Skieur freestyle en Slopestyle et Big air, Antoine Adelisse a 24 ans, et compte déjà de nombreuses victoires à son actif. Des premiers Jeux Olympiques à Sotchi en 2014 aux X Games en 2020 où il obtiendra la médaille d'or, l'athlète ne cesse de perfectionner sa technique et prouver son originalité. Après de nombreuses réussites en début de carrière, Antoine se retrouve contraint de ralentir son activité, jusqu'à la saison dernière, qui propulse sa carrière avec deux podiums en Coupe du Monde et une victoire aux X Games (Norvège).
Cette année, Antoine Adelisse s'envole pour les X Games 2021 où il est très attendu et se prépare pour les Jeux Olympiques de 2022.
Avec lui, on revient sur cette dernière année, son parcours, sa créativité et ses projets futurs.
Le champion d’hier n’est pas forcément le champion de demain. Et c’est peut-être ça qui est le plus dur dans une carrière.
Pour commencer, parlons un peu de ton parcours, de tes débuts.
Je suis originaire de Nantes. Ce n’est pas trop commun pour un skieur. D’habitude ce sont plus des familles de Rhône-Alpes qui font du ski. Mes amis dans le ski sont très généralement originaires d'ici ou des Pyrénées. J’ai vécu à Nantes jusqu’à mes 3 ans. Je suis arrivé à La Plagne en 1999 et le ski m’a tout de suite plu. Étonnamment, je suis le seul de ma famille à skier, mes parents sont surtout venus pour les paysages et le confort de vie, le ski n’était pas forcément un objectif. J’ai fait mes débuts au club de sport de La Plagne. Par la suite, j’ai rejoint la section ski freestyle, parce que c’est là où je voyais le plus de créativité, c’est là où je me sentais le mieux dans le ski et je ne voulais pas faire de l’alpin, piste bleu, piste rouge, ç’a m’intéressait pas trop, j’étais un peu casse-cou -rires-. J’ai commencé les compétitions, et ensuite ça a super bien marché. Puis, j’ai eu quelques saisons un peu plus creuses avec notamment des blessures aux genoux, à la clavicule, qui ont freiné mes 17-20ans. Là, ça fait quelques saisons que ça marche plutôt bien. En apothéose, l’année dernière, qui était vraiment une saison exceptionnelle.
L’année dernière a été une grosse saison, que tu qualifies comme meilleure saison de ta vie. Tu es passé par plusieurs d’état d’esprit (remises en question, grandes émotions, confiance en toi). Comment te sens tu aujourd’hui ? Est-ce que la confiance que tu as prise en toi et en ta technique est toujours actuelle ?
Oui, je dirai plus grande. La saison dernière, c’est de loin la meilleure saison de ma vie, avec la victoire des X Games et deux podiums en coupe du monde, dont une victoire. C’est des victoires que j’attendais depuis un certain moment. Avec toutes les blessures et les problèmes financiers, ça commençait à devenir compliqué et l’année dernière ça a vraiment été une délivrance pour moi, mentalement et en termes de résultat. J’espère qu’il y en aura d’autres des comme ça ! À l’heure actuelle je me sens hyper motivé. Le fait d’avoir gagné une fois, ça me donne envie de ressentir cette sensation à nouveau. C’est un bonheur de ouf. En termes de confiance ça va bien, techniquement on a pu s’entrainer correctement, j’ai encore progressé par rapport à l’an dernier et c’est une chose que je ne pensais pas imaginable. Cette année je me suis entraîné sur des meilleurs sauts alors que l’année dernière je pensais presque arriver à mon maximum. La confiance est toujours là, avec un début de saison qui se passe super bien, avec une deuxième place en Coupe de Monde. Après, la plus grosse des échéances c’est les X Games qui arrivent dans moins d’une semaine. Mais je me sens prêt, en confiance, les entraînements font que je me sens bien mentalement donc c’est chouette d’attaquer une saison comme ça.
Quand on n’a pas le choix, l’important c’est d’être au départ et courir.
Qu'est-qu'il se passe dans la tête d’un athlète lorsqu’il arrive en Coupe du monde (République Tchèque) sans coach?
