire. La piste de compétition était exigeante. Je n’y ai pas passé des heures. J’ai pris sur moi. Je me suis rappelée de tout ce qui n’avait pas été, à Pyeongchang. J’avais déjà vécu l’évènement, j’ai tout corrigé et je me suis projetée plus facilement ».
En 2018, le Covid n’avait pas non plus déferlé sur la planète. « Les trois semaines ont été un peu longues, à Pékin. On ne pouvait pas sortir du village olympique, contrairement à il y a quatre ans ». Elle s’adapte. Elle se dit que c’est une expérience supplémentaire dans sa palette.
J’aime ce principe de tout mettre en œuvre pour exprimer le meilleur de soi.
Le sacrifice d'une skieuse nordique aux grandes ambitions
En 2018, elle zyeutait les autres athlètes. « Elles m’épatent par la foi, l’amour et la persévérance qu’elles mettent dans leur sport ».
En 2022, elle s’en inspire toujours. Elle cite Tessa Worley qui « veut une médaille, qui passe à côté et qui a toujours un discours très bienveillant sur le sport et sur ce que le sport apporte ». Elle cite l’Américaine Jesse Diggins. « Elle avait une indigestion alimentaire la veille de la course. Elle a mis toute son âme pour aller chercher une médaille d’argent (sur le 30 km libre). Elle était dans un sale état à l’arrivée ».
L’admiration transpire dans ses propos. Elle sourit. « Cela donne envie de se battre… et cela donne envie de les battre ».
2018-2022 : quatre ans et un gouffre. Delphine Claudel ne joue plus dans la même catégorie. Elle est capable de faire podium en Coupe du monde, comme à Val di Fiemme.
Sa façon d’appréhender et son sport et la vie n’ont pas évolué, en revanche. Elle a toujours aimé bouger. Elle a toujours aimé être dehors.
Delphine Claudel est née à Remiremont, dans les Vosges. Elle a commencé le ski de fond à dix ans, avec les copains. Elle faisait déjà de l’athlétisme. Elle a pratiqué les deux sports pendant quelques années. Il y avait une classe sportive ski de fond au collège ; il y avait un pôle espoir à Gérardmer, en ski de fond. L’athlétisme ne proposait pas les mêmes structures. « J’aimais ce sport de glisse. J’avais plus de copains dans le ski de fond. J’ai donc continué dans cette voie ». Elle aimerait avoir plusieurs vies pour tout faire. L’été, elle pourrait ne faire que du trail. « J’aimerais bien être dans une équipe de foot, aussi », rigole t-elle. Mais ses seules spatules occupent son esprit.
Elle est toujours aussi « exigeante » avec elle-même. « J’aime ce principe de tout mettre en œuvre pour exprimer le meilleur de soi. C’est toujours très naturel chez moi ». Ce ne sont pas seulement des mots. Delphine Claudel les traduit par des actes. « Ces deux derniers Noëls, je ne les ai pas passés avec ma famille, en raison de la crise sanitaire. Il y avait un petit risque de choper la maladie et de manquer la manche de Coupe du Monde suivante. Mes parents et mon entourage subissent »..
On ne peut pas toutes être la meilleure… même si je veux l’être.
Ajouter le sprint à la panoplie
Autre exemple. Elle a quitté ses Vosges natales pour la Savoie. C’est difficile de faire une pleine saison de ski à La Bresse dans les Vosges. Les conditions sont optimales à La Féclaz, son nouveau point de chute. « Les pistes sont variées et très bien entretenues. Il y a aussi une piste de ski roues. Je n’ai pas besoin de prendre ma voiture pour aller m’entraîner. Les gains de temps et d’énergie sont importants ».
Employée par l’armée de terre, elle vit pleinement du ski de fond depuis un an et demi.
Elle s’entraîne seule, souvent, et elle aime cette solitude. Elle pense, en même temps qu’elle peaufine sa « caisse » et son « endurance », son point fort, sous la férule de Thibault Chêne.
