Vivian Bruchez est un artiste-peintre. Il colorie sa vie avec de belles montagnes, dessine de nouvelles lignes et esquisse de nouveaux possibles, les skis en guise de pinceau. L’automne dernier, le Chamoniard devenu légende vivante de son sport grâce à ses premières engagées, sa personnalité enthousiaste, son approche délicate et sa passion communicative est sorti de sa zone de confort – les Alpes – pour aller s’essayer à un Eldorado du bout du monde : la Patagonie. Un projet familial d’abord, avec sa femme et ses filles ; puis sportif, à l’assaut des rampes mythiques d’El Chalten, avec ses acolytes Aurélien Lardy et Jules Socié. Vivian en est revenu avec des souvenirs plein la tête et des images plein les cartes mémoires. Ils en ont fait une toile de maître – ‘Painting the Mountains’ – un film qui fera date dans l’Histoire du ski de pente raide. Récit.
VÉLO, JOYAU & FEDERICO
Vivian, tu es devenu un personnage presque emblématique du magazine. Tu viens avec une régularité certaine raconter ton histoire et tes projets dans ces pages. Merci pour cela. Nous commencerons donc pas une question conventionnelle : comment vas-tu ?
Ça va bien ! J’ai construit un équilibre familial, sportif et professionnel qui m’épanouit. Depuis cet été en revanche, je dois gérer la première blessure de ma carrière : un œdème osseux contracté au niveau d’un pied, lors d’une journée d’alpinisme cet été. Je découvre une nouvelle facette de la vie d’athlète. J’apprends à gérer la frustration. J’aurais dû passer une partie de l’automne en Nouvelle-Zélande mais je préfère rester patient, faire les choses bien dans la phase finale de ma convalescence. Je me suis beaucoup entraîné à vélo, j’ai fait la rencontre d’un nouvel univers, d’une communauté. J’ai pris beaucoup de plaisir et transformé, d’une certaine manière, ce problème en opportunité : je vais pouvoir dédier du temps à la promotion de notre film, ‘Painting the mountains’.
Justement, évoquons cette aventure. Est-ce la première fois que tu te rends en Patagonie ? Quel fut ton premier ressenti lorsque tu es arrivé dans cette région reculée du globe ?
Il s’agissait de mon troisième voyage en Argentine. J’y étais allé une première fois avec le Comité Mont-Blanc, en stage d’entraînement, lorsque je faisais de la compétition en ski alpin. Puis une deuxième en compagnie de Kilian Jornet, pour l’ascension de l’Aconcagua. Et enfin une troisième, l’été dernier. Comme à chaque fois, j’ai été saisi par l’émerveillement. L’émerveillement véritable, profond, puissant. Pour moi, la Patagonie est un petit joyau. C’est assez incroyable ce que j’ai pu ressentir là-bas en termes d’émotions visuelles. El Chalten me fait penser à Chamonix. Tu débarques dans ce petit village loin de tout et se dressent devant toi des montagnes qui exercent un pouvoir d’attraction assez mystique. C’est si beau et improbable que ça peut donner l’impression d’un mirage, d’un dessin ou d’une peinture.
Tu valorises beaucoup l’aventure à proximité de la maison, avec notamment de nombreux projets dans les Alpes. Qu’est-ce qui t’a poussé à effectuer ce voyage si loin de tes terres ?
Tout est une histoire de rencontres. Depuis plusieurs années, à chaque rassemblement avec mon partenaire Dynastar, une marque de ski chamoniarde, j’échange avec Federico, dit ‘Fédé’, le responsable du développement de l’entreprise en Amérique du Sud. À chaque fois, il me vante la qualité du ski sur ses terres. Il m’a eu à l’usure ! (Sourire) Avec un argument qui a fonctionné : il m’a invité chez lui, dans sa station, avec ma famille. Pouvoir embarquer ma femme et mes filles, et ainsi transformer un projet personnel en aventure familiale a fini de me convaincre. C’est là tout le sens de ma démarche : leur permettre de vivre des expériences riches et singulières, grâce à ma pratique.
WHILLANS, ENGAGEMENT & ESTHÉTISME
Et le projet de film alors : comment est-il venu se greffer à cette aventure familiale ?
Nous avons passé tout le mois d’août, avec les filles, à San Martin de Los Andes. Mes deux filles et ma femme devant retourner en France pour la rentrée scolaire, j’avais planifié de rester sur place un mois supplémentaire, pour une expédition plus au Sud, en Patagonie. Mes dates coïncidaient avec celles de Aurélien Lardy et Jules Socié. Ils sont issus d’une génération que je connais très bien : ils étaient coureurs en ski alpin lorsque j’étais entraîneur. Nous partagions également le même parcours : une première carrière dans les piquets avant de dériver vers le ski de montagne plutôt que le ski freeride. Nous nous sommes donc rejoints là-bas. J’arrivais alors sans prétention : j’avais déjà beaucoup skié avec des locaux et ouverts plusieurs lignes de pente raide autour de San Martin de Los Andes. Aurel et Jules atterrissaient eux avec l’intention claire d’envoyer du gros, et des idées précises des secteurs qu’ils voulaient explorer. Très rapidement, les choses ont tourné en notre faveur puisque nous avons bénéficié de conditions exceptionnelles : une neige incroyable, du froid et un long créneau de beau temps. Un hiver qualifié de quasi- historique par les habitants.
Peux-tu nous raconter le film ? De quoi ça parle et quel message souhaitiez-vous faire passer ?
