Les corn flakes sont nés d’un oubli, le Swimrun d’un pari. Un vrai coup de bol. Un soir de 2002, 4 amis suédois accoudés à un bar de l’île de Üto, dans l’archipel de Stockholm, se lancent, après le verre de trop, un improbable défi : rejoindre par équipe de 2 l’île de Sandhamn, via une traversée de 75 km, en alternant à 22 reprises nage en eau vive et trail running. Le duo perdant payera sa tournée. De ce pari bravache est né une course mythique : l’Ötillo. Et un sport : le Swimrun. Une discipline en vogue dont l’épreuve pionnière sur le sol français, la Gravity Race, se déroulera ce samedi 12 octobre, dans et au bord du Lac d’Annecy.
Jour de course. D-Day. 5h30 du matin sur une petite plage de l’île de Sandhamn, dans l’archipel de Stockholm, capitale du royaume de Suède. Ce n’est pas le Débarquement, mais presque. Une petite troupe de près de 300 soldats, posture guerrière, regard inquiet, bouches fermées, s’avance sur la crique. Combinaison en néoprène en guise de treillis, baskets de trail au détriment des Rangers et plaquettes de natation en lieu et place de la carabine à fleurs. Les bourrasques de vent soufflent en rafales, renforçant la violence du silence. Les clapotis de l’eau se font lents et réguliers, comme pour mieux signifier combien elle est glacée. Une détonation. Le départ de l’Ötillö est donné. Aller « d’île en île » en patois local dans le texte. Plus qu’une traversée, « un condensé de vie » comme le rappelle poétiquement Michael Lemmel, directeur de l’une des épreuves d’endurance les plus difficiles au monde. 26 lambeaux de terre à rallier. 65 km de course à pied. 10 km de natation. Plonger et s’extirper de la Mer Baltique à 50 reprises. Un voyage entre les Fjords. Une odyssée au bout de soi-même. Mais surtout, une aventure partagée.
La 4èmeédition de la Gravity Race, qui se déroulera le 15 octobre prochain à Annecy, s’inspire de sa glorieuse ainée. S’inspirer pour y puiser le meilleur : entraide et dépassement de soi dans un décor de carte postale. S’inspirer pour se différencier à travers une touche alpine et une réelle dimension écoresponsable. Plongeon sans bouée mais avec pullboy dans les eaux mystiques et authentiques du Swimrun.
COMME BEAUCOUP DE MONDE, J’AI DÉCOUVERT LE SWIMRUN EN TOMBANT SUR UN REPORTAGE
UNE DISCIPLINE HYBRIDE
Commençons par la base. La définition cartésienne d’une discipline aux frontières mouvantes qui revendique « laisser place à la créativité responsable des organisateurs et à l’adaptation au territoire ». Le Swimrun consiste donc à rallier une ligne d’arrivée située de 5 à 55 km plus loin en alternant au moins à 3 reprises la nage en eau libre et le trail, sur des segments de distance variable, sur un parcours dit « nature », le tout par équipe de 2. Ensuite, c’est comme bon vous semble.
Marie Croisille, 28 ans, fondatrice et co-organisatrice de la Gravity Race avec son compagnon Raphaël Rieumal, raconte son coup de coeur immédiat pour ce sport hybride. « Comme beaucoup de monde, j’ai découvert le Swimrun en tombant sur le reportage de Canal + intitulé « Les Exilés de l’Ötillö ». Je commençais tout juste le triathlon mais j’ai instantanément été séduite par la perspective de partager ma pratique avec Raphaël. On a tenté de décrocher une qualification pour l’Ötillö suédois, qui entretemps était devenu support des Championnats du Monde, mais ça ne l’a pas fait. Disons que j’étais encore en phase d’apprentissage (sourire) ! » Cédric Fleureton, triathlète vainqueur de plusieurs Coupe du Monde puis traileur multiple champion de France, a lui aussi fait connaissance avec le Swimrun grâce à la doyenne scandinave. Mais plus frontalement. « J’ai été initié par deux passionnés qui m’ont proposé une sortie d’entrainement dans Les Calanques. Puis, en 2017, j’ai épinglé mon premier dossard en compétition avec mon ami David Hauss. » Vous ne devinerez jamais où ! Le versatile français admet : « Débuter par le Championnat du monde, c’était peut-être osé. C’était dur, très dur. » Il est vrai que Roger Federer n’a pas tapé ses premières balles jaunes sur le Central de Rolland Garros, ni Tiger Woods décoché ses premiers swings sur les greens de Saint-Andrews.
