Antoine Girard n’est plus à une aventure près.
Le Valentinois s’est lancé le pari fou de traverser en autonomie avec son coéquipier Martin Beaujouin et en
vol bivouac parapente, plus de 3 000 km en Amérique du sud, de Temuco au Chili à Arequipa au Pérou. Plus de la moitié du parcours n’a jamais été volé en parapente.
29 janvier 2018 : début de l’Aventure. Partis du sud du Chili, au nord de la Patagonie, notre objectif est de traverser une partie de l’Amérique du Sud en vol bivouac parapente et finir au sud du Pérou, 3 000 kilomètres plus au nord. Tout cela, en transportant nos affaires de bivouac : tentes, duvets, nourriture et eau.
Nous savons qu’une véritable exploration commence, avec seulement 1 000 kilomètres déjà volé et personne qui n’a osé s’engager plusieurs jours au cœur de la Cordillère des Andes. Nous partons avec des sacs de plus de 35kg pour espérer tenir une dizaine de jours en autonomie.
Notre premier vol se fait depuis le volcan Lonquimay. Un volcan avec une forme parfaite, constitué de pierres ponces noires et rayées. Le cratère sommital est rempli de neige malgré la fin de l’été. Les flancs sont prolongés de quelques kilomètres par des coulées de pierres noires qui tranchent avec la couleur verdoyante des forêts qui encerclent la zone. Il n’y a pas plus beau départ !
Mais pourquoi personne ne vient voler dans ce paradis ? La raison est simple, nous la comprenons rapidement. Les vents sont trop forts, dès 10h du matin. Il faut voler très tôt pour rester en sécurité. Le vol est sublime mais court. Dès que nous quittons la zone des volcans, les thermiques sont inexistants (à cause des forêts humides à perte de vue qui empêchent la convection). Nous nous posons en montagne pour remonter sur un autre sommet. Nous essaierons de voler un peu plus tard dans la journée pour laisser le temps à la convection de s’installer. Mais c’est peine perdue. Il n’y a pas de thermique. Les forêts sont omniprésentes et tellement denses qu’il est impossible de les traverser à pied. Nous marchons 3 jours pour chercher un nouveau terrain de décollage avant de retrouver la civilisation et finalement nous résigner, il n’est pas possible de voyager en volant et en marchant dans cette région. Nous avons progressé de seulement 50 kilomètres pour des efforts de marches de plus de 12 heures sous un soleil de plomb. Nous décidons de prendre un bus pour avancer de 120 kilomètres plus au nord en espérant de meilleures conditions.
Nous arrivons sur le volcan Nevados del Chillan, un volcan actif qui crache une magnifique fumée blanche dans un bruit de tonnerre plusieurs fois par heure, et d’où s’échappe une forte odeur du souffre. Nous restons 2 jours sur le volcan à essayer de voler. Nous sommes dans une ambiance qui rappelle celle du Mordor dans le Seigneur des anneaux mais ce n’est encore pas ici qu’il sera possible de commencer notre voyage. Nous continuons en bus pour encore 200 kilomètres. Nous passons de nouveau 3 jours à essayer d’atteindre un sommet décollable en parapente, en essayant tous les versants de la montagne. Les forêts sont impossibles à franchir, nous l’escaladons par des ravins et falaises. Le vol est agréable mais tout aussi difficile qu’au sud, il y a toujours peu de thermiques à cause de la végétation. Nous décidons de repartir en bus et rejoindre Rancagua qui n’est plus qu’à 80 kilomètres au nord.
Le vol est sublime mais court, dès que nous quittons la zone des volcans, les thermiques sont inexistants.
C’est finalement là que nous commençons notre voyage. Les 100 premiers kilomètres jusqu’à Santiago sont très vites avalés, le cheminement en vol est simple et nous volons en bordure de plaine, sans arbre, et avec des thermiques généreuses ! ENFIN ! Nous profitons de Santiago pour nous ravitailler. Il nous reste encore 50 kilomètres de vol à parcourir avant de partir pour une nouvelle section d’exploration au cœur de la cordillère.
Nous quittons la civilisation pour Los Andes, il n’y a plus que du sable et des cailloux rouges à perte de vue. Ce n’est pas sans appréhension que nous passons cette porte d’entrée en vol ! Il est certain que les arbres ne nous gêneront plus mais nous entrons dans un désert montagneux. Notre préoccupation est de trouver de l’eau, les rares sources et rivières sont polluées par les métaux lourds rejetés par les mines. Nous portons en permanence 10 litres d’eau chacun. Le deuxième jour dans le désert, nous sommes accueillis par des fourmis affamées. Non assez satisfaite d’avoir percé les tentes de plusieurs centaines de petits trous pour chaparder quelques grains de semoule qui constituent la base de notre alimentation, elles se sont attaquées au parapente posé au sol. Le tissu est devenu une véritable passoire. Plusieurs mètres carrés sont touchés, il n’est pas possible de la réparer.
La seule solution consiste à renforcer le tissu par des bandes de ripstop autocollant sur les zones les plus touchées pour éviter que le parapente ne se déchire en 2. Il est certain qu’il vole moins bien maintenant.
Nous voilà perdus au milieu de la Cordillère des Andes. Il est assez surprenant de voir qu’il y a toujours une route qui mène à une mine. Il nous reste certainement une à deux journées de 4*4 pour atteindre ces gisements mais c’est impressionnant de trouver des traces humaines presque partout. Les jours s’enchaînent, les paysages lunaires évoluent doucement dans des tons plus colorés et rouges en avançant vers le nord. Nos seuls points de repère sont les vallées profondes qui traversent la Cordillère pour joindre l’Argentine au Chili. La brise puissante constitue un véritable obstacle, avec parfois plus de 60km/h en journée et les terrains pour se poser en cas d’erreur de vol sont rares. Les cultures de vignes, arbres fruitiers et autres remplissent entièrement l’espace quadrillé par les lignes à haute tension. Ce sont des zones très dangereuses pour les petits parapentistes que nous sommes.
Après 600 kilomètres d’exploration réussie en vol, nous sommes bloqués dans le désert de l’Atacama marqué par la disparition des montagnes. Nous décidons de parcourir une centaine de kilomètre en bus vers l’ouest pour rejoindre Caldera au bord de l’océan.La suite de notre voyage en vol bivouac se déroule à la frontière entre l’océan et le désert. Le cheminement est un peu moins sauvage, la côte est parsemée de villages de pécheurs. Les paysages sont magnifiques. Chaque fin de journée, le vent du sud-ouest se renforce, nous anticipons le danger avec nos parapentes sans pour autant devoir nous poser. Il faut rester haut. Nous avalons 80 kilomètres de côtes avec nos ailes en moins de 10 jours.
Nous franchissons une section interdite aux parapentes au niveau d’Antofagasta, une zone militaire juxtaposée à un aéroport nous contraint de prendre un bus sur 50 kilomètres. Cette seconde zone militaire juste est autorisée en vol uniquement le week-end. Nous sommes malheureusement en semaine, les militaires nous encerclent, armes au poing, et nous emmènent en interrogatoire. Quelques temps plus tard, la police vient nous chercher pour nous emmener au commissariat d’Iquique tard dans la nuit, sans aucune sanction. Nous décidons de repartir en volant au sud pour rejoindre ce point et survoler la section manquante, en évitant de se poser bien sûr ! Il reste encore 200 kilomètres de côte à survoler mais les falaises se jettent directement dans l’eau, nous avons besoin d’un bateau pour notre sécurité. L’état qui contrôle la zone pour limiter les trafics de drogue sur la côte nous met des bâtons dans les roues, il nous demande beaucoup trop d’argent pour obtenir l’autorisation de louer un bateau. Nous décidons d’abandonner cette section et partons 200 kilomètres au nord de nouveau dans la Cordillère. Notre arrivée au Pérou annonce un nouveau départ pour notre exploration. Après 2 jours d’observation et d’attente dans les montagnes, nous réalisons qu’il sera impossible de voler en vol bivouac. Les vents violents dus à la brise de mer interdissent les vols en thermique. Nous nous résignons et mettons à profit les quelques jours qu’il nous reste pour réaliser l’ascension du volcan Ubinas qui culmine à 5 672m à proximité d’Arequipa. L’ascension commence de nuit, dans la neige, et n’avons d’autres équipements que nos petites baskets de marche et nos énormes sacs de parapente. Heureusement, l’absence de vent au lever du soleil nous permet de redescendre en volant du volcan. Avant de reprendre l’avion depuis Santiago, nous nous autorisons un dernier vol pour tenter de rejoindre l’Aconcagua (6 962m), le plus haut sommet d’Amérique du Sud, en volant depuis la capitale. Je suis contraint de m’arrêter à seulement 18 kilomètres du sommet, je n’ai pas l’autorisation de franchir la frontière avec l’Argentine. Dommage j’aurais bien tenté de survoler ce sommet, car pour une fois, toutes les conditions météo étaient réunies !