LE PLUS BEAU SOMMET, C'EST LA GUÉRISON
En 1994 à Chamonix, Christine Janin fonde « À Chacun son Everest ! » qui vient en aide aux femmes et aux enfants atteints de cancer et de leucémie. A travers des stages à la montagne, l’association veut contribuer à une thérapie complète par le sport, les soins, le bien-être…
Médecin et alpiniste, Christine Janin est la première Française à avoir atteint l’Everest et la première femme au monde à avoir franchi le pôle Nord sans moyens mécaniques ni chiens de traîneau. Rencontre avec une force de la nature.
Pourquoi faites-vous le parallèle entre le sommet et la guérison ?
Cela m’a tout de suite paru comme une évidence : pour atteindre un sommet, il y a une voie à tracer, une cordée, des crevasses, des paliers, il faut monter, descendre, tenir son cap. La maladie, c’est pareil : le chemin est long, difficile, l’ascension s’accomplit pas après pas. Le sommet, c’est le plus haut, le plus beau parce que c’est la guérison.
Puis vient la redescente…
C’est comme pour l’Everest, vous avez le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’extraordinaire. Un Everest change une vie, la maladie aussi… Ensuite, il faut en être libre, léger, fier. Pour le malade, l’« après » est compliqué car tout change : son corps, le regard des autres… Son vécu fait de lui quelqu’un de différent que personne ne peut comprendre. Quand on n’a pas souffert d’un cancer, on ne peut pas s’imaginer la fatigue, les peurs…
En quoi un stage à la montagne peut rendre
plus fort ?
Pour les enfants comme pour les femmes, les stages représentent l’opportunité de prendre un moment pour soi, de quitter les parents, la famille. Les plus jeunes se prouvent qu’ils sont encore capables, d’où l’importance de leur faire gravir un sommet qui va leur permettre de retrouver leur corps. C’est aussi l’occasion de renouer avec leur âme d’enfant, la légèreté, parce que la maladie leur a donné une grande maturité. Quant aux femmes, elles peuvent enfin lâcher prise. A la maison, elles s’occupent de leur mari, des enfants, du boulot. A Chamonix, elles se posent, elles sont cocoonées, choyées. C’est pour tous la possibilité de partager un vécu commun, de pleurer et de rire ; beaucoup n’ont pas ri depuis longtemps.
Que disent les malades en rémission arrivés
au sommet ?
Ils éprouvent d’abord du soulagement. Une fois arrivé, on est content d’avoir atteint l’objectif. Certains ont osé dire, en plantant le fanion, « maintenant je suis guéri ». Ils ne viennent pas chercher qu’un sommet, ils viennent « se » chercher. Après leur exploit, leur Everest, ils peuvent se dire « je suis capable de le faire, je suis comme les autres, j’ai gagné ». Parmi les femmes, il y a beaucoup de larmes de joie.
Est-ce qu’une réaction vous a particulièrement marquée ?
Je me souviens d’une femme qui avait conservé ses cheveux dans un foulard et qui les avait envoyés au vent. C’était un grand moment d’émotion. Il y a vraiment un avant et un après le séjour. Elles retrouvent une liberté, des envies. C’est une expérience puissante.
Associez-vous d’autres sports au chemin
de la guérison ?
Je les fais marcher, grimper, faire du yoga, du qi kong… De manière exceptionnelle, j’ai accompagné des enfants et des femmes sur un bateau comme Atka, le voilier de François Bernard qui nous a emmenés au Groenland. Une expérience différente pour amener de la magie au sport. On y trouve aussi du partage, des paysages, des émotions... Mais l’expérience est différente car les malades sont moins actifs, moins acteurs de leur guérison. Je privilégie la montagne où le sommet est atteint après chaque pas, chaque effort physique, et c’est encore plus fort.
Qu’avez-vous ressenti en atteignant l’Everest ?
J’ai pensé à une chose horrible : le retour ! A ce moment- là, j’ai compris que je n’avais pas gagné car il fallait tout redescendre. J’avais enchainé 1848 mètres le dernier jour, je suis arrivée au sommet à 17h, il faisait -40°, je marchais depuis quinze heures… Je savais que je n’avais pas le droit à l’erreur. Il y a un grand sentiment de « qu’est-ce que j’ai fait ? Je suis complètement folle ! ». Je savais que j’avais accompli quelque chose d’énorme mais j’étais restée la même. Le regard des autres, lui, a changé.
Quelle plus grande difficulté avez-vous surmontée au Pôle Nord?
Le plus dangereux a été la visite des ours. Tout comme le vent violent qui, pendant une semaine, nous a fait reculer de 100 kilomètres. On est sur un glaçon, il y a des dérives terribles. Tous les jours, on marchait dix heures et tous les jours on reculait. Il fallait tenir, tenir, tenir.
Quel plus beau défi avez-vous relevé ?
L’association. Les expéditions, c’était mon élément, même si c’est parfois dur. Une association est une autre forme d’engagement. Il a fallu apprendre à manager et, forte de ma motivation et des résultats obtenus, j’ai beaucoup appris. J’ai réuni une bonne équipe. Le prochain défi vise à pérenniser l’action de l’association. Comme sœur Emmanuelle : à 99 ans je serai toujours là pour veiller sur elle !
Interview : Nathalie Truche