C’est particulier, c’est un truc auquel je n’étais pas vraiment préparé, ça m’est un peu tombé dessus comme ça. C’est notamment à cause des problèmes financier qu’il y avait pour faire tourner le groupe. On n’avait pas assez d’argent avec la fédé pour envoyer un coach. Au dernier moment on m’a dit : Greg (son coach) ne pourra pas être présent, car nous n’avons pas assez de budget, donc tu vas devoir prendre le bus de la fédération, faire 14 heures de route avec les autres athlètes, et faire un départ sans coach. Moi j’ai toujours été avec un coach au départ, à l’entraînement, partout, et là c’était un gros challenge. Mais quand on n’a pas le choix l’important c’est d’être au départ et courir. Donc ça m’a mis une pression supplémentaire mais ça m’a beaucoup appris aussi sur moi-même, sur ce qu’il fallait que mette en place. Sans mon coach pour me donner des retours, c’était particulier mais ça m’a vraiment donné une monstre expérience.
En parlant de la fédération, dans une interview (L’Équipe) tu évoquais vouloir faire bouger les choses dans la Fédération pour obtenir plus de budget pour vous et les générations à venir, tu peux nous en parler un peu ?
C’est vrai que ma volonté à l’heure actuelle elle est de faire bouger les choses, et faire que le freestyle prenne une place bien plus grande au sein de la fédération. C’est dommage parce qu’on performe. Le groupe de freestyle a 3 médailles olympiques, 6 titres de champion du monde, 72 podiums en coupe du monde, et 24 médailles aux X Games, et même avec tout ça, on sent que les choses ne bougent pas. Aujourd’hui on est obligé de financer notre saison, et on est le seul groupe de la fédération à le faire. La seule chose qui est prise en compte, c’est les frais de notre coach et si non tout le reste est à notre charge. On sent comme une injustice, on a besoin de comprendre parce que les résultats sont présents pourtant. C’est un combat qui dure depuis plusieurs années, et il ne faut pas lâcher parce qu’on a besoin d’avoir des générations futures. Le problème c’est que quand tu ne donnes aucun budget à un groupe et que tu proposes à des jeunes skieurs la relève, tu leur demandes d’investir tout ce qu’ils ont, et s’il n’y a pas les parents derrière ou les sponsors ça devient vraiment compliqué. Malheureusement ça ne donne pas envie et il n’y a pas beaucoup de relève en France à l’heure actuelle. On est le seul pays comme ça, toutes les fédérations des autres pays mettent en place des budgets, avec moins de résultat que nous. C’est dur d’être dans un système comme ça, mais le plus important c’est pour les générations à venir. Il faut que ça donne envie aux jeunes de venir faire du freestyle, et rejoindre l’équipe de France. Il faut que les choses changent. Les chiffres parlent, on ne peut pas passer à côté.
C'est soit la gagne, soit l'hôpital
Tu as évoqué la recherche constante de meilleurs scores et figures originales pour impressionner les juges, l’année dernière tu as surpris tout le monde avec ton triple cork (un switch pre-nose triple cork) comment vas-tu t’y prendre pour les surprendre encore ? D’ailleurs est-ce que tu es toujours le seul à l'avoir fait ?
Oui, à l’heure actuelle je suis toujours le seul à l’avoir fait, mais ce saut il a vraiment une histoire. La première fois que je l’ai essayé c’était en finale de coupe du monde. Je l’ai senti dans ma tête, et je me suis dit « écoute si tu ne le fais pas ça va être la 5ème place » donc je ne me suis pas laissé le choix. La première fois que je l’ai réalisé c’était vraiment pendant la course et ça m’a valu la 2ème place de la Coupe du Monde de l’an dernier, qui a vraiment fait toute ma saison. C’était fou parce que c’est très rare qu’on exécute nos premiers sauts en compétition, d’habitude c’est extrêmement répété en entrainement et là je me suis dit « c’est soit la gagne soit l’hôpital » -rires- c’est un peu fou dit comme ça, mais dans ma tête c’était vraiment ça. Je suis content d’amener une variété dans notre sport parce qu’il y a beaucoup de technique mais l’idée c’est d’impressionner les juges, et finalement c’est un sport très artistique. L’idée de se démarquer me plaît beaucoup. Se démarquer dans les airs, et avant. Il faut toujours chercher ce que ne font pas les autres, tout en restant technique et impressionnant. Ce côté artistique dans mon sport c’est ça qui me plait le plus, parce que si c’était pour faire les mêmes choses tout l’hiver ou la même chose que les autres, ça ferai un moment que j’aurai arrêté.