DES FJORDS DE SCANDINAVIE AU LAC D’ANNECY
POUR VIVRE DE LA GRAVITY RACE, IL FAUDRAIT PRIVILÉGIER LA RENTABILITÉ ÉCONOMIQUE AUX VALEURS QUI NOUS ONT FAIT AIMER CE SPORT. ET ÇA, CE SERAIT SE RENIER
Si cet amour de l’eau fraîche prend souvent sa source plus au Nord, en Scandinavie, il est difficile de prolonger ensuite son apprentissage dans l’Hexagone. Marie Croisille témoigne : « Il n’existait qu’une course du genre, adossée à une épreuve de triathlon, en Bretagne. En 2016, avec Raph’, on décide donc de se lancer, de monter le premier vrai évènement de Swimrun en France. Il y avait tout à faire, tout à défricher. Je divisais mon emploi du temps en deux : 50% pour un petit boulot chez Sushi Shop et 50% pour notre projet. » C’est ainsi que la Gravity Race, la première du nom, voit le jour en Octobre 2016, à Annecy. Un endroit stratégique qui regroupe : « un terrain de jeu incroyable, un bassin de passionnés et une concentration de potentiels très bons partenaires. » Depuis, la course est devenue un label qui comprend deux autres évènements annuels : un en Île de France et l’autre au Lac de Salagou. « Malgré cela, même si la structure s’est professionnalisée et la pratique démocratisée, nous ne vivons toujours pas de la Gravity Race. Pour que ce fût été possible, il faudrait privilégier la rentabilité économique aux valeurs qui nous ont fait aimer ce sport. Et ça, ce serait se renier ! »
L’EXPLORATION PLUTÔT QUE LA COMPÉTITION
Quelles sont ces valeurs chevillées aux pieds palmés des nageurs-trotteurs ? Fort d’une longue et polyvalente carrière à haut-niveau, Cédric Fleureton semble le plus à-même de cerner avec acuité les véritables singularités du Swimrun : « Ce qui m’a marqué, c’est ce contact très brut et authentique avec éléments. L’eau, la terre, le vent... Une sorte de pureté dans l’effort. » Le porte-étendard tricolore poursuit : « J’ai aussi eu cette impression à la fois mystique et intimidante de me sentir vraiment tout petit face à la grandeur de Dame Nature. J’ai pris conscience de combien nous pouvions être minuscule dans un environnement aussi hostile et majestueux. »
La discipline surfe également sur la vague de « l’Aventure ». Avec un grand « A ». Vous savez, cette envie déferlante de s’éprouver non pas par le résultat mais plutôt par le défi. Se sentir vivant en des lieux privilégiés. Se surpasser dans des endroits jusqu’alors peu explorés par l’Homme. La pilote de la Gravity Race s’explique en dressant une comparaison avec le triathlon : « Tout d’abord, le triathlète est très tourné vers la qualité de son matériel quand nous prônons une approche très minimaliste. Ensuite, nous sommes plus dans le challenge que dans la performance. Ce qui compte, c’est l’aventure, pas le chrono ! » En avoir plein les pattes mais en prendre aussi plein les yeux : « L’idée, c’est d’être éveillé et émerveillé. Être sensible à la beauté de ce qui t’entoure et par conséquent, être moins focalisé sur la douleur physique. » D’autant plus que le Swimrun, par sa succession de course et de nage, constitue une activité peu traumatisante : « La natation permet de te reposer les jambes afin d’attaquer les portions à pied avec de la fraicheur. C’est une fatigue douce et agréable. »
UN EFFORT INDIVIDUEL, UNE AVENTURE COLLECTIVE
Enfin, et c’est là l’élément qui fonde son unicité, le Swimrun, s’il consiste de prime abord en un effort individuel, est avant tout un sport collectif. Une question d’entraide et de complémentarité. Une aventure partagée. Une expédition commune aux confins des relations humaines. Un lien rendu palpable par la longe, cette corde longue d’une dizaine de mètres, qui unit les binômes au cours de leur périple. « D’habitude, tu es plutôt seul face à toi-même. Là, cela donne une saveur particulière au passage de la ligne d’arrivée. Ça décuple les émotions. » se remémore, captivé, Cédric Fleureton. Décupler. Multiplier. Toujours par un multiple de 2. Faute de duo, il est même possible de trouver son binôme sur des sites spécialisés. Le Swimrun plus efficace que Tinder pour trouver sa moitié ?