Ce film est construit autour de deux axes principaux : la notion d’engagement, car on a envoyé du gros, vraiment ; mais aussi le croisement de deux regards, l’un artistique et esthétique, porté par notre photographe, et le nôtre, d’athlètes, dessiné par nos intuitions, envies, convictions. Matthew Tufts, le photographe en question, est un reporter passionné de Patagonie, une région où il passe plusieurs mois par an en immersion totale. Son objectif était de documenter notre trip dans ce village iconique d’El Chalten avec son œil à part. Aurel et Jules avaient, eux, l’intention de cocher des parois granitiques dont une voie mythique du ski de pente raide : la ‘Whillans-Cochrane’. C’était un peu leur ‘goal life’. Nous y sommes allés. C’était vraiment engagé, presque trop. Dans le film, l’intensité se ressent. La tension est réelle, palpable.
Intégrer ta famille dans tes aventures semble désormais être un pilier central de tes projets...
Je fais du ski car c’est ma vie. Le ski me rend heureux. Il est mon moyen d’expression. Forcément, cela occupe beaucoup de place dans mon quotidien. Lorsque je ne skie pas, je cherche. Je cherche de nouvelles lignes, de nouveaux projets... Il n’y a pas un soir où je m’endors sans penser au ski. Il me parait donc fondamental de faire comprendre à ma femme et à mes filles pourquoi j’aime autant ça, pourquoi j’y mets autant de cœur. Les intégrer et leur en faire profiter, ça fait partie de la boucle. Par exemple, pour l’ouverture du festival ‘Montagne en scène’, au Grand Rex, où sera diffusé en avant-première ‘Painting the mountains’, j’ai prévu de les emmener 4 jours à Paris. Pour qu’elles se sentent impliquées et qu’elles prennent conscience que la démarche n’est pas individuelle mais collective. Pour le moment, c’est moi qui les embarque ; mais bientôt, ce sont mes filles qui m’emmèneront dans des projets qui les font kiffer, et j’ai hâte !
C’est certainement l’un des plus beaux voyages de ma vie au sens où il réunit tout ce que j’aime
ASADO, BIVOUACS & ÉMOTIONS
Pour revenir à la Patagonie, une région du globe qui nourrit l’imaginaire de nombreux amoureux de sports outdoor : qu’est-ce qui différent et parfaitement singulier là-bas ?
D’un point de vue du ski, ce sont des montagnes finalement assez peu explorées. Les ‘classiques’ du coin ont été cochées mais il reste encore de nombreuses choses à défricher dans les parties les plus techniques. Concernant la météo, c’est vraiment à quitte ou double. Les fenêtres de mauvais temps peuvent être très longues : tu peux faire un mois sur place et ne faire que deux jours de ski. Enfin, le rythme de vie se veut également très singulier : les approches se font à pied, il faut donc beaucoup marcher pour accéder aux couloirs, puis bivouaquer en bas. Celle donne lieu à des missions de trois ou quatre jours très intenses. Toute la communauté profite du même créneau pour aller vivre son expérience en montagne avant de revenir au même endroit, au même moment, pour se régénérer, partager, célébrer. Tu manges des ‘asados’, tu bois du ‘maté’ : c’est assez génial comme dynamique !
La ‘Whillans-Cochrane’ est clairement la ligne la plus engagée que j’ai faite de ma vie. Une descente ultime du ski de pente raide
Qu’est-ce que tu as appris lors de ce voyage ? En quoi la Patagonie t’a fait grandir ?
C’est certainement l’un des plus beaux voyages de ma vie au sens où il réunit tout ce que j’aime : ma famille, le partage, la découverte, le ski... Je n’ai pas forcément grandi d’un point de vue technique, mais j’ai grandi d’un point de vue humain, en tant qu’homme. Cette aventure m’a beaucoup touché. J’ai souvent été ému. Plus d’une fois, je me suis fait cueillir par la beauté d’une rencontre, la beauté du paysage, la beauté d’un moment. J’ai vécu des choses très fortes avec les locaux, sur la première partie du trip, puis avec Aurel et Jules, sur la deuxième. Les Argentins m’ont offert un accueil magnifique. Ne parlant pas un mot d’espagnol, je ne comprenais absolument rien à ce qu’ils me disaient, en revanche on s’entendait parfaitement. La communication était fluide. Je me suis fait un copain, Sascha Geist, qui m’a montré tous les meilleurs spots, et avec lequel nous avons réalisé de nombreuses premières autour de chez lui, comme s’il avait besoin d’une aide extérieure et d’un déclic mental pour y accéder. Enfin, avec Aurel et Jules, il y a eu beaucoup de transmission. Eux avaient la fougue et les idées, j’ai tenté de leur apporter ma connaissance de la montagne, ma réflexion stratégique.
Pour finir, as-tu des conseils pour des passionnés d’outdoor ou de ski qui souhaiteraient s’aventurer en Patagonie ?
Pour commencer, ne jamais freiner son enthousiasme et faire de cette intention une réalité car la Patagonie est véritablement un voyage à mener une fois dans sa vie. Ensuite, s’autoriser un voyage long, dans la mesure du possible. Rester un mois et demi voire deux sur place me semble idéal. Il faut en profiter pour vadrouiller : commencer par skier des volcans au Nord de la Patagonie, à la frontière entre le Chili et l’Argentine ; descendre petit à petit vers la verticalité d’El Chalten ; pour finir au bout du monde, à Ushuaïa. D’un point de vue pratico-pratique, et un peu pêle-mêle, je recommande également : de venir avec son propre matériel de ski ; de louer un 4x4 car rien n’est proche et toutes les routes sont chaotiques ; et enfin, de ne pas hésiter à contacter les guides d’El Chalten, une équipe très compétente et experte de son terrain de jeu !
Texte de Baptiste Chassagne