Il est son entraîneur depuis environ sept ans, depuis qu’elle est arrivée en équipe de France et que lui avait postulé pour chapeauter l’équipe féminine. Elle a une formule pour résumer leur rencontre. « La chance du hasard ». Elle loue leur complicité. « Nous avons une relation très forte. On se comprend vite. Nos objectifs, nos envies et nos motivations sont les mêmes. C’est beaucoup grâce à lui que je suis là aujourd’hui ».
Elle brosse ses tableaux en classique, quand les spatules suivent les rails tracés dans la neige, mais en skate, quand le corps danse sur le pas de patineur. « J’adore le style classique. Je trouve cela très beau à voir ». Elle a cependant de meilleures sensations de glisse, en skate. « Je suis une glisseuse, j’aime laisser filer le pied en skate. Je travaille sur la puissance pour être plus performante en classique et également pour améliorer mes finishs ».
En 2018, elle est en queue de peloton. Elle termine 57e du 10 km libre (skate) et 12e du relais : elle était la plus jeune aux côtés d’Aurore Jean, Anouk Faivre Picon, Coraline Thomas Hugue.
En 2022, elle est aux avant-postes. Elle prend la 9e place du skiathlon (7,5 km en classique + 7,5 en skate) puis la 7e place du 30 km libre.
Elle se connaît bien, elle connaît les différentes allures de course. Sur le 30 km libre, elle s’élance dans le quatuor de tête, en compagnie de Therese Johaug, de Jesse Diggins et de la Suédoise Ebba Andersson. La Norvégienne dynamite la course et augmente encore le rythme. Delphine approche de la zone rouge et préfère laisser filer. Elle se retrouve seule, vent dans le nez. Un groupe à l’arrière la rattrape. « Je me suis alors mis dans les skis et j’en ai fait un peu moins. J’ai récupéré sur le troisième tour comme cela, et puis, au début du quatrième et dernier tour, je me suis dit : “Faut y aller ! Si tu veux chercher quelque chose, c’est maintenant” ».
Elle attaque dans la bosse. Elle joue la médaille mais il lui manque quelques watts dans le final. Elle n’est pas sprinteuse, mais elle y travaille.
« Je suis toujours un peu frustrée de ne pas réussir à me « finir », à me faire complètement « mal à la gueule » pour le dire familièrement ». Elle y parvient sur des montées sèches où l’effort se prête davantage à la douleur, comme sur celle de l’Alpe Cermis, dernière étape du Tour de ski en janvier 2021, où elle était devenue la troisième française à monter sur un podium de coupe du Monde.
Ces Jeux Olympiques sont un jalon de plus sur une course de progression linéaire. Delphine n’a pas de plan de carrière, elle n’en a jamais eu, sinon celui de s’améliorer, chaque année. « Je ne me pose pas de questions, au départ des courses. Je sais que j’ai les outils pour rivaliser. Je ne suis pas arrivée sur le circuit en me disant que j’allais tout casser. J’ai eu une période où mes résultats étaient loin du haut niveau, malgré un gros entraînement. Mais j’y ai toujours cru. Je ne mets jamais de barrières mentales, ni de deadline. Et je donne toujours le meilleur de moi-même ».
2018 – 2022 – 2026. Cortina d’Ampezzo sera le prochain rendez-vous olympique. « Il n’y aura peut-être pas de village, les épreuves auront lieu à droite et à gauche ». Une ambiance italienne plus « familiale », de celle qu’elle apprécie lors des Coupes du Monde et des championnats du Monde – son prochain gros objectif en 2023. Elle sait aussi que ses amis et sa famille pourront faire le court déplacement.
Quatre ans et autant d’années pour ajouter les petites touches picturales qui la rapprocheront de son chef d’œuvre. « Si je me donne à 100% et que je suis 5e mondiale, je n’aurais pas de regrets. On ne peut pas toutes être la meilleure… même si je veux l’être ».
Reportage Quentin Guillon - Photos Nils Louna