CE QUI COMPTE, C’EST L’AVENTURE, PAS LE CHRONO !
LA GRAVITY ET LA PART DU COLIBRI
Malgré ces valeurs communes, la Gravity Race n’est pas l’Ötillö. Et Annecy n’est pas la Scandinavie. Une différence que cultive Marie Croisille : « Nous souhaitons rendre le Swimrun plus accessible. D’où la tenue de deux formats de course : l’une assez abordable, l’autre gargantuesque. » Mais ce qui fait le charme de l’épreuve du lagon annécien, c’est surtout sa dimension écoresponsable.
LE RESPECT DE LA PLANÈTE, C’EST UNE VRAIE DÉMARCHE, PAS UN CONCEPT MARKETING !
À cet égard, la Gravity Race est un modèle du genre et les mesures drastiques appliquées sont là pour illustrer cette volonté de préserver le terrain de jeu qui nous procure tant d’émotions. Premièrement, le nombre d’inscriptions est limité à 330 participants. Un frein assumé à la croissance de l’évènement. Ensuite, une disposition originale mais admirable : « C’est une épreuve en semi autonomie. Les coureurs apportent donc leurs propres ravitaillements, que nous annotons avant le départ en fonction du numéro de dossard. Ainsi, si au moment du débalisage, nous retrouvons des emballages, nous sommes capables de retrouver son propriétaire pour le disqualifier… Ce qui est fou, c’est qu’il faut une carotte pour que l’on respecte la planète, que l’on ne le fasse pas naturellement ! » La liste des initiatives vertes et innovantes prises par le jeune couple ne s’arrête pas là. La nourriture achetée en vrac, le compost réalisé avec les pelures d’oranges et de bananes, le carrefour de tri sur le village des exposants, le T-shirt finisher composé de particules en bois… « C’est une vraie démarche, pas un concept marketing ! » La Gravity Race fait sa part du Colibri et vole dans les plumes de ceux qui s’en exemptent. Le succès et la pérennité de la Gravity ne doivent rien au hasard. Ni à un oubli, ni à un pari.
CONSEILS
Quelques conseils aux aspirants swimrunners par les organisateurs de la Gravity Race :
S’entrainer en conditions de course : à deux, avec une combinaison, dans de l’eau vive, ce qui change radicalement de la natation en piscine.
Travailler la transition, car après avoir passé du temps à l’horizontale pendant la natation, tu prends une petite claque lorsque tu te redresses pour courir.
Apprendre à courir avec une combinaison et des baskets mouillées. Ne surtout pas ôter ses chaussettes, sinon c’est des ampoules assurées.
Éviter au maximum les plaquettes lorsque tu n’as pas l’habitude. C’est une fausse bonne idée. Car au bout de trois sections de natation, tu n’as plus de force dans les bras.
Rester à l’écoute de son binôme. Se montrer patient. C’est avant tout une aventure qui tourne autour du partage.
Texte : Baptiste Chassagne