L’alpiniste Christophe Dumarest est plus habitué aux sommets vertigineux et aux faces plongeantes du massif du Mont-Blanc… qu’aux méandres souterrains (et quelque peu angoissant) de la spéléologie. Photographié par Marc Daviet, et accompagné de spécialistes de la discipline, il a visité le Parmelan de haut en bas, par l’intérieur. Il raconte…
« Nous découvrons l’entrée du premier puits à 1 630 m d’altitude, en même temps que le soleil se lève sur le massif du Mont-Blanc. Le désert de lapiaz qui caractérise le plateau du Parmelan s’étend devant nous comme une onde calcaire acérée. Une flore de moyenne montagne composée de mousses, de myrtilliers et de quelques pins tourmentés a réussi à survivre sur ce substrat rocheux. Faut-il être fou pour vouloir quitter ce paysage lumineux et harmonieux pour le territoire des ombres ?
Seules la curiosité et l’envie de découverte m’incitent à regarder en direction de l’étroiture austère qui marque le seuil du premier rappel. Je suis harnaché à mon descendeur spéléo, attentif aux explications qui concernent son utilisation. Aujourd’hui, c’est moi le client ! J’entends l’équipe parler d’horaires, de stratégies, comme des alpinistes le feraient d’une course engagée. Et je mesure soudain la portée de l’entreprise et la pression induite par le niveau élevé de mes compagnons. Deux d’entre eux font partie de l’équipe de secours de la région et participent activement à de nouvelles explorations. La « balade » est estimée entre huit et dix heures… un joli baptême en perspective à travers l’une des traversées les plus réputées de la région !
Dès les premiers mètres, du monde réel vers un autre, imaginaire. J’ai l’impression de plonger dans un roman de Jules Verne pour un voyage à l’envers… 20 000 lieux sous la terre ! Une sensation forte m’envahit. Il ne sera pas question de faire demi-tour. Ici, le salut est vers le bas. C’est d’ailleurs le cri de guerre du club local, le Spéléoclub d’Annecy : « SCA, toujours plus bas ! ». Je descends le long de ce premier boyau vertical de 90 mètres, dans l’obscurité, sans aucune idée de ce qui m’attend.
Finalement, loin d'être anxiogènes, ces lieux baignés de silence délivrent une forme de paix propice à la comtemplation.
Je me décontracte et prends petit à petit la mesure du décor. La cavité de la Diau est connue depuis toujours. Proche du hameau d’Usillon, son entrée spacieuse a été explorée très tôt par certains villageois. Nous migrons vers l’intérieur de la Terre dans une ambiance féerique. Le spectacle est grandiose, d’une variété insoupçonnée. L’appréhension a laissé place à l’euphorie et je ne sais plus où donner de la tête pour observer tous ces reliefs polis et sculptés par l’incessant passage de l’eau. Le Méandre de l’extase porte bien son nom. Finalement, loin d’être anxiogènes, ces lieux baignés de silence délivrent une forme de paix propice à la contemplation. Nous débouchons après 200 mètres de rappel dans le Ruisseau des Grenoblois. Autant de découvertes patiemment conquises, mais toujours baptisées avec humour : la Salle d’attente, le Mât de perroquet, les Boyaux gluants ou encore la Station Opéra.
Quelques méandres plus tard, à - 370 m sous terre, nous rejoignons l’actif principal, réceptacle de toute l’eau qui s’écoule du plateau et des quatre tannes (cavités). Le parcours dans la rivière est dynamique et les eaux fougueuses. Les rappels et manipulations de corde parfois laborieuses ont laissé place au mouvement. En traversant, de l’eau jusqu’à la taille, je prends conscience que le ruisseau impétueux s’est transformé en large rivière souterraine. Nous la suivons sur près de 2 km.
Quelques mètres avant le porche de la grotte de sortie, la densité, la température et même l’odeur de l’air changent brutalement. Ce contraste saisissant nous indique que la sortie est proche, tout comme la fin de notre périple, entamé quelque quinze heures plus tôt sous les étoiles. Aujourd’hui, le jour n’aura duré que le temps de l’aube…
Texte : Christophe Dumarest
Photos : Marc Daviet