Donc là tu t’envoles pour les XGAMES, où l’année dernière tu as gagné la médaille d’or en remplaçant un athlète blessé, et cette année tu arrives en étant très attendu, c’est un nouveau défi et des conditions différentes, tu te sens comment ?
Cette année j’aborde les X Games d’une autre manière. Effectivement la dernière édition c’est moi qui l’ai gagné, j’ai montré que j’étais en forme l’an dernier et aussi la semaine dernière en faisant une deuxième place en coupe du monde. Pour être très honnête, c’est une position dont je n’ai pas l’habitude encore -rires- mais je vais tout faire pour la garder. Mais ça ne me rajoute pas plus de pression que ça, je me sens bien dans ma technique. À partir du moment où ça va bien sur les skis, j’aborde la compétition vraiment sereinement. J’essaye de me dire que c’est un nouveau jour, une nouvelle compétition avec les compteurs remis à zéro. Le champion d’hier n’est pas forcément le champion de demain. Et c’est peut-être ça qui est le plus dur dans une carrière. J’en parlais beaucoup avec Kevin Rolland, numéro 1 pendant un long moment, et c’est extrêmement dur de gagner tout le temps. C’est une culture de la gagne qu’il faut avoir dès l’entraînement, et c’est très inspirant.
Le sport évolue, les athlètes progressent, tout est en évolution constante, donc il va falloir innover.
L’année prochaine auront lieu les JO, qu’est-ce que cela représente pour toi ?
J’essaye de pas trop y penser, ça reste un objectif énorme de carrière. C’est quelque chose dont je rêve depuis toujours. J’ai déjà fait deux olympiades, où je n’étais pas forcément prêt. La deuxième c’était une grosse déception parce que je n’étais pas favori mais j’avais quelque chose à prouver et je suis passé à côté. Là l’idée c’est vraiment de prendre compétition par compétition, ne pas se mettre la pression et arriver aux Jeux Olympiques prêt, en forme, avec des résultats, si possible avant, pour arriver en confiance. Le sport évolue, les athlètes progressent, tout est en évolution constante donc il va falloir innover. Je ne suis pas stressé mais assez impatient d’être au départ. Si je ferme les yeux et que j’imagine, c’est vraiment l’excitation qui parle.
Tu as l’air bien entouré, j’ai noté la phrase « j’ai beau pratiquer un sport individuel, je reste persuadé qu’on a gagné en équipe », tu peux m’en dire plus sur cette équipe ?
Tout le monde parle d’un sport individuel et c’est vrai que dans un sport individuel il faut être égoïste pour certain choix. J’étais focalisé dans ce genre d’idée, et je pensais un peu qu’à ma gueule, pour être très honnête. J’ai vraiment eu le déclic l’an dernier, où je me suis dit que ce n’était pas du tout ça, et qu’il fallait que je me rende compte du monde qui gravite autour de moi, les coaches, les kinés, enfin toute l’équipe. Ils sont devenus une vraie famille. Je n’en avais pas conscience et l’année dernière j’ai compris qu’il fallait partager et que la victoire n’était pas uniquement la mienne, c’est aussi celle de tout le monde. Celle du préparateur pour mes skis, celle du kiné qui me maintient en forme, et la plus importante celle de mon coach, Greg Guenet, avec qui j’entretiens une relation depuis 13 ans maintenant. C’est une victoire à partager, et sans eux ça n’aurait pas été possible.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter l’année à venir ?
La santé, le bonheur ! -rires- Aujourd’hui je me sens hyper bien, je suis épanoui dans ma vie de skieur comme ma vie personnelle. Disons que ce serait de passer au-delà de la crise sanitaire, et pouvoir reprendre un rythme de vie normal. Tout le monde s’éloigne petit à petit et moi je suis quelqu’un qui a besoin de contact, qui a besoin d’échanger et c’est vrai que là, la crise modifie beaucoup de choses, et j’ai hâte que la vie reprenne son cours normalement, voir mieux encore.
Emeline